Tallent, Gabriel «My absolute darling» (2018)

Tallent, Gabriel «My absolute darling» (2018)

Auteur : Gabriel Tallent est né en 1987 au Nouveau-Mexique et a grandi en Californie. Il a mis huit ans à rédiger « My Absolute Darling », son premier roman qui a aussitôt été encensé par la critique et fait partie des meilleures ventes aux États-Unis. Il vit aujourd’hui avec sa femme à Salt Lake City.

Gallmeister (Americana) – 1.3.2018 – 453 pages / Gallmeister Totem- 3.10.2019 – 480 pages – Laura Derajinski (Traducteur)

Prix America du meilleur roman étranger 2018 – Prix de l’Héroïne de Madame Figaro 2018 – Prix Marianne d’Un aller-retour dans le Noir 2018 – Prix Lucioles des lecteurs 2018 – Prix Libr’à nous 2019 – Prix Mystère de la critique 2019

Résumé : A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif.
Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie. « My Absolute Darling » a été le livre phénomène de l’année 2017 aux Etats-Unis.
Ce roman inoubliable sur le combat d’une jeune fille pour devenir elle-même et sauver son âme marque la naissance d’un nouvel auteur au talent prodigieux.

Mon avis : Livre dur, violent, parfois à la limite du soutenable mais livre exceptionnel. Ce dont je suis certaine c’est qu’il fait partie des lectures que je ne vais pas oublier. Quant à lui décerner le « coup de cœur » c’est non. Trop dérangeant… mais impossible à lâcher.

La peur de ressembler à son père. Une peur qui relie le grand-père, le père et la fille. Le poids de l’hérédité. Le père de Turtle est comme il se doit un être que nous ressentons comme un être monstrueux. Sa manière d’aimer sa fille est pour le moins discutable !  Et pourtant il l’aime, à sa façon, mal, mais avec tout son être. Un amour absolu, destructeur, exclusif, qui ne laisse de place à personne. Un amour dévorant qui fait de sa fille, sa chose, sa propriété et gare à qui osera s’approcher ! Mais cette attitude est dictée par le rapport entre le grand-père et le père, un être auquel il ne veut pas ressembler car il le ressent comme néfaste. Malheureusement, la copie n’est pas mieux que l’original ; les chiens ne font pas de chats comme le dit le proverbe. Et qu’adviendra-t-il de la suite de la lignée? Turtle suivra-t-elle la voie ?

Turtle, une jeune fille de 14 ans qui vit avec son père une histoire d’amour père-fille fusionnelle, mais qui dérape violemment et sexuellement. A la vie, à la mort… Une relation malsaine, faite d’amour, de haine, de peur, de rivalité, de défis.

Jusqu’au jour où une fillette fait irruption dans la vie de ce couple père-fille. Et là, Turtle voit sa carapace se fendre, elle va devoir décider si elle veut suivre sa propre route, tracer son propre chemin ou si elle va continuer à se plier à la volonté de son père, se courber et choisir la facilité en ne choisissant pas sa voie. Un livre sur l’importance de croire en soi, de faire ses propres choix et de s’y tenir, qui montre que malgré toutes les apparences, il est envisageable de lutter pour s’en sortir et vivre selon ces convictions, même si il faut se faire violence et aller au-delà de ses sentiments. Un livre sur la détermination, sur le choix que nous avons de nous relever ou de nous laisser couler et asservir, qui nous donne une directive : il faut aimer les autres pour leur bonheur et non pas pour notre profit exclusif.

Mis à part le fait que ce roman est prenant et violent, il y a toute la réflexion sur notre monde qui détruit la nature, sur l’extinction des espèces, sur la disparition de l’habitat naturel des animaux, sur la pollution de l’eau, de l‘air, sur la dégradation de notre monde, sur un mode de vie qui privilégie argent et facilité. C’est un roman sur la survie en milieu hostile, sur la faculté à vivre en observant la nature. C’est un livre sur le courage, sur l’obstination, sur l’importance de chercher à comprendre les autres. C’est aussi un livre qui parle du danger que représentent les armes à feu.

Alors un livre percutant, c’est le moins qu’on puisse dire. Parfois le vocabulaire et la Façon d’écrire sont en adéquation avec la violence du récit, ce que je comprends mais que je n’apprécie pas trop. Mais parfois la plume de l’auteur nous parle de la nature, des éléments déchainés, de la forêt, de la mer démontée, des plantes et c’est juste très beau.

Au final, j’ai mis du temps avant de me lancer mais je ne le regrette pas.

Extraits :

Nous traversons une époque à la fois palpitante et terrible. Le monde est en guerre dans le Moyen-Orient. Le carbone dans l’atmosphère approche des quatre cents ppm. Nous sommes témoins de la sixième grande extinction des espèces. Au cours de la prochaine décennie, nous connaîtrons le pic de Hubbert. On l’a peut-être même déjà franchi. Nous semblons poursuivre l’utilisation de la fracturation hydraulique, ce qui représente un risque, certes différent, mais bien présent quant à nos ressources en eau potable. Et malgré tous vos efforts, nos enfants pensent toujours que l’eau arrive par magie dans leurs robinets.

Le bus s’arrête dans un grincement, et dans le soupir épuisé des protections en caoutchouc, les portes s’ouvrent brusquement.

Elle veut couvrir du terrain. Partir, fuir dans les bois reviendrait à ouvrir le barillet de sa vie, à le faire tourner et à le refermer.

Le moment viendra où ton âme devra être solide et pleine de conviction, et quelle que soit ton envergure, ta rapidité, tu gagneras seulement si tu sais te battre comme un putain d’ange tombé sur terre, avec un cœur absolu et une putain de conviction totale, sans la moindre hésitation, le moindre doute ni la moindre peur, aucune division qui risque de monter une partie de toi-même contre l’autre. Au final, c’est ce que la vie exige de toi. Pas d’avoir une maîtrise technique mais un côté impitoyable, du courage et une singularité dans tes objectifs.

Elle a besoin de temps, besoin de rester assise et de trier ses pensées comme on trie des pois dans une passoire.

Demande voir un jour, demande voir à quelqu’un ce qu’il ferait si la fin arrivait. Vas-y, demande-leur, il y en aura une partie qui te dira qu’ils se laisseraient simplement mourir, et parmi ceux qui n’auront rien dit, certains le penseront aussi. Les gens sont satisfaits de vivre si la vie est facile. Si ce n’est plus aussi facile…

Si tu commences à déformer les choses, tu risques de ne plus jamais pouvoir les reformer. C’est peut-être comme l’audition, elle ne revient pas, et chaque jour qui passe te prive d’une partie de toi-même.

Que j’ai peur d’échouer et que pour cette raison, j’ai trop peur d’essayer ? Est-ce étrange qu’ils aient vu la même chose en moi, mon hésitation, ce doute envers moi-même qui me paralyse ? Elle pense, Tu es vouée à commettre des erreurs, et si tu n’es pas prête à en commettre, tu seras à jamais retenue en otage au commencement des choses, il faut que tu arrêtes d’avoir peur, Turtle. Tu dois t’entraîner à être rapide et réfléchie, ou un jour, l’hésitation te foutra en l’air.

Elle n’arrive pas à imaginer que sa vie puisse changer, elle n’arrive pas à imaginer comment le repas de ce soir pourrait aboutir à quoi que ce soit, elle n’arrive pas à imaginer comment cela pourrait mal tourner. Sa vie tout entière, son cours, les gens qui y évoluent, tout lui semble si immuable et il y a peut-être des difficultés, et il y a peut-être des désaccords, mais ça ne mènera à rien.

Il paraît qu’on peut connaître quelqu’un en le regardant dans les yeux, qu’ils sont le miroir de l’âme, mais j’ai beau regarder dans les tiens, c’est tout noir

Elle a l’impression qu’on lui a arraché quelque chose dans les tripes, les racines et tout le reste, un grand aulne, et à la place ne demeure plus qu’un vide écœurant, mais c’est tout ce qu’elle éprouve, pas de chagrin, rien.

C’est horrible à dire mais c’est plus simple de lâcher prise et de te laisser couper en deux que de t’accrocher, de persévérer, de souffrir sans savoir ce qui va se passer. C’est ça, le courage. Prendre ta putain de vie en main, quand ça semble la chose la plus difficile à faire. Personne n’y pense jamais. Les gens sont tous persuadés qu’ils prendraient la bonne décision, mais c’est faux. Ils ne comprennent pas à quel point c’est effrayant.

Elle pense, Au moins tu as ça : tu t’as toi-même, tu peux faire ce que tu veux de toi-même

Il ne veut pas me faire mal. Il m’aime plus que la vie elle-même. Il n’est pas toujours parfait. Parfois, il n’est pas vraiment l’homme qu’il voudrait être. Mais il m’aime comme personne n’a jamais été aimé. Je pense que ça compte plus que tout.

