Couto Mia « »Poisons de Dieu, remèdes du diable » (01/ 2013)
aru chez Métailié
Résumé : Sidónio Rosa est tombé éperdument amoureux de Deolinda, une jeune Mozambicaine, au cours d’un congrès médical à Lisbonne, ils se sont aimés puis elle est repartie chez elle. Il se met à sa recherche et s’installe comme coopérant à Vila Cacimba. Il y rencontre les parents de sa bien-aimée, entame des relations ambiguës avec son père et attend patiemment qu’elle revienne de son stage. Mais reviendra-t-elle un jour ?
Là, dans la brume qui envahit paysage et âmes, il découvre les secrets et les mystères de la petite ville, la famille des Sozinho, Munda et Bartolomeu, le vieux marin. L’Administrateur et sa Petite Épouse, la messagère mystérieuse à la robe grise qui répand les fleurs de l’oubli. Les femmes désirantes et abandonnées. L’absence dont on ne guérit jamais.
Un roman au charme inquiétant écrit dans une langue unique.
Mon avis :
Le personnage principal ? Un mourant… ou une Afrique moribonde atteinte d’un mal qui attaque les fondements même de son être et de ses pensées.. Un récit sur le mal de vivre, sur le manque et la solitude, l’enfermement, la non-communication, la peur … Les personnages vivent-ils dans le passé ou le présent, dans l’espoir ou les souvenirs ? Tout se mélange et la magie de l’Afrique imprègne le récit. Un blanc, des mulâtres, des noirs… des incompréhensions tant culturelles que « colorielles »… Un pays, une ville, une maison, des personnages… tous s’accrochent au passé et tentent de résister dans une atmosphère ou tout se délite, se délabre, s’effrite, tombe en poussière… le monde dans lequel ils vivent est un enchevêtrement de croyances, de mensonges, de haines, de rancœur, et d’amour aussi… Mais qui sont réellement les personnages? des ombres, des vivants, des souvenirs ? les objets se muent en personnages et les personnages deviennent ombres. «Après tant d’années, on ne vit plus dans la maison, on devient la maison où l’on vit. C’est comme si les murs habillaient notre âme». Magnifiquement écrit et superbement traduit, dans une langue qui m’appartient qu’à lui.
Un bijou ! Un roman et à la fois un long poème désenchanté.
Extraits :
(Difficile de ne pas recopier tout le livre!!!!!!)
« On fait tous l’éloge du rêve qui est la compensation de la vie. Mais c’est le contraire, docteur. Vivre est nécessaire pour se reposer des rêves.
– Rêver ne vous rend que plus vivant.
– Pourquoi ? Je suis fatigué d’être vivant. Etre vivant ce n’est pas vivre »
« Après tant d’années, on ne vit plus dans la maison, on devient la maison où l’on vit. C’est comme si les murs habillaient notre âme»
« Je n’aime pas que vous me demandiez de respirer. Ce n’est pas une chose à demander à quelqu’un »
« C’est l’oubli et non la mort qui nous maintiennent en dehors de la vie »
«A tant aller et venir, il confondait départ et destination. A tant vivre en mer, il avait perdu sa patrie sur terre. Il n’était de nulle part. D’une vague défaite en écume : c’était celle-là son appartenance. »
«… il a foutu mes années en l’air, maintenant je souffre de rides jusque dans mon âme. »
« Celui qui n’est au courant de rien se méfie toujours de tout. »
« Ce n’est pas que je sois malheureuse. C’est heureuse que je ne suis pas.
Et elle explique : la double absence de bonheur et de malheur est encore plus douloureuse que la souffrance. Le véritable châtiment, ce n’est pas l’enfer avec ses flammes dévoratrices. La plus grande punition, c’est le purgatoire éternel.
— J’ai appris une chose dans la vie. Celui qui a peur du malheur ne parvient jamais à être heureux.
« La mère passe ses doigts sur le papier comme si elle peignait les lignes du manuscrit. L’index déchiffre lettre par lettre un quelconque code occulte, une carte dessinées sur son cœur. »
« …cette nuit, quand les étoiles naîtront, il ouvrira la porte de la terrasse et restera là à discuter avec les absents. »
« A quel moment précis s’endort-on ? Quand quitte-t-on le monde, tombé au fond de l’âme ? Quand ne nous reste-t-il plus qu’un dernier rai de lumière, des échos de voix soufflées de si loin qu’on dirait les rumeurs des anges ? »
« …le fait d’avoir vécu n’existe pas. Vivre est un verbe sans passé. »
« L’âge est une maladie soudaine : il surgit quand on s’y attend le moins, une simple désillusion, une violation de l’espoir. Nous ne sommes maîtres du Temps que lorsque le Temps nous oublie. »
« Avant je recevais des lettres, maintenant on m’écrit des ordonnances. Ce que j’ai maintenant, à coté de mon lit, ce n’est plus une petite table de chevet. C’est une table pour m’achever. »
« Les photos transforment les membres de la famille en meubles. »
« En amour, seuls les infinis existent »
« Cette nuit-là, le corps de l’un fut le drap de l’autre. »
« Aimer, dit-il, C’est être toujours en train d’arriver. »
« On part à l’étranger lorsque notre pays nous a déjà quitté. »
« L’évanouissement est une mort paresseuse, un décès de courte durée.
« Rire ensemble, c’est parler la même langue. Ou, peut-être, le rire est-il une langue antérieure que nous avons perdue peu à peu à mesure que le monde cessait d’être à nous. »
« – Où est-ce que vous vivez ? lui demandait-on.
– Je ne vis pas, j’habite seulement, répondait-il invariablement. »
« – J’ai des étourdissements, docteur.
– Des étourdissements ou des vertiges ?
– Quelle est la différence?
– Dans l’étourdissement, on se sent tourner et le monde est arrêté. Dans le vertige, c’est le monde qui tourne.
– Dans mon cas, tout tourne, docteur. Moi et le monde dansons ensemble. »
« Elle préférait ainsi qu’il subsistât une poussière de doute sur le sujet. »
« Le temps est le mouchoir de chaque larme.
Et elle complète le proverbe : l’oubli est la dernière mort des morts. »
« Rêver est une façon de mentir à la vie, une vengeance contre un destin toujours tardif et rare. »
« Le secret dans une vie rafistolée, c’est de garder le fils dans l’aiguille et savoir profiter de l’occasion. »
« La personne qu’on aime est enterrée partout. »