Barbey d’Aurevilly, Jules « Les diaboliques » (1874)
Auteur : Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est un écrivain français, né le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche), en Normandie, mort le 23 avril 1889 à Paris. Surnommé le « Connétable des lettres », il a contribué à animer la vie littéraire française de la seconde moitié du XIXe siècle. Il a été à la fois romancier, nouvelliste, essayiste, poète, critique littéraire, journaliste, dandy et polémiste.
Maître de l’effroi et du surnaturel, Jules Barbey d’Aurevilly est un contemporain des romantiques et de l’écrivain américain Edgar Poe. Son chef-d’œuvre est Les Diaboliques, « prodigieux recueil de six histoires amorales qui n’ont pas fini de saisir par leur audace glacée. »
Résumé :
Les Diaboliques (1874), ce sont six histoires de femmes qui cultivent leur péché en un recueillement impie – six nouvelles de passion, d’adultère et de crime, qui valurent à l’auteur un succès foudroyant. Accusé de diabolisme, menacé de poursuites pour outrage aux bonnes mœurs, il dut se défendre en prenant la posture du moraliste chrétien, peintre critique de la société de son temps et des «crimes de l’extrême civilisation». Contre les bien-pensants, Barbey d’Aurevilly eut l’audace de donner à voir, dans un style aussi luxuriant que cynique, la puissance vertigineuse du désir érotique et ses perversions.
6 nouvelles : Une adolescente se rêve enceinte de l’amant de sa mère (Le Plus Bel Amour de Don Juan) ; une femme empoisonne l’épouse de son amant avant de goûter avec lui une félicité dépourvue de tout remords (Le Bonheur dans le crime) ; une duchesse espagnole, pour punir son mari d’avoir tué son amant, déshonore son nom en se prostituant (La Vengeance d’une femme)
Ces six nouvelles sont Le Rideau cramoisi, Le Plus Bel Amour de Don Juan, Le Bonheur dans le crime, Le Dessous de cartes d’une partie de whist, À un diner d’athées et La Vengeance d’une femme. Le recueil des Diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly, qui devait à l’origine s’appeler Ricochets de conversation, est publié en novembre 1874, à Paris, chez l’éditeur Dentu.
Les thèmes principaux, dans Les Diaboliques, sont l’amour, l’adultère, le meurtre, la vengeance et la rancune. Jules Barbey d’Aurevilly plonge le lecteur dans un univers scandaleux, ce qui lui a valu d’être accusé d’immoralisme. Pourtant, l’auteur des Diaboliques est un fervent catholique, et il précise dans sa préface qu’il écrit ses nouvelles dans un souci d’édification : il cherche à provoquer un sentiment d’horreur face aux comportements que les personnages adoptent. C’est, autre autres, cette ambivalence qui contribue à faire des six nouvelles des Diaboliques un véritable chef-d’œuvre de la littérature française.
source et information : Les Diaboliques : Analyse du livre
« Les Histoires sont vraies. Rien d’inventé. Tout vu. Tout touché du coude ou du doigt. Il y aura certainement des têtes vives, montées par ce titre de Diaboliques, qui ne les trouveront pas aussi diaboliques qu’elles ont l’air de s’en vanter. Elles s’attendaient à des inventions, à des complications, à des recherches, à des raffinements, à tout le tremblement du mélodrame moderne, qui se fourre partout, même dans le roman : quelque chose comme les Mémoires du Diable qui n’ont donné à leur auteur qu’une peine du Diable. » (Préface de Barbey aux Diaboliques)
Mon avis : Un classique de temps en temps… Quel plaisir de relire celui-ci.. Depuis le lycée j’ai toujours aimé ce livre, bien qu’en général, les nouvelles me laissent toujours sur ma faim. Mais quelle écriture ! Je n’ai rien à vous dire de plus que lisez… Ma préférée est « Le Bonheur dans le crime » suivie de « La Vengeance d’une femme » … (Si vous lisez sur liseuse, vous pouvez vous procurez le texte gratuitement sur internet car c’est un Classique libre de droits) et venez me faire part de vos commentaires…
Extraits :
Il n’y en a pas une seule à qui on puisse dire le mot de « mon ange » sans exagérer. Comme le Diable qui était un ange aussi, mais qui a culbuté, si elles sont des anges encore, c’est la tête en bas, le reste… en haut ! Pas une ici qui soit pure, vertueuse, innocente.
L’Art a deux lobes, comme le cerveau. La Nature ressemble à ces femmes qui ont un œil bleu et un œil noir. Voici l’œil noir, dessiné à l’encre… de la PETITE VERTU. Oh ! de la plus petite qu’on ait pu trouver !
L’alphabet des romanciers, c’est la vie de tous ceux qui eurent des passions et des aventures, et il ne s’agit que de combiner, avec la discrétion d’un art profond, les lettres de cet alphabet-là.
C’est ainsi qu’il exaltait à outrance la personnalité du soldat, toujours prête, en France, à la fatuité et à la coquetterie, ces deux provocations permanentes, l’une par le ton qu’elle prend, l’autre par l’envie qu’elle excite.
