Chollet, Mona « Sorcières – La puissance invaincue des femmes » (RL2018)
Autrice : Autrice genevoise, Mona Chollet est journaliste au Monde diplomatique. Elle est notamment l’auteure de Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine et de Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique (Zones, 2012 et 2015). Lauréate du Prix européen de l’essai 2022 pour son livre « Réinventer l’amour »
Editeur Zones – 13.09.2018 – 231 pages – Prix de l’essai Psychologies-Fnac 2019
Résumé : La puissance invaincue des femmes qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur. Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
L’éditeur en parle : Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d’aujourd’hui de figure d’une puissance positive, affranchie de toutes les dominations. Qu’elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout.
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l’Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ? Ce livre en explore trois et examine ce qu’il en reste aujourd’hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante – puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant – puisque l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d’horreur.
Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
Mon avis :
Au travers de la littérature, de la peinture, du cinéma le monde de la sorcellerie est bien présent : entre les petites sorcières de « Charmed », Harry Potter, les sorcières de Salem, Samantha de « Ma sorcière bien-aimée ». Dans la mode et la cosmétique aussi, le charme fait partie du quotidien… d’ailleurs comme le souligne l’autrice, le vocabulaire demeure : le rituel du maquillage. La dictature de la beauté, de la jeunesse, la peur de la vieillesse.
La sorcellerie dans le passé : bien pratique pour se défaire de personnes qui dérangent : des épouses, des amantes, des accusatrices de toutes sortes, des jeunes filles victimes de viols : on les accuse de sorcellerie, de pratiques obscures, de s’adonner à la magie. Il convient toutefois de qualifier le passé. En effet dans l’Antiquité les magiciennes et les guérisseuses étaient vénérées. La mise en accusation des femmes dotées de pouvoirs remonte au XIè siècle et depuis n’a plus cessé même si on ne les brule plus mais qu’on les descend en flammes. L’église les a en ligne de mire car ce sont des « faiseuses d’anges » , le monde masculin de la science et de la médecine se refuse à tolérer leur concurrence.
Femme indépendante, sans enfants, célibataire ou veuve, généralement âgée, telle est la sorcière des temps modernes, dotée d’une force vitale autonome, d’un savoir accumulé, d’un intérêt pour la nature, d’une expérience qui lui vient du passé. Comme l’écrit l’autrice « L’histoire de la sorcellerie, pour moi, c’est aussi l’histoire de l’autonomie. »
Le livre aborde les thèmes de la soumission de la femme à l’homme, la condition faite aux femmes, met l’accent sur le sort réservé aux femmes esclaves (relisez Beloved (1987), de Toni Morrison), les questions liées à la contraception, l’avortement, le droit de décider ou non d’avoir un enfant, la violence sociale et morale vis-à-vis des femmes qui ne sont pas mères, la sexualité féminine. Les réflexions sur les cheveux gris ne sont pas anodines non plus : négligé pour les femmes, sérieux et posé pour les hommes…
J’ai beaucoup aimé les idées qu’elle véhicule sur le travestissement de la réalité en faisant semblant d’être jeune et jouer le rôle d’une personne qui ne nous correspond plus. Autre aspect intéressant : l’hypothèse selon laquelle la femme a beau faire tous les efforts pour rester jeune, il y a un gros risque que l’homme l’abandonne pour une jeunette et que ce n’est peut-être pas pour le coté physique, mais parce qu’une femme mûre, intelligente et avec l’expérience de la vie est moins facile à éblouir et manipuler qu’une perdrix de l’année… ce qui en fiche un coup au besoin de domination de l’homme… Ce qui fait peur, c’est l’assurance prise par les femmes au fil des années, c’est le fait qu’elles se montrent de plus en plus sures d’elles et moins malléables, à moins de craindre pour leur avenir car elles n’ont pas (ou peu) d’éducation et dépendent de leur partenaire pour leur subsistance et ne sont pas/ne se sentent pas capables de s’en sortir seules. La peur de s’exprimer est toujours là, même si les femmes connaissent la réponse, elles ont la crainte de se tromper. Certaines disciplines les effraient, il suffit de prononcer certains mots comme algèbre ou mathématiques pour déclencher encore le reflexe du « ce n’est pas pour moi ». Je mentionne encore deux thèmes largement abordés : la médecine et le rapport avec la nature et j’espère vivement vous avoir donné l’envie de lire ce livre !
Je ressors de cette lecture avec une liste de livres à lire et en particulier le livre de la regrettée Aline Kiner, « La Nuit des béguines », une histoire de femmes puissantes et émancipées au Moyen Âge (24/08/2017 Liana Levi – 329 pages)
Extraits :
Plus encore que par les pouvoirs magiques de la sorcière, j’étais impressionnée par l’aura qui émanait d’elle, faite de calme profond, de mystère, de clairvoyance.
Dans la conscience collective, les chasses aux sorcières qui se sont déroulées en Europe, essentiellement aux XVIe et XVIIe siècles, occupent une place étrange.
En 2016, le Musée Saint-Jean de Bruges a consacré une exposition aux « Sorcières de Bruegel », le maître flamand ayant été le premier peintre à s’emparer de ce thème.