Je ne crois pas qu’il m’aimait, ou s’il m’aimait, c’était d’une façon très inadaptée. Toutes les erreurs qu’il a commises, je les ai retenues contre lui et je me disais toujours, Je ne commettrai jamais les mêmes erreurs.

Comment j’ai pu devenir l’homme que je suis aujourd’hui, bloqué dans mes convictions, effrayé comme il l’était, buté comme il l’était, incapable du moindre compromis comme il l’était, et je déteste tout ça, je n’ai jamais voulu être ce genre d’homme, et je pensais… Putain ! Je l’ai vu descendre vers cette obscurité sans dieu, et je t’ai vue… je t’ai vue, et tu sais ce que tu es ? La seule chose numineuse et sacrée dans ce monde sombre et profane, et sans toi, tout n’est que nihilisme. Tu comprends ?

Non, ça ne peut pas être la conclusion, je ne suis pas comme toi. C’est impossible. Ces parties de toi que je rejette, je les rejetterai pour toujours, et je ne découvrirai pas au final que je suis comme toi.

Ton père a grandi dans une haine absolue de lui-même, dans un sentiment de rejet total et dévastateur, et c’est comme ça qu’il vit aujourd’hui. Mais il t’a aimée. Il t’a foutument aimée. Comment a-t-il pu trouver les ressources en lui, tu ne le sauras sans doute jamais. Toute cette force en toi, elle vient de lui. L’étincelle en toi, la moindre foi que tu portes à toi-même, tout ce qui, en toi, résiste à la pourriture, tout ça vient de lui. Il n’a jamais eu ça pour lui, mais il l’a trouvé pour toi. Et il devait pressentir ce monde pour lequel il te préparait, ce à quoi il allait devoir renoncer. Elle tremble. Et peut-être, pense-t-elle. Peut-être que tout ira bien. Et si c’est le cas, pense-t-elle, c’est parce qu’il t’aura tout donné. C’est ce qu’il a de meilleur.

Tu n’arrêtes pas de renoncer. Tu n’arrêtes pas de renoncer comme ça. Ce que tu veux véritablement, pense-t-elle, c’est ne pas avoir le choix.

On est là, dit-il, aux limites de l’incertitude, et on s’interroge non seulement sur les particularités d’un tel instant, mais de tous ces instants. Qu’est-ce qui se tapit derrière le visible ?

Info : Synecdoque. Une figure de style dans laquelle la partie représente le tout. “La couronne est mécontente.”

Photo : prise à Oman

4 Replies to “Tallent, Gabriel «My absolute darling» (2018)”

  1. Toi, tu arrives à parler de ce formidable roman.
    Pour ma part, je n’ai pas réussi à parler de ce roman en le refermant. Trop de sentiments mélangés, trop d’émotion. Le temps passe et malgré le recul, je n’y arrive toujours pas. Peur que mon commentaire ne soit pas à la hauteur de ce roman exceptionnel.

  2. ATTENTION : pépite !!! Car au-delà de l’horreur du drame de la violence il y a ces mots mis bout-à-bout qui sont d’une incroyable poésie. Des mots poétiques dans un endroit de violence pour que perdure l’espoir que l’humanité peut subsister dans ne serait-ce que son infime once de petite parcelle qui parfois ne demande qu’à grandir…
    Mais ce qui m’a interpellé le plus dans ce livre c’est qu’il subsiste un amour un vrai amour de la part de la victime envers son tortionnaire. Et on le voit régulièrement dans les témoignages. Et c’est pourquoi parfois ou souvent je ne sais pas les victimes ne les dénoncent pas.
    Et si toutefois vous êtes rebutés par le sujet du livre ne croyez pas que ce sujet principal est omniprésent à toutes les pages c’est un livre qui est traité avant tout comme un thriller avec beaucoup de suspense bref haletant.
    À découvrir absolument c’est un coup de cœur coup de poing pour moi.

    1. C’est incontestablement un bon bouquin, intelligent, qui aborde des thèmes d’actualité et avec des personnages qui marquent mais tellement percutant qu’il manque le petit je ne sais quoi de tendresse qui fait vibrer le côté « aimer » .. et pourtant…

    2. « un coup de cœur coup de poing », c’est exactement ça ! Ce livre est effectivement une pépite. Dans la masse des livres qui sortent tous les mois au point que l’on ne sait plus trop quoi choisir, en voici un à retenir.

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