Ward, Jesmyn «Le chant des revenants» (2019)

Ward, Jesmyn «Le chant des revenants» (2019)

Autrice : née en 1er avril 1977 à DeLisle, au Mississippi, est une romancière américaine. issue d’une famille nombreuse, elle est la première de la fratrie à bénéficier d’une bourse pour l’université1. Elle obtient en 2005 un MFA en création littéraire à l’Université de Michigan. La même année, sa maison familiale de DeLisle est inondée suite à l’ouragan Katrina. La recherche d’un terrain sûr la confronte au racisme plutôt qu’à l’humanité.
Elle est professeur de création littéraire à l’Université de South Alabama à Mobile Son premier roman, Ligne de fracture (Belfond, 2014 ; 10/18, 2019), a été salué par la critique. Mais c’est avec Bois Sauvage (Belfond, 2012 ; 10/18, 2019) qu’elle va connaître une renommée internationale, en remportant le National Book Award.  Son mémoire, Les Moissons funèbres (éditions Globe, 2016 ; 10/18, 2019), s’est vu récompensé du MacArthur Genius Grant. Avec Le Chant des revenants, sélectionné parmi les dix meilleurs romans de l’année 2017 par le New York Times, Jesmyn Ward devient la première femme deux fois lauréate du National Book Award.
Jesmyn Ward vit dans le Mississippi, avec son époux et leurs deux enfants.

Belfond – 07.02.2019 – 270 pages

Résumé : Seule femme à avoir reçu deux fois le National Book Award, Jesmyn Ward nous livre un roman puissant, hanté, d’une déchirante beauté, un road trip à travers un Sud dévasté, un chant à trois voix pour raconter l’Amérique noire, en butte au racisme le plus primaire, aux injustices, à la misère, mais aussi l’amour inconditionnel, la tendresse et la force puisée dans les racines. Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison.
Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite sœur Kayla. De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’Etat. Et puis il y a Leonie, sa mère.
Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent. Leonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses…

Mon avis : L’histoire d’une famille et d’un road-trip qui va tourner au cauchemar: l’aller-retour de Léonie entre la ferme ou elle habite avec ses parents et la prison de Parchman dans le Mississippi pour aller chercher son mari Michael qui sort de prison. Un voyage en compagnie de son amie Mitsy.
Un grand-père « River » qui tente de s’occuper du mieux possible son petit-fils, une grand-mère mourante, une jeune femme « Léonie » , junkie qui ne sait pas être mère, un père « Michael » en prison, un fils « Jojo » qui s’occupe de sa petite sœur Michaela, dite « Kayla » comme si elle faisait partie de lui. Et tous les fantômes de cette famille, un passé qui les hante, des morts tragiques qui unissent les membres de la famille et le racisme dans lequel tout baigne. Michael et Léonie ont beau être fusionnels, il n’en demeure pas moins que Michael est blanc et issu d’une famille suprémaciste et que son cousin a tué le cousin de Léonie, ce qui ne facilite pas les choses… Le grand-père a un point commun avec Michael : un long séjour au pénitencier et la mort d’un jeune prisonnier qui le hante … La grand-mère elle, est une sorte de guérisseuse qui se meurt d’un cancer. Elle est le point d’attache de toute la famille et sa mort va libérer les fantômes qui vivent dans les cœurs et dans les angoisses de tout ce petit monde. Mais les morts et les vivants semblent tellement fusionnels dans cette histoire que je me demande bien si les vivants finirons par continuer leur route seuls… Car les personnages de cette famille sont liés à l’au-delà par les voix de jeunes disparus
Jojo, le petit garçon métis de 13 ans issu de l’union de Léonie et Michael, est le personnage du roman pour moi qui m’a le plus remuée et par bien des côtés, il symbolise l’espoir. Et de l’espoir il va en falloir dans ce monde tragique fait de violence, de haine, de drogue, de mort, de misère…
Un livre magnifique et bouleversant sur le Sud profond de l’Amérique, sur le racisme, sur la misère rurale, sur les conditions de détention dans les pénitenciers du Sud, sur la police, mais pas seulement ! On finit même par se demander ce qui est plus brutal : le monde carcéral avec ses lynchages et ses chasses à l’homme ou le monde libre raciste et violent. On en finirait presque par comprendre pourquoi tout est bon pour s’évader … Une histoire qui nous parle de l’union du passé et du présent, des rapports entre les disparus et les vivants, du poids du passé. Un livre qui pose le problème d’un enfant né d’une noire et d’un blanc. Mais à la fin du récit, on se rend encore plus compte, si besoin était, de l’importance de la culture et des croyances du peuple noir. Si vous aimez Toni Morisson, vous aimerez Jesmyn Ward ! Et en plus, c’est superbement bien écrit !

Extraits :

Quand je l’écoute, sa voix devient une main qu’il tend vers moi, comme s’il me caressait le dos, et alors je peux échapper à tout ce qui me fait croire que je ne lui arriverai jamais à la cheville, que je n’aurai jamais son assurance.

il avait l’impression qu’il était mort en dedans, et que c’est pour ça qu’il pouvait pas se tenir tranquille et écouter, qu’il fallait toujours qu’il grimpe le plus haut possible et qu’il plonge la tête la première quand on allait se baigner à la rivière.

C’est différent là-bas. La chaleur. Y a pas d’eau pour entraîner le vent et rafraîchir l’air, donc la chaleur stagne et te cuit. Une étuve.

Rêver d’elle, c’était comme les dernières braises la nuit quand il fait froid : chaud et accueillant. J’avais que ça pour détacher mon esprit de mon corps et le laisser s’envoler au-dessus des champs.