L’amour ne procède pas avec cette impudeur et cette impudence, et je savais parfaitement aussi que ce qu’elle me faisait éprouver n’en était pas non plus. Mais, amour ou non… ce que c’était, je le voulais !…
le désir de m’enlacer tout entier à elle tout entière, comme sa main s’était enlacée à ma main !
Je compris le bonheur de ceux qui se cachent. Je compris la jouissance du mystère dans la complicité, qui, même sans l’espérance de réussir, ferait encore des conspirateurs incorrigibles.
une vieille mécontente, aux yeux bleus, froids et affilés, mais moins froids que son cœur et moins affilés que son esprit,
Comme d’Orsay, ce dandy taillé dans le bronze de Michel-Ange, qui fut beau jusqu’à sa dernière heure, Ravila avait eu cette beauté particulière à la race Juan, – à cette mystérieuse race qui ne procède pas de père en fils, comme les autres, mais qui apparaît çà et là, à de certaines distances, dans les familles de l’humanité.
les griffes de tigre de la vie commençaient à lui rayer ce front divin, couronné des roses de tant de lèvres, et sur ses larges tempes impies apparaissaient les premiers cheveux blancs qui annoncent l’invasion prochaine des Barbares et la fin de l’Empire…
dans ce boudoir fleur de pêcher ou de… péché (on n’a jamais bien su l’orthographe de la couleur de ce boudoir),
Et il leva son verre de champagne, qui n’était pas la coupe bête et païenne par laquelle on l’a remplacé, mais le verre élancé et svelte de nos ancêtres, qui est le vrai verre de champagne, – celui-là qu’on appelle une flûte, peut-être à cause des célestes, mélodies qu’il nous verse souvent au cœur.
Lionne, d’une espèce inconnue, qui s’imaginait avoir des griffes, et qui, quand elle voulait les allonger, n’en trouvait jamais dans ses magnifiques pattes de velours. C’est avec du velours qu’elle égratignait !
Elle ne voulait rien faire devant moi qui pût la mettre, je ne dis pas en valeur, mais seulement en dehors d’elle-même…
Je ne la voyais alors que de profil ; mais ; le profil, c’est l’écueil de la beauté ou son attestation la plus éclatante.
Le médecin est le confesseur des temps modernes, – fit le docteur, avec un ton solennellement goguenard. – Il a remplacé le prêtre, Monsieur, et il est obligé au secret de la confession comme le prêtre…
Les hommes sont tous les mêmes. L’étrangeté leur déplaît, d’homme à homme, et les blesse ; mais si l’étrangeté porte des jupes, ils en raffolent.
ils restèrent ainsi sculptés bouche à bouche le temps, ma foi, de boire, sans s’interrompre et sans reprendre, au moins une bouteille de baisers !
Et croyez que je l’ai bien étudié, bien scruté, bien perscruté ! Croyez que j’ai bien cherché la petite bête dans ce bonheur-là ! Je vous demande pardon de l’expression, mais je puis dire que je l’ai pouillé…
J’avais déjà remarqué que les êtres heureux sont graves. Ils portent en eux attentivement leur cœur, comme un verre plein, que le moindre mouvement peut faire déborder ou briser…
On ne peint pas plus le bonheur, cette infusion d’une vie supérieure dans la vie, qu’on ne saurait peindre la circulation du sang dans les veines.
Les enfants, – ajouta-t-elle avec une espèce de mépris, – sont bons pour les femmes malheureuses !
c’était le jeu, la dernière passion des âmes usées.
Un homme qui, comme les autres, ne s’occuperait que des dames de carreau et de trèfle !
Toute supériorité quelconque est une séduction irrésistible, qui procède par rapt et vous emporte dans son orbite. Mais ce n’est pas tout. Elle vous féconde en vous emportant.
L’esprit seul, un esprit brillant, damasquiné et affilé comme une épée, allumait parfois dans ce regard vitrifié les éclairs de ce glaive qui tourne dont parle la Bible.
C’était de l’esprit servi dans sa glace, une femme froide à vous faire tousser.
Mais hors ces hiéroglyphes de geste et de physionomie que savent lire les observateurs, et qui n’ont, comme la langue des hiéroglyphes, qu’un fort petit nombre de mots, Marmor de Karkoël était indéchiffrable […]
Tous les jeunes nobles de la ville qu’il habitait, et il y en avait plusieurs de fort spirituels, curieux comme des femmes et entortillants comme des couleuvres, étaient démangés du désir de lui faire raconter les mémoires inédits de sa jeunesse, entre deux cigarettes de maryland.
Pour ces sortes d’esprits, toujours en dehors, brillants, agressifs, se retenir, se voiler, est chose difficile. Se voiler, n’est-ce pas même une manière de se trahir ?
