Delalande, Arnaud « Le piège de Lovecraft » (04/2014)

Delalande, Arnaud « Le piège de Lovecraft » (04/2014)

Auteur: Arnaud Delalande, né le 1 janvier 1971 à Herblay-sur-Seine, est un écrivain et scénariste de bande dessinée français. Après des études à Pontoise, une hypokhâgne et une khâgne aux lycées Chaptal et Victor Duruy (Paris), puis une licence d’histoire, il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris en 1994.
Saga Viravolta, l’Orchidée Noire : Le Piège de Dante (Grasset, 2006) – Les Fables de sang (Grasset, 2009) – Notre espion en Amérique (Grasset, 2013) – Révolution 1 : Le Cœur du Roi (Grasset, 2017) – Révolution 2 : Le Sang du Roi (Grasset, 2017)
Autres Romans : Notre-Dame sous la Terre (Grasset, 1998) – L’Église de Satan: Le Roman des Cathares (Grasset, 2002) – La Musique des morts (Grasset, 2003) – La Lance de la destinée (Robert Laffont, 2007) – Le Jardin des larmes (Grasset, 2011) – Le Piège de Lovecraft (Grasset, 2014) – Drôles de petites bêtes, le roman du film (2017) – Memory (Cherche-Midi, 2021)

Résumé de l’éditeur (Grasset) : « J’ai lu le livre qui rend fou. Le Necronomicon. Et aujourd’hui ils m’ont enfermé. Qui que vous soyez, où que vous soyez, si vous tombez sur un exemplaire de ce livre démoniaque, croyez-moi : fuyez-le, brûlez-le – même si cela ne suffira pas à le détruire – mais par pitié : ne l’ouvrez pas…. »

David cherche à comprendre les raisons qui ont poussé un de ses camarades à perpétrer un carnage abominable sur le campus de Laval, au Québec. Retrouvant les œuvres récemment empruntées par cet étudiant, David se voit piégé à son tour par les livres maudits, dont le fameux Necronomicon de l’écrivain H.P. Lovecraft … Pris dans l’univers du romancier, il bascule à son tour…

Dans la lignée du Piège de Dante, traduit dans près de vingt pays, Arnaud Delalande revient avec un thriller angoissant et fantastique, qui est aussi une méditation sur le pouvoir des livres sur notre imaginaire.

Mon avis : A la recherche du livre disparu, j’ai plongé avec frissons dans l’univers du fantastique, entre réel et fiction, en compagnie de Lovecraft, Stephen King, Borges et quelques autres invités glauques et mysterieux… J’ai suivi un homme qui se sent devenir fou, dépassé par les événements, qui ne sait plus où se situe la frontière entre réel et imaginaire… J’ai adoré ce voyage en compagnie d’un auteur qui rend un hommage passionné à Lovecraft. Le livre est diaboliquement bien construit, un voyage entre horreur, épouvante et fantastique… Thriller psychologique où un homme tente de ne pas basculer dans la folie (mais il y est peut-être déjà ?) dans un environnement angoissant … des vieilles maisons abandonnées, des vols d’oiseaux, des portes dérobées, des arbres effrayants… tout est là pour distiller peur et angoisse. Et la peur est engendrée par l’imagination, par ce qui pourrait arriver, par la représentation que l’on se fait de la peur.. Impossible de faire confiance dans ce monde … Qui se cache derrière les personnes que l’on fréquente ? Peut-on leur parler ? Est-ce le mal personnifié ? Et c’est parti pour mener une quête sur des tueurs pas comme les autres… qui ont été poussés à tuer par un livre maudit…

Je ne m’en sors plus ! entre ma lecture récente du livre de Pierre-Yves Tinguely « Codex Lethalis » et ce livre, l’univers du mal virtuel est tout autour de moi. Jamais plus je ne vais regarder les ordinateurs et les livres de la même façon..

