Khadra, Yasmina «Ce que le mirage doit à l’oasis» (2017)
Auteur : Yasmina Khadra (en arabe : ياسمينة خضراء) est le nom de plume de l’écrivain algérien Mohammed Moulessehoul (en arabe : محمّد مولسهول), né le 10 janvier 1955 à Kenadsa, dans l’actuelle wilaya de Bechar dans le Sahara algérien. Ce pseudonyme est composé des deux prénoms de son épouse. Consacré à deux reprises par l’Académie française, salué par des prix Nobel (Gabriel Garcia Marquez, J. M. Coetze, Orhan Pamuk), Yasmina Khadra est traduit dans une cinquantaine de pays et a su toucher des millions de lecteurs. Adaptés au théâtre (en Amérique latine, Europe et Afrique) et en bandes dessinées, certains de ses livres sont aussi portés à l’écran (Morituri ; Ce que le jour doit à la nuit ; L’Attentat). Les Hirondelles de Kaboul est en cours de réalisation en film d’animation par Zabou Breitman. Yasmina Khadra a aussi co-signé les scenarios de La Voie de l’ennemi, avec Forest Whitaker et Harvey Keitel, et de La Route d’Istanbul, tous deux réalisés par Rachid Bouchareb. Ce que le jour doit à la nuit a été adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012. L’Attentat a reçu, entre autres, le prix des Libraires 2006 et a été traduit dans 36 pays. Son adaptation cinématographique par Ziad Doueiri est sortie sur les écrans en 2013. À 63 ans, Yasmina Khadra prône l’éveil à un monde meilleur, malgré le naufrage des consciences et le choc des mentalités.
Ses principaux écrits : Le Dingue au bistouri, 1990 – La Foire des enfoirés, 1993 – Morituri, 1997 – L’Automne des chimères, 1998, – Double blanc, 1998 – À quoi rêvent les loups, 1999 – Les Agneaux du Seigneur, 1998 – L’Écrivain, 2001 – L’Imposture des mots, 2002 – Les Hirondelles de Kaboul, 2002 – Cousine K, 2003 – La Part du mort, 2004 – La Rose de Blida, 2005 – L’Attentat, 2005 – Les Sirènes de Bagdad, 2006 – Ce que le jour doit à la nuit, 2008 – L’Olympe des infortunes, 2010 – L’Équation africaine, 2011 – Les anges meurent de nos blessures 2013 – Qu’attendent les singes 2014 – La Dernière Nuit du Raïs 2015 – Dieu n’habite pas La Havane 2016 – Ce que le mirage doit à l’oasis 2017 – Khalil 2018 – L’outrage fait à Sarah Ikker 2019 – Le Sel de tous les oublis 2020 – Pour l’amour d’Elena 2021 –
Illustrations et calligraphie : Lassaâd Metoui : Né à Gabes, au sud de la Tunisie, dans une oasis entre sable et mer, Lassaâd Metoui est, à l’instar de Yasmina Khadra, un enfant du désert. Formé très jeune à la calligraphie, il est devenu dans cette discipline traditionnelle un artiste majeur, tout en la faisant évoluer vers une plus grande modernité, qui transcende les cultures.
Flammarion – 8.11.2017 – 186 pages
Résumé : « Mon histoire avec le livre, le désert et les Hommes, c’est l’histoire d’un partage, l’histoire d’un amour vieux comme le monde, l’amour du rêve… » Ainsi parle Yasmina Khadra qui entreprend de raconter le désert, comme il l’a connu dès son enfance, en Algérie. Dans cet exercice d’autofiction, le célèbre romancier emmène le lecteur dans l’immensité des lieux, si arides en apparence et pourtant si vivants, où la musique rythme la poésie et les mirages accouchent toujours d’oasis…
Mon avis :
Le livre est de plus de toute beauté avec de superbes réalisations de l’artiste Lassaâd Metoui. J’y ai retrouvé la plume poétique de mon énorme coup de cœur « Ce que le jour doit à la nuit ». Et puis il se trouve que j’adore le désert moi !
J’avais noté deux trois éléments quand j’avais entendu une interview de l’auteur au sujet de cette « autofiction » : son désert à lui est son monde intérieur, un voyage au calme, dans l’immensité. Pour se ressourcer, il va se « mettre à nu » dans un lieu ignoré de tous, un havre de silence et de solitude. Pour lui le rêve est le moteur et le but de la vie : il faut toujours y croire et ne jamais renoncer.
Yasmina Khadra nous invite à partager son désert, à chercher l’étincelle, à trouver comment se fabriquer son propre bonheur. Le désert est un lieu mystique qui apaise, propre à la méditation et au rêve.
Cette autofiction est aussi un roman dans lequel on va faire connaissance avec son passé, sa vie, sa famille, son parcours. C’est aussi sa traversée du désert personnelle, sa solitude, le dialogue entre lui et lui et des pages magnifiques sur l’importance d’être en harmonie avec soi-même. Il ne faut jamais oublier que Khadra est un bédouin et que l’humilité et le désert font partie de sa culture.