Or, l’enfer, c’est le ciel en creux. Le mot diabolique ou divin, appliqué à l’intensité des jouissances, exprime la même chose, c’est-à-dire des sensations qui vont jusqu’au surnaturel.
la débile et pâle moqueuse qu’on appelait en riant madame de Givre, n’aurait jamais su elle-même quel impérieux vouloir elle portait dans son sein de neige fondue
Tout à coup, j’eus froid dans les nerfs, et par je ne sais quelle évocation foudroyante et involontaire, un souvenir me saisit avec l’invincible brutalité de ces idées qui fécondent monstrueusement la pensée révoltée, en la violant.
le calme qui ne la quittait jamais, même quand elle ajustait l’épigramme, car sa plaisanterie ressemblait à une balle, la seule arme qui tue sans se passionner, tandis que l’épée, au contraire, partage la passion de la main.
car, en plusieurs années, les villes changent comme les femmes : on ne les reconnaîtrait plus.
Il y a toujours des Chevaliers errants dans le monde. Ils ne redressent plus les torts avec la lance, mais les ridicules avec la raillerie
rien ne casse mieux que la pensée fixe du malheur le kaléidoscope de l’esprit et ne l’empêche mieux de tourner, en éblouissant.
Il fallait le voir, à la moindre discussion, sa poitrine de volcan soulevée, passant du pâle à un pâle plus profond, le front labouré de houles de rides – comme la mer dans l’ouragan de sa colère, – les pupilles jaillissant de leur cornée, comme pour frapper ceux à qui il parlait, – deux balles flamboyantes !
Était-ce là une dernière coquetterie de sa vie d’homme à femmes, à ce désespéré, et qui survivait à cette vie finie, enterrée, comme le soleil couché envoie un dernier rayon rose au flanc des nuages derrière lesquels il a sombré ?…
Il buvait son bonheur en silence, comme les vrais ivrognes, qui boivent seuls.
Le Roman est spécialement l’histoire des mœurs, mise en récit et en drame, comme l’est souvent l’Histoire elle-même. Et nulle autre différence que celles-ci : c’est que l’un (le Roman) met ses mœurs sous le couvert de personnages d’invention, et que l’autre (l’Histoire) donne les noms et les adresses. Seulement, le Roman creuse bien plus avant que l’Histoire. Il a un idéal, et l’Histoire n’en a pas : elle est bridée par la réalité.
La beauté est une. Seule, la laideur est multiple, et encore sa multiplicité est bien vite épuisée.
Eh bien ! aucune d’elles n’aurait mieux justifié ce nom de panthère… Elle en eut, ce soir-là, la souplesse, les enroulements, les bonds, les égratignements et les morsures.
Notre amour avait eu la simultanéité de deux coups de pistolet tirés en même temps, et qui tuent…
Comment nous apercevoir qu’il était jaloux, et de quelle jalousie ! De la seule dont il fût capable : de la jalousie de l’orgueil.
le silence, ce silence de la haine, qui se nourrit d’elle-même et n’a pas besoin de parler.
Info : carbonarisme – (Le carbonarisme (pour l’Italie) ou charbonnerie (pour la France) est un mouvement initiatique et secret, à forte connotation politique, présent en Italie, en France, au Portugal et en Espagne au début et au milieu du XIXe siècle ; il a notamment contribué au processus de l’unification de l’Italie.)
3 Replies to “Barbey d’Aurevilly, Jules « Les diaboliques » (1874)”
« Un classique de temps en temps… »
Oui, renouer avec les belles écritures littéraires que l’on peine à trouver dans le contemporain.
« Depuis le lycée j’ai toujours aimé ce livre, bien qu’en général, les nouvelles me laissent toujours sur ma faim. Mais quelle écriture ! »
Je ne l’ai jamais lu et je vais me laisser tenter avec gourmandise.
« Je n’ai rien à vous dire de plus que lisez… »
Oui Madame à vos ordres 😉
« Ma préférée est « Le Bonheur dans le crime » suivie de « La Vengeance d’une femme » … (Si vous lisez sur liseuse, vous pouvez vous procurez le texte gratuitement sur internet car c’est un Classique libre de droits) et venez me faire part de vos commentaires… »
Sans aucun doute, je reviendrai…
en attente de tes commentaires
Ma préférée c’est la vengeance d’une femme.
Mon avis :
Des nouvelles ayant en sujet commun : la femme qui sous ses airs ingénus cache une personne inatendue, subversive, qui corrompt l’homme à ses vils désirs.
C’est une littérature classique où tout l’art du classique s’exprime. Les portraits sont croqués avec finesse, par petites touches avec des mots choisis, précis. On se retrouve confronter avec la complexité de l’être humain dans une langue châtiée des plus belles. Cela m’a fait penser à un corps de ballet où tout est réglé, pensé dans le moindre détail. Rien ne dépasse et rien n’est laissé au hasard.
Je me suis fait la remarque aussi que nos contemporains ne font rien de beaucoup mieux !
Il y a dans le classique une justesse des mots inégalée.
P.S : ta photo d’illustration est superbe et si évocatrice et donc si bien choisie…