Del Arbol, Victor «Avant les années terribles » (RL2021) /Antes de los años terribles (2019)

Del Arbol, Victor «Avant les années terribles » (RL2021) /Antes de los años terribles (2019)

Auteur Coup de coeur : (Page de présentation)

Actes Sud – 1.09.2021 – 400 pages ( traducteur Claude Bleton) 
Antes de los años terribles  (07.05 2019) – sorti en espagnol – Destino – 07.05.2019 – 464 pages

Résumé : 

Dans une Afrique encore traversée de magie et de superstition, l’épopée tragique d’un enfant soldat, victime et bourreau, innocent et coupable. Après l’enfer de Nazino et la Russie stalinienne de « Toutes les vagues de l’océan », Victor del Árbol nous plonge dans les ténèbres du cœur de Joseph Kony, le Sorcier du Nil.

« Avant les années terribles, j’étais un enfant heureux dans cet endroit. Le bonheur semblait être l’état naturel de la vie, quelque chose d’aussi évident que le lever du soleil chaque matin. Les premiers rayons de lumière ont filtré à travers les feuilles de palmiers du toit le matin où tout a commencé à changer ». Une nouvelle vie a commencé pour Isaïe le jour de son arrivée à Barcelone quand, encore enfant, il a tourné le dos à son monde. Après une longue période, il s’est construit une nouvelle vie, essayant de tracer sa route en montant une entreprise de réparation de bicyclettes. Tout bascule le jour où il reçoit la visite d’Emmanuel, une vieille connaissance qui le convainc de retourner en Ouganda pour participer à une rencontre sur la réconciliation historique du pays.

Le passé qu’il croyait avoir laissé derrière lui va ressusciter. Il va devoir affronter l’enfant qu’il était, le regarder dans les yeux sans compromis et se pardonner, s’il veut aller de l’avant et ne pas perdre sa femme, qui bientôt, et de pire des façons, découvrira une terrible vérité : nous ne savons pas toujours tout sur ceux que nous aimons. Quand on est allé trop loin, s’enfuir n’est pas une option.

Mon avis :

Mais comme je suis sortie sonnée par la lecture de ce roman ! Comment qualifier ce roman d’ailleurs ? L’étiquette « roman noir » que les français ont collé à l’auteur ne se justifie pas. Roman historique ? Thriller historique ? L’auteur nous fait découvrir une partie absolument atroce de l’histoire du XXème siècle et met en lumière l’infame Joseph Kony. L’auteur nous raconte la vie de Isaías Yower, jeune ougandais qui a fui son pays pour rejoindre l’Espagne (près de 9000 kms !). Le contexte est absolument hallucinant de violence, mais rien n’est inventé. Enfin si : l’histoire avec le petit « h » d’Isaías mais le contexte historique est réel. Et c’est d’une violence insoutenable. Le livre se déroule sur deux époques : la jeunesse d’Isaías et son retour en Uganda pour témoigner lors d’un congrès. Au début du roman, Isaías vit une vie heureuse avec sa famille (sa mère, son père, sa grand-mère, sa sœur, son petit-frère) puis sa vie bascule dans l’horreur. Il sera enlevé, séquestré, « dressé », de victime deviendra bourreau, fera partie de ce qu’on appelle les enfants-soldats. Il tuera, massacrera, aimera aussi, devra faire des choix. Et il prendra la fuite, rejoindra l’Espagne, la ville de Barcelone où il refera sa vie, deviendra un autre (en apparence). Mais le passé est toujours là, bien enfoui au fond de lui. Et viendra le moment où le passé va se rematérialiser devant ses yeux, en la personne d’Emmanuel K qui l’invite à venir participer à un Congres en Uganda. Il va devoir affronter son passé, se raconter pour le faire sortir, se l’approprier, l’accepter et enfin l’intégrer et vivre avec. Il va du même coup devoir le raconter à ceux qui ne connaissaient pas sa vie d’avant, la future mère de son bébé en particulier. Ce roman n’est pas qu’un roman sur la tragédie des enfants-soldats, ces machines de guerre qui sont de fait des victimes avant d’être des criminels. C’est aussi un roman sur tous les enfants à qui l’on a volé leur enfance ; tous les enfants maltraités, battus, vendus, exploités, endoctrinés. Il en faut du courage pour s’accepter, comprendre qu’il n’est pas coupable de tout mais qu’il est aussi victime, du courage pour aller de l’avant et d’accepter le passé (un peu comme Miguel et Helena- le couple de « Par-delà la pluie » – mais la similitude s’arrête là).