Son mec est noir, et leur amour qui se moque des couleurs est une des raisons pour lesquelles on est devenues copines aussi vite.

Mais on était chez elle, je restais noire et elle blanche, et si quelqu’un nous entendait nous engueuler et décidait d’appeler les flics, c’est moi qui irais en taule. Pas elle. Pas de meilleure amie qui tienne.

Aujourd’hui il ne m’appelle plus que par mon prénom, et ça ressemble systématiquement à une gifle.

Quand ils te regardent, ils voient une différence, fils. C’est pas ce que toi tu vois qui compte. C’est ce qu’eux ils voient,

la seule chose qui me parlait, c’étaient ses yeux implorants qui s’exprimaient sans les mots, Je t’aime, petit. Je t’aime.

Y a des choses qui nous font avancer. Comme des courants à l’intérieur. Des choses plus fortes que nous.

Les nègres, ça sait pas commander, ils ont pas ça en eux. Il a dit, Les nègres, ça sait être esclaves et pas plus.

Je pense plus à mes soucis quand j’ai les mains dans la terre, il a dit. Comme si je parlais à Dieu avec mes doigts.

C’est pareil qu’un serpent qui mue. Les écailles changent et l’extérieur est différent, mais à l’intérieur c’est toujours la même chose.

Chez soi, c’est un truc avec la terre. Est-ce que la terre s’ouvre à toi ou pas. Est-ce qu’elle t’attire à elle jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien entre toi et elle et que tu ne fasses plus qu’un avec elle et qu’elle palpite comme ton cœur. Là où ma famille habitait… c’est un mur. C’est un sol en planches. Et ensuite en béton. Pas d’ouverture. Pas de battements de cœur. Pas d’air.

La respiration de Maman est un vent haché qui ralentit de plus en plus. Il ne reste plus qu’une fente entre ses paupières. Son corps : une ruine immobile.

Il y a des gens : minuscules et distincts. Ils volent et marchent et flottent et courent. Ils sont seuls. Ils sont plusieurs. Ils se baladent sur les sommets. Ils nagent dans les rivières et dans la mer. Ils marchent en se tenant la main dans les parcs, dans les squares, disparaissent dans les bâtiments. Ils ne se taisent jamais. Leur chant est omniprésent : leur bouche ne remue pas et pourtant ça émane d’eux. Une mélodie dans la lumière jaune. Ça émane de la terre noire, des arbres et du ciel toujours éclairé. Ça émane de l’eau. C’est le plus beau chant que j’aie entendu, mais je n’en comprends pas un mot.

Reproche et compassion. Je suis un livre dont il peut lire chaque mot. Je le sais. Il me voit. Il sait tout.

Kayla chante et la foule de fantômes se penche vers elle en hochant la tête. Ils sourient et ça ressemble à du soulagement, à du souvenir, à de la sérénité.

Retrouvez Jesmyn Ward dans la Grand Librairie (27.02.2019) sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=tSeJNzGy1Es

 

Image : « Parchman Farm » Mississippi State Penitentiary,

4 Replies to “Ward, Jesmyn «Le chant des revenants» (2019)”

  1. Je n’ai lu que ce passage là afin de découvrir le reste car tu m’as mis l’envie dans les yeux malgré la dureté du récit :
     » Un livre magnifique et bouleversant sur le Sud profond de l’Amérique, sur le racisme, sur la misère rurale, sur les conditions de détention dans les pénitenciers du Sud, sur la police, mais pas seulement ! On finit même par se demander ce qui est plus brutal : le monde carcéral avec ses lynchages et ses chasses à l’homme ou le monde libre raciste et violent. On en finirait presque par comprendre pourquoi tout est bon pour s’évader … Une histoire qui nous parle de l’union du passé et du présent, des rapports entre les disparus et les vivants, du poids du passé. Un livre qui pose le problème d’un enfant né d’une noire et d’un blanc. Mais à la fin du récit, on se rend encore plus compte, si besoin était, de l’importance e la culture et des croyances du peuple noir. Si vous aimez Toni Morisson, vous aimerez Jesmyn Ward ! Et en plus, c’est superbement bien écrit ! »

    1. Oh c’est dur mais pas seulement! C’est humain et inhumain à la fois; sombre mais quand même tourné vers la lumière…

  2. Jojo, Léonie et Richie prennent la parole à tour de rôle pour nous conter l’histoire de cette famille du Sud profond des Etats-Unis.
    Il y a River le grand-père, la grand-mère mourante, Léonie mère de Joseph et de sa petite sœur Kayla, souvent absente, dont le compagnon blanc purge une peine de prison. Il y a eu un autre fils, frère de Léonie, mort dans un « accident » de chasse.
    Il y a des thèmes universels, l’absence du père, la défaillance de la mère, l’amour fraternel, le racisme, les croyances et l’univers carcéral.
    Il y a le pénitencier où le racisme s’exacerbe, où le grand-père a rencontré Richie, mort sous les coups des gardiens blancs et qui revient parler à l’oreille de Jojo.
    C’est River qui se charge d’inculquer ses valeurs à son petit-fils, c’est Joseph qui prend en charge sa petite sœur.
    Tout cela fait un roman fort, noir, très beau.
    Si j’ai été touchée par cette histoire, je n’y ai pas trouvé le roman que j’attendais, peut-être le côté fantastique ou peut-être trop d’excellentes critiques lues avant qui m’ont fait en attendre plus.

    1. Merci d’avoir pris la peine de donner ton avis You. J’ai lu le roman avant de lire les critiques, comme je le fais souvent – j’avais entendu l’auteur en parler à La Grande Librairie – et je n’ai pas été deçue.

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