J’ai adoré ! Un  thriller fantastique et ésotérique qui tient en haleine d’un bout à l’autre! Et comme le dit l’auteur, je me suis fait absorber par le livre,« enlivrer vivante»…

Mais si cela avait été un film.. je crois que j’aurais eu peur de regarder ! J’avais déjà beaucoup aimé d’autres livres de cet auteur (« la lance de la destinée » et surtout « Les Fables de sang » ); cela me donne envie de partir à la découverte de Venise en compagnie du « Piège de Dante » et de me promener en pays cathare en visitant son « Eglise de Satan ».. à suivre donc…

Extraits :

Qu’est-ce que le Mal ? Telle était la question que je me posais alors. N’était-ce qu’un manque, selon la définition de la philosophie classique ? Fallait-il le réduire à la souffrance

Dans cette révélation de l’essence du fantastique, miroir de l’angoisse liée à l’incertitude cruciale de notre condition, Lovecraft avait porté la cagoule de la littérature populaire, mais s’était employé à développer des visions essentielles qui, selon certains exégètes, devaient alimenter par la suite le moulin des existentialistes.

Et lorsque je tenais ces livres entre les mains, éprouvant leur simple poids, leur réalité inerte, faisant de ces assemblages de papier des amis, il me paraissait bien absurde de voir dans ces éditions très officielles le vecteur de je ne sais quelle indicible malédiction dont Spencer aurait été l’objet. Après tout, ce n’étaient que des livres, n’est-ce pas ?

Une fois de plus, mon esprit mélangeait les impressions et les faits, le passé et le futur, au point de reconstituer ce ballet sans plus savoir ce qui relevait du réel et du songe – ou de ces livres

Je cherchais mes mots, ne sachant jusqu’où pousser mes confidences, craignant moi-même de me retrouver trop exposé à ces souvenirs qui, à mesure que je les formulais, revenaient avec une acuité déconcertante.

Et pour quelqu’un comme votre serviteur, chercheur et jeune écrivain, cette postérité, qui a priori ne reposait sur rien, sinon du vent – ou du moins, sur le seul pouvoir de l’imagination – était

une inépuisable source d’étonnement. Lovecraft avait inventé un livre si monstrueux qu’il faisait irruption malgré lui dans la réalité. Dès lors, l’idée de percer le secret obscur de cette création ne cessa de me tarauder.

On pouvait fouiller toutes les caves, tous les greniers, les chapelles obscures, les châteaux en ruine, les bibliothèques oubliées, les égouts putrides, les vestiges de civilisations immémoriales, à la recherche de sinistres révélations et de manifestations terrifiantes des Grands Anciens : le Necronomicon n’existait que sous une forme métaphorique, celle d’une œuvre littéraire, un prodige ensorcelant de la littérature fantastique, un fantôme immense et tenace dans la forêt de notre imaginaire collectif. Et c’était bien cela, d’ailleurs, cela et rien d’autre, qui le rendait si réel.

L’imagination a parfois plus de réalité que la réalité elle-même, pour qui se laisse piéger…

le fantastique traite de beaucoup de choses qui existent ou qui n’existent pas. C’est même le principe, en littérature fantastique : soit c’est cela… soit c’est cela. Mais la notion d’existence n’a pas de signification

Le réel est une image recomposée par nous, en fonction de nos sens, de nos présupposés, de notre vision du monde

— L’important est moins ce qui est que ce que nous croyons être. Et cette réalité peut être plus réelle que le réel

N’était-ce pas l’objectif, le point culminant de toute son œuvre, son but inavoué et inavouable, parce que impossible, le fantasme ultime de l’écrivain – écrire un Livre définitif, le Livre impossible, englobant le Tout, existant Partout et pourtant Nulle Part ? L’absolu de la confluence entre le réel et le virtuel. Le numérique avant la lettre !

Juste une question. Tu ne crois tout de même pas… qu’un livre puisse rendre fou ? Qu’un livre puisse… tuer, par la seule force de son contenu ? Sa seule… puissance ? Comme un feu nucléaire ?