Et inséré dans le livre le début du premier livre qu’il a commencé à écrire et qui lui « résiste » ; peut-être un jour le reprendra-t-il et le publiera-t-il ? Mystère.
Quoi qu’il en soit, c’est un petit livre que j’ai adoré, tant dans sa forme que dans son contenu.
Extraits :
On a beau marcher dans les pas des destinées, suivre à la trace chaque instant sur terre, on n’est jamais qu’une empreinte sur le sable que la moindre brise effacerait en un tour de passe-passe
Regarde-moi, toi l’enfant du Verbe et son sujet, et explique-moi pourquoi les lacs doivent s’assécher, et les forêts se pétrifier et les volcans subir le retour de leurs propres flammes ?
C’est le rêve qui motive, c’est le rêve qui fait vivre. Je suis venu sur terre pour essayer de réaliser le mien. Ce qui importe n’est pas d’y arriver, mais d’y croire jusqu’au bout
Mes mots me paraissent dérisoires, semblables à ces perles de pacotille dans leur écrin mille fois rafistolé ; un faux geste, et elles s’éparpilleraient au sol comme autant de gâchis
Tu n’as pas halluciné, maman, tu as seulement rêvé. – Quelle importance, puisque tout rêve naît de la vérité.
C’est une femme qui ne regarde jamais les jours à venir. Pour elle, le présent ne sert qu’à veiller la dépouille d’hier
Ma mère est un peu le mektoub, « à quoi bon se plaindre quand le mal est fait », « j’ai ri et j’ai pleuré, c’est la preuve que j’ai vécu
Il avait le cœur sur la main et ne savait pas le protéger
le bonheur est d’abord une question de mentalité
Le bout de la terre est à la portée de la main de celui qui avance, pas de celui qui attend que l’on vienne le chercher
Que peut redouter l’insolé au milieu de ses vertiges lorsque les périls lui deviennent féerie
L’ennui, le silence, la nudité : les trois éléments de la finitude
Un silence autiste, orfèvre du néant, surplombant les attentes sans lendemain avec la patience immuable du rapace perché sur sa proie agonisante
Le matin, il s’éveillait au beau milieu d’une immense fixation tant tout paraissait figé ; le soir, il réintégrait le mutisme des opacités, pareil à une ombre se diluant subrepticement dans les ténèbres
Lorsqu’on était au bout du rouleau, on ne renversait pas le tabouret ; on s’accrochait à la corde pour se relever
C’était aussi cela, le désert, pour quelqu’un qui débarquait de la métropole : n’être plus sûr de rien. Le désert est une appréhension, une ambiguïté tentaculaire, vertigineuse…
Ce que les âges ont mis des millions d’années à me ravir, ces vandales me l’ont confisqué en un tournemain. Ils ont asséché mes oasis, empoisonné mes sources, ravagé ma flore pour étendre leur béton, élevé des miradors par-dessus mes mamelons, décimé ma faune pour garnir leurs salons de trophées macabres et ils ont troublé mes quiétudes à coups de diatribes et de batailles.
Isabelle Eberhart, ce « Rimbaud au féminin » déguisé en homme, venait parfois se ressourcer à Kenadsa. Elle portait dans le bleu de ses yeux l’azur de sa Suisse natale et dans le cœur les espaces infinis des regs imprenables
Ah ! La musique dans le désert… Elle bouleverse les dieux et les fauves, pénètre la pierre et la chair comme une seconde âme, court sur le faîte des dunes comme une caresse. On a envie de se dissoudre dans une volute de fumée.
Le Hoggar est un univers apocalyptique et ensorcelant à la fois ; il se mue en aurore boréale dès que le soleil se couche à l’horizon
Je me suis souvenu de tes reproches, ô Désert. C’est vrai, les Hommes ne savent pas vivre. Pourtant, il leur suffit de tendre l’oreille à tes silences pour s’éveiller à la chance qu’ils ont. Hélas, ils ne voient que leur folie danser dans tes mirages, que des gibets en guise de mats de cocagne.
Si le monde t’étouffe, retranche-toi dans tes livres et fais-en des oasis
Désert et les Hommes : c’est l’histoire d’un partage, l’histoire d’un amour vieux comme le monde, l’amour du rêve. Aucune vie ne saurait être précieuse si on ne sait pas rêver, aucun mirage ne saurait accoucher de l’oasis si on ne sait pas déceler dans la nudité du Désert de quoi habiller notre âme et épurer notre esprit.
Image : une illustration de Lassaâd Metoui
One Reply to “Khadra, Yasmina «Ce que le mirage doit à l’oasis» (2017)”
Encore un livre qui me donne envie et peut-être un peu plus…
Le bonheur est en nous, la recette est si simple et pourtant si difficile à réaliser. Il suffirait de se connaître sans fard ni faux semblant, dans une forme de nudité acceptée mais pour cela il faut vivre, rire et pleurer pour la rencontrer. C’est ce chemin le bonheur et chacun a le sien.