Kