Chevrier, Jean-Marie « Madame » (08/2014)
Et voilà.. Ma première lecture de la Rentrée Littéraire 2014..
Résumé de l’éditeur (Albin Michel) C’est une étrange éducation que Madame, veuve excentrique et solitaire, s’obstine à donner au fils de ses fermiers dans un lointain domaine menacé par la décadence. Que cherche-t-elle à travers lui ? Quel espoir, quel souvenir, quelle mystérieuse correspondance ? Curieusement, le garçon accepte tout de cette originale.
Avec elle, il habite un autre temps que celui de ses parents et du collège. Un temps hanté par l’ombre de Corentin, l’enfant perdu de Madame. C’est dans ces eaux mêlées que nous entraîne l’écriture secrète, raffinée, et cruelle jusqu’à la fascination de Jean-Marie Chevrier.
Mon avis : Château en ruine, huis clos hors de l’espace et du temps, bien que se situant de nos jours (il y a la télévision) en France. Tout est intemporel, de la façon de s’habiller à la façon d’agir ; la relation entre les personnages est un rapport Châtelaine/métayer du temps passé. Au début, « Madame » est présentée comme une vieille aristocrate solitaire et originale qui souhaite donner une bonne éducation à ce jeune qui n’aurait pas eu cette chance dans son milieu et de la difficulté pour le jeune garçon d’être écartelé entre l’amour de deux femmes qui sont à l’opposé l’une de l’autre et de la difficulté d’être mère. La mère biologique n’arrive pas à communiquer son amour à son enfant (mais on sent qu’il y a de l’amour dans la famille du jeune garçon qui s’inquiète de la situation mais ne peut rien faire) et la vieille femme – inquiétante, et machiavélique – qui fait tout pour que le jeune garçon tombe dans ses filets. S’ajoute à cela le fait que la famille du jeune garçon est employée par Madame l’aristocrate et de ce fait économiquement dépendante, ce qui fait qu’il lui est impossible de se révolter. Un roman sur la manipulation aussi… mais qui manipule qui ? la vieille dame ? le jeune garçon ? Passé, mort et mystère sont toujours présents. Une très belle approche de la relation entre la poésie et la vie. Et un dénouement très inattendu. J’ai bien aimé mais ce n’est pas un vrai coup de cœur..
Extraits :
Elle dit : regarde-moi. Elle lui prend le visage entre les mains, plonge ses yeux dans les siens… Elle a le pouvoir d’aller fouiller en lui, au plus profond, où lui-même n’atteint pas. Il lui ouvre le passage de son âme, il lui en facilite l’entrée, les yeux
Il imagine la suite de l’histoire pour voir si, le lendemain, en reprenant sa lecture, l’auteur aura eu les mêmes idées que lui
le monde est plus vaste que l’horizon où s’arrêtent nos yeux
Elle s’appelle Madame. Quelqu’un a-t-il jamais pu l’appeler autrement ?
force de vivre coupé entre deux maisons, face à trois personnes, il s’est habitué à changer de conduite selon son interlocuteur, lui donnant, croit-il, ce qu’on attend de lui. Il ne reste lui-même pour lui-même qu’au prix d’une force rageuse qu’il sent bouillir dans son cœur
l’alliance de deux ruines n’a jamais constitué une fortune
tu n’imagines pas le nombre de livres qu’il m’a fallu pour oublier les soirs d’hiver qui commencent tôt et ceux d’été, qui n’en finissent pas. Tu n’imagines pas
C’est tout ce qui restait de sa noblesse, la noblesse de canne avait remplacé la noblesse d’épée
Les auteurs n’imaginent pas la responsabilité qu’ils endossent en proposant leurs divagations à des esprits perdus ou crédules
On ne peut pas vivre sans religion. Il a l’air ahuri. Ses parents ne semblent pas s’en trouver mal. – Un autre monde se cache derrière les apparences, poursuit-elle. Il faut que tu ailles y faire un tour. Après tu verras ce que tu
La poésie a posé sur elle un voile de douceur comme cette voilette, dont souvent parle Baudelaire, que les femmes abaissaient pour se protéger du regard du monde
Une âme, si belle soit-elle, ne saurait parler d’elle sans la grammaire
la plus belle qualité de Tintin est d’être sans âge. Il est né comme il est. Il dure comme il fut créé et tous les enfants qui le lisent ont son âge
Le plus simple serait qu’elle soit morte. Quand on ne sait plus quoi faire des gens, c’est toujours la réponse qui vient en premier à l’esprit.
Toutes les questions que la vie peut lui poser, elle les résout en cuisinant et plus c’est compliqué, plus elle se lance dans des recettes savantes, qui demandent de l’attention
D’où vient que la nuit du matin, si noire soit-elle, porte déjà des promesses de lumière ?
l’idée même qu’il avait été vivant commençait à s’estomper. Les sentiments aussi tombent en poudre. Et je ne parle pas de la mémoire qui n’est que trucage, mensonge à soi-même, mauvaise reconstruction
Madame a l’art d’exercer sur son esprit, encore si enfantin, une attraction maléfique. Ne serait-ce qu’en l’accueillant d’un poème qu’elle a préparé la veille et dont le texte l’attend à la bonne page du livre, posé sur la table. Tout de suite il doit le lire et son monde habituel est d’un coup chamboulé et s’efface, bascule dans une réalité incertaine
On ne se méfie pas assez des écrivains. Ils font croire à ceux qui ne le peuvent pas qu’ils pourraient être les personnages d’exception qu’ils mettent en scène
2 Replies to “Chevrier, Jean-Marie « Madame » (08/2014)”
Ah la la ! Et moi qui attendais ton coup de coeur avec impatience…ce ne sera pas celui-là, bien aimé c’est tiède ! J’avais envie de renversant , éblouissant ! donc en attendant…
Non non ! bien pas tiède… mais pas renversant non plus !