Des exécutions ont encore eu lieu à la fin du XVIIIe siècle, comme celle d’Anna Göldi, décapitée à Glaris, en Suisse, en 1782. La sorcière, écrit Guy Bechtel, « fut une victime des Modernes et non des Anciens».
l’Inquisition, avant tout préoccupée des hérétiques, a très peu pourchassé les sorcières ; l’écrasante majorité des condamnations ont été le fait de cours civiles. En matière de sorcellerie, les juges laïcs se sont révélés « plus cruels et plus fanatiques que Rome».
À Genève, sous Calvin, on exécuta trente-cinq « sorcières », au nom de deux lignes de l’Exode qui disent : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne. »
La magie a « ses symboles et ses mantras » ; les marques ont « leurs logos et leurs slogans »
De même, le mot anglais glamour (comme le mot français « charme ») a perdu son ancien sens de « sortilège » pour signifier simplement « beauté », « éclat »
Derrière la figure fameuse de la « célibataire à chat », laissée-pour-compte censée être un objet de pitié et de dérision, on distingue l’ombre de la redoutable sorcière d’autrefois, flanquée de son « familier » diabolique.
« Choisissez “Miss” et vous voilà condamnée à une immaturité infantile. Choisissez “Mrs” et vous voilà condamnée à être le bien meuble d’un type. Choisissez “Ms” et vous devenez une femme adulte pleinement responsable de sa vie »
Conquérir le monde tout seul représente le destin le plus romantique qu’ils puissent imaginer, en espérant qu’une femme ne viendra pas tout gâcher en leur mettant le fil à la patte. Mais, pour une femme, la perspective de tracer son chemin dans le monde est dépeinte comme triste et pathétique aussi longtemps qu’il n’y a pas un type dans le tableau.
Les démonologues de la Renaissance ne pouvaient même pas concevoir une autonomie totale des femmes : à leurs yeux, la liberté de celles qu’ils accusaient de sorcellerie s’expliquait par une autre subordination ; elles étaient forcément sous la coupe du Diable, c’est-à-dire encore soumises à une autorité masculine.
« Une épouse sans enfant » écrivait : « J’ai constaté que si les femmes étaient dominées, c’était toujours parce qu’elles avaient des enfants et pas d’argent, la présence des premiers empêchant l’obtention du second. J’ai découvert qu’une somme d’argent suffisante, honnêtement gagnée, pouvait permettre d’acquérir la liberté, l’indépendance, l’estime de soi et le pouvoir de vivre sa propre vie»
« quand Dieu a dit : “Croissez et multipliez”, il n’y avait que deux personnes sur Terre ».
Il ne s’agit pas de prétendre que tout est formidable dans le fait de vieillir ; mais il faudrait arrêter de considérer la vie comme une colline dont on se met à dévaler la pente en roue libre à partir de trente-cinq ans
Dans Une apparition, Sophie Fontanel énonce sa philosophie : « Les femmes ne sont pas condamnées à rester telles qu’elles ont été dans leur jeunesse. Elles ont le droit de s’enrichir d’un autre aspect, d’une autre beauté. »
Les classiques des studios Disney tels que Blanche-Neige et les sept nains ou La Belle au bois dormant « mettent en scène un affrontement générationnel entre de vieilles sorcières et de jeunes beautés, faisant ainsi reposer la valeur d’une femme sur sa fertilité et sa jeunesse – jamais sur une sagesse durement acquise », observe Kristen J. Sollee
L’enfance se caractérise par une capacité de perception et d’imagination fabuleuse, dont on peut garder la nostalgie sa vie durant, mais aussi par une vulnérabilité et une impuissance franchement pénibles. Il y a une sorte de volupté à mesurer tout ce qu’on a compris, appris, gagné au fil des années, et à sentir que cette aisance fait boule de neige.
On peut présumer qu’une crinière blanche fait resurgir le spectre du sabbat, d’une sorcière qui donne libre cours à ses désirs, qui échappe à toutes les entraves.
Parfois je dis des âneries par ignorance, mais parfois aussi j’en dis parce que mon cerveau se fige, parce que mes neurones s’égaillent comme une volée d’étourneaux et que je perds mes moyens. Je suis prisonnière d’un cercle vicieux : je sens la condescendance ou le mépris de mon interlocuteur, alors je dis une énormité, confirmant ainsi ce jugement à la fois aux yeux des autres et aux miens.
La femme qui causait du désordre, comme la nature chaotique, devait être placée sous contrôle. » Une fois jugulées et domestiquées, toutes deux pourraient être réduites à une fonction décorative, devenir des « ressources psychologiques et récréatives pour le mari-entrepreneur harassé »
Au XIXe siècle, la nature, enfin domptée, pourra être dépeinte sous les traits d’une femme docile qui n’oppose plus de résistance aux assauts de la science.
« Ce furent les sorcières qui développèrent une compréhension approfondie des os et des muscles, des plantes et des médicaments, alors que les médecins tiraient encore leurs diagnostics de l’astrologie »
Dossier sur la dernière sorcière brulée à Geneve qui s’appelait Michée Chauderon (cela ne s’invente pas) : voir article