Son retour sur les terres de son enfance est marqué par un accueil hostile et alors que les fantômes du passé surgissent, ils ne sont pas les seuls. Emergent aussi du passé les hommes qui l’ont façonné et qui vont réapparaitre, en chair et en os. Je ne vais pas vous raconter la suite mais croyez-moi, il y a de l’action. On est  au cœur de l’Afrique : L’Afrique avec ses traditions, ses légendes, ses sorciers, ses croyances. « L’homme est un loup pour l’homme » disait Hobbes. Dans ce roman le loup c’est transformé en lycaon et c’est encore bien plus dangereux !

Ce roman n’est pas un roman sur la vengeance ( un peu quand même parfois)  mais sur l’acceptation de soi; il dénonce des atrocités ; comme dans tous ses romans, le passé, les racines sont des thèmes récurrents ; le thème du racisme qui est bien présent. Racisme antinoir, racisme antiblanc, racisme contre l’étranger. Le thème du migrant est là aussi, la difficulté de fuir son pays, la pénibilité du voyage, la difficulté de se faire accepter à l’arrivée. L’amour est présent aussi avec Lowino et Lucía ; la trahison et la violence sont omniprésentes. Le thème de la famille est aussi bien là : la filiation, les conflits parents/enfants, les rapports frère/sœur. Sans oublier le thème de la faute, de la culpabilité, de la rédemption.

A chaque roman Victor del Arbol repousse les limites et il vient de franchir une nouvelle dimension. Un livre que je recommande vivement mais dont vous ne ressortirez pas indemne ! Plus qu’à attendre qu’il sorte en français pour ceux qui ne lisent pas l’espagnol…

Interview sur la RTS :  Point de fuite: Victor Del Árbol: avant les années terribles – Radio – Play RTS

Extraits :

Écrire, c’était comme sucer la morsure d’un serpent, aspirer le liquide venimeux et le recracher. Il paraît que les mots ont une vertu curative, mais je n’éprouvais aucun soulagement.
Escribir era como chupar la mordedura de una serpiente, sacar el líquido infeccioso y escupirlo fuera.

N’être rien nulle part est une chance. Cela signifie que tu es tout partout. Penses-y. Beaucoup d’identités qui s’affrontent dans un seul corps…
No ser nada en ninguna parte es una suerte. Significa que eres todo en todas partes. Piénsalo. Muchas identidades enfrentadas en un solo cuerpo…

On ne peut combattre la mort qu’avec la vie, et j’avais une alliée puissante.
A la muerte solo se la combate con la vida, y yo tenía una poderosa aliada.

— Les hommes ont besoin de bâtir leur légende, et ont besoin d’y croire. Les femmes se passent très bien de cette sorte de valorisation.
Los hombres necesitan construir sus leyendas, y necesitan creerlas. Las mujeres no necesitan esa clase de valor.

Les jours suivants, je découvris qu’il était plus difficile de dire la vérité que de mentir. La vérité n’a ni ornements ni trucs, elle est nue, décharnée, aride
En los días siguientes descubrí que decir la verdad es mucho más difícil que mentir. En la verdad no hay adornos ni trucos, es desnuda, descarnada, árida.

C’est une redoutable erreur de croire que les gens qui nous aiment sont, par le seul fait de nous aimer, stupides ou aveugles. Ou que leur patience est infinie. Si vous vous éloignez un peu trop, peut-être ne vous donneront-ils pas l’occasion de revenir. L’amour n’est pas un blanc-seing.
Es un tremendo error creer que las personas que nos aman son, por el hecho de amarnos, estúpidas o que están ciegas. O que su paciencia es infinita. Si te alejas demasiado quizá no te den la oportunidad de regresar. El amor no es una patente de corso.

Dans la culture des Acholis, la mort n’existe pas comme telle : il n’y a que des absents, des esprits qui vont et viennent entre les deux mondes, le visible et l’invisible, et qui veillent sur nous.
En la cultura de los acholi no existe la muerte como tal: solo ausentes que se convierten en espíritus que van y vienen entre ambos mundos, el visible y el invisible, y que nos vigilan y velan por nosotros.

Quel mal pouvons-nous supporter sans être brisés intérieurement ? Et quelle part de ce mal sommes-nous capables d’infliger à d’autres sans nous émouvoir ?
¿Cuánto daño podemos soportar sin rompernos por dentro? ¿Y cuánto de ese daño somos capaces de infligir a otros sin inmutarnos?

Ce que j’ai appris, c’est que parfois le dernier refuge de l’espoir est dans l’irrationnel. Et que même les personnes les plus sceptiques sont prêtes à accepter toute sorte d’aide quand elles sont désespérées.
Lo que aprendí es que a veces el último refugio de la esperanza está en lo irracional. Y que incluso las personas más escépticas están dispuestas a aceptar cualquier tipo de ayuda cuando están desesperadas.

Est-ce vrai que nous vivons plusieurs vies à la fois ? Quelque part, nous sommes peut-être des enfants à perpétuité.
¿Será verdad que vivimos muchas vidas a la vez? En alguna parte tal vez somos niños de manera perpetua.

 

Quelques informations :

Les Turkana sont une population d’Afrique de l’Est vivant principalement au nord-ouest du Kenya dans une région chaude et aride située à l’ouest du Lac Turkana, mais également en Éthiopie et à un moindre degré au Soudan du Sud.

Les Acholi sont une population d’Afrique de l’Est vivant principalement en Ouganda, au nord-est du lac Albert, mais également au Soudan du Sud. Cette région est parfois désignée sous le nom de « Acholiland » – une appellation non officielle. Les Acholi font partie du groupe Luo.

Joseph Kony : article Wikipedia ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Kony )

Image : Gardé celle de la couverture originale (légèrement aplatie et en noir et blanc)

5 Replies to “Del Arbol, Victor «Avant les années terribles » (RL2021) /Antes de los años terribles (2019)”

  1. Le choix de ta photo est judicieux, un vélo (qui rappelle le métier d’Isaïe) renvoie une image cabossée, roue voilée, abîmée tel Isaïe dans sa vie. Que rajouter de plus Cath sinon que c’est un livre éprouvant mais qu’on n’a pas envie de lâcher. L’histoire est dense, tumultueuse, riche en tout, par L’histoire elle-même : l’Ouganda et les enfantssoldats, par l’histoire des personnages, par ce qu’elle transmet comme messages : qui on est , pourquoi revenons nous toujours là où nous sommes nés au risque d’êtrattrapés rés par son passé. J’ai beaucoup aimé mais j’ai trouvé parfois le livre long peut-être trop éprouvant dans la longueur. On a envie que ça s’arrête, les tortures physiques, psychologiques, le rapt, etc…

    1. Ah c’est certain que c’est un livre qui marque, que j’ai gardé gravé en mémoire. C’est d’ailleurs le cas des livres de Del Arbol, ce qui démontre – si il fallait encore le démontrer – à quel point ils sont forts .

  2. Avec toutes les vagues de l’océan, pour moi ce n’est que le 2ème et je n’ai pas souvenir d’une écriture aussi puissante. Non pas par le thème en lui-même mais particulièrement lié à son écriture. Un mélange poétique, littéraire aussi dans la façon de décrire les paysages, qui les font ressortir avec plus de force mélés avec la brutalité des faits. Je ne vais donc pas m’arrêter en si bon chemin.
    Del Arbol était policier avant d’écrire ? Je me trompe peut-être.

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