Faye, Eric «Nagasaki» (2010)
Auteur : Eric Faye, né le 3 décembre 1963 à Limoges, est journaliste et écrivain. Il publie des romans et des nouvelles et livre aussi des récits de voyage dans « Mes trains de nuit » (2005), souvenirs de quinze années de pérégrinations à travers l’Asie et l’Europe, ou encore » En descendant les fleuves ; carnets de l’Extrême-Orient russe » (2011). Il est également l’auteur d’un essai sur l’œuvre d’Ismaël Kadaré paru en 1991 et complété la même année par un recueil d’entretiens avec cet auteur. Parmi ses recueils de nouvelles on peut citer « Je suis le gardien du phare et autres récits fantastiques » (1997), récompensé par le Prix des Deux Magots en 1998, « Les lumières fossiles et autres récits » (2000), « Un clown s’est échappé du cirque » (2005), ou « Quelques nouvelles de l’homme » (2009). Plusieurs de ses romans ont été récompensés, c’est le cas de « Croisière en mer des pluies » (1999), Prix Unesco-Françoise Gallimard, « L’homme sans empreintes » (2008), Prix François-Billetdoux, ou « Nagasaki » (2010) Grand Prix du roman de l’Académie française. En 2012, Éric Faye est lauréat de la Villa Kujoyama à Kyôto, période dont il tire un journal, Malgré Fukushima.
Stock – 18.08. 2010 – 107 pages / 05.10.2011 – J’ai lu – 94 pages (Grand Prix du Roman de l’Académie Française)
Résumé : Tout commence par des disparitions, des déplacements d’objets. Shimura-san vit seul dans une maison silencieuse qui fait face aux chantiers navals de Nagasaki. Cet homme ordinaire rejoint chaque matin la station météorologique de la ville en maudissant le chant des cigales, déjeune seul et rentre tôt dans une retraite qui n’a pas d’odeur, sauf celle de l’ordre et de la mesure. Depuis quelque temps déjà, il répertorie scrupuleusement les niveaux et les quantités de nourriture stockée dans chaque placard de sa cuisine. Car dans ce monde contre lequel l’imprévu ne pouvait rien, un bouleversement s’est produit. « Comme je l’apprendrais plus tard lorsqu’un inspecteur me rappellerait, les agents avaient trouvé porte close chez moi. Aucune fenêtre ouverte, ce qui les avait étonnés. Après avoir forcé la serrure, ils avaient été plus intrigués encore de ne mettre la main sur personne à l’intérieur. Or tout était bien fermé. Croyant à une farce, ils avaient failli repartir tout de suite. L’auteur de cette plaisanterie l’aurait payé cher, monsieur Shimura, me ferait-il remarquer. Par acquit de conscience, toutefois, ils avaient fouillé chaque pièce. C’est dans la dernière, la chambre aux tatamis ».
Mon avis : Un livre qui se distingue par son style d’écriture que j’ai trouvé magnifique. Un petit roman sur la solitude, sur le mal de vivre. Deux solitudes : celle d’un vieux météorologue de 56 ans et celle d’une femme qui a tout perdu. L’intervention de l’un va totalement déstabiliser les deux êtres et changer à jamais leur vie. Deux êtres solitaires, qui ne semblent pas très sympathiques à première vue, surtout le météorologue ! Un roman sur l’exclusion, sur deux types d’exclusion et de troubles de comportement en société. Un roman surprenant si comme moi, on a associé Nagasaki à bombe nucléaire ; qui au final n’est pas absente de ce roman… J’ai beaucoup aimé mais je ne vous en dirais pas davantage… pour ne pas déflorer la deuxième partie de l’histoire. Et comme il est tout petit… lisez le.
Extraits :
Au matin, mon esprit tatillon s’est employé à assembler les pièces du puzzle. Dans ces moments-là, le cerveau enquête, reconstitue, recoupe, déduit, décompose, juxtapose, suppose, suppute, soupçonne.
Il est possible de relier ces minuscules webcams à son téléphone portable et voilà ce que j’aurais dû faire, si le mien n’avait été antédiluvien (trois ans).
Plus tard, des rêves hachent mon sommeil. L’inconscient entre en éruption. Le passé s’écoule par des failles cachées et des prénoms subitement portés à incandescence me reviennent en mémoire.
Les objets qu’elle avait laissés en plan, ce matin, évoquaient une photo retirée trop tôt du bain révélateur. Cette nature morte d’ustensiles avait quelque chose d’Herculanum surpris par les gaz asphyxiants, et elle m’a fait soudain horreur.
il m’apparaissait que Nagasaki était longtemps resté comme un placard tout au bout du vaste appartement Japon avec ses quatre pièces principales en enfilade – Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu ; et l’empire, tout au long de ces deux cent cinquante ans, avait pour ainsi dire feint d’ignorer qu’un passager clandestin, l’Europe, s’était installé dans cette penderie…
Le nous meurt. Au lieu de se regrouper autour d’un feu, les je s’isolent, s’épient. Chacun croit s’en sortir mieux que le voisin et cela, aussi, c’est probablement la fin de l’homme.
La femme d’aujourd’hui sait qu’il ne faut pas laisser les souvenirs rebondir dans le palais des miroirs ; ils deviendraient fous, comme une mouette qu’on enferme par mégarde dans une salle.
Une pensée la traverse, qui sonne comme parole biblique : heureux les amnésiques, car le passé est souffrance.
Elle pose le stylo sur la feuille, de biais, à la fin de cette phrase : comme un tronc en travers du cheminement des pensées.
Je me dis qu’il faudrait inscrire dans toutes les constitutions du monde le droit imprescriptible de chacun à revenir quand bon lui semble sur les hauts lieux de son passé.