Les œuvres ont une fonction… Elles servent d’exutoire, d’exorcisme ! La violence n’est pas une conséquence, c’est une donnée de départ de notre nature – non ? On peut aussi bien dire que c’est un moyen de la contrôler, au contraire. Pour qu’elle reste du domaine des fantasmes !

il devait être midi et pourtant, le ciel bas, les nuages noirs et l’air épais donnaient aux environs des allures crépusculaires

Un océan de feuilles mortes et balayées par le vent se déroulait sous mes pieds. Les conifères montaient vers le ciel, leurs troncs oppressants se faisaient plus impénétrables encore, le vent chuchotait dans ces profondeurs, et l’odeur pernicieuse qui commençait de me parvenir me suggéra que je touchais au but

son discours sur l’imagination plus réelle que le réel, aux représentations qui nous gouvernent. Tout, disait-il, est affaire de point de vue – et ce point de vue, ce nombre d’or n’était plus pour moi qu’un nœud fuyant, le point de fuite, oui, d’un tableau impossible, expressionniste et biscornu, qui paraissait violer toutes les lois de la perspective. J’étais en face d’une figure hallucinatoire et d’un motif géométrique impossible et abstrait ruinant les vieux édifices euclidiens, en face d’un vortex entortillé qui…

Comme si les deux univers coexistaient, celui familier et normal où mes pas m’avaient conduit le matin même, et celui où je me trouvais à présent ; comme s’ils pouvaient communiquer, dimensions juxtaposées reliées par un passage inconnu, miroir à deux faces d’une même réalité

De tout temps, on a su instrumentaliser les superstitions

Un virus, comme un virus informatique géant, une souche numérique qui se propage. A la mesure de la mondialisation et de l’interconnexion.

Un gigantesque livre, un arbre mondial ! La folie Lovecraft…, me contentai-je de murmurer. La technique rejoignant la mystique du Livre.

Lovecraft est né « un jour où le ciel a explosé », comme l’a dit joliment un de ses commentateurs, en une fin de siècle, au carrefour des craintes et des espoirs de l’humanité

Tous figuraient dans ce bestiaire, dans ma bibliothèque-musée imaginaire, cet arbre à l’efflorescence putride ; et ils composaient dans mon esprit une sorte de longue, d’infinie Chaîne du Mal, une chaîne dont les maillons survolaient l’abîme du temps ! Une image assez fidèle de l’ADN même de ce Mal, comme si tous étaient porteurs du gène impie, ou du virus qui n’avait cessé de se répandre à travers toutes les époques, sur tous les territoires. Ce bréviaire immonde se déroulait en moi avec une minutie absurde et glaçante.

Déambulant dans l’univers de Lovecraft, de King, de Borges, de Houellebecq, dans celui des livres qui n’existaient pas. Un « Libermaléficonaute » – un voyageur, un navigateur parmi les Livres maudits. Avec la faculté de basculer à volonté d’un livre fou à un autre, dans les méandres de la littérature fantastique

Prisonnier d’un livre ! Enlivré vivant

Pourrais-je jamais revenir en arrière, retrouver mon chemin dans le dédale que j’avais traversé ? Et ces monstres qui me suivaient… Etaient-ils là, toujours, en gardiens tapis dans l’ombre ? Qui étaient-ils ?

Les mots avançaient en cadence, en bons petits soldats, avec leurs ronds, leurs pleins et leurs déliés, leurs barres et leurs casques à pointe, une-deux, une-deux, petites flammèches de sens déroulant leur fanfare, et dans ce défilé, ils semblaient sauter un à un à mon regard.

Sa mémoire, comme la nôtre, était une infinie bibliothèque ; les tiroirs s’ouvraient lentement, certains s’obstinaient à rester fermés

Nous autres écrivains, nous ne sommes que des pilleurs de tombes… Nous nous repaissons comme des vers des influences des autres… N’est-ce pas ?

Si vous lisez ces lignes, c’est qu’il est déjà trop tard ! Le virus de la lecture, de l’écriture est déjà en vous

2 Replies to “Delalande, Arnaud « Le piège de Lovecraft » (04/2014)”

  1. Tu m’as donné très envie de lire le livre ! Déjà, le concept me séduisait, mais j’adore ton enthousiasme ! (Tu as écrit « ququete » au lieu de quête vers la fin du premier paragraphe de « Mon avis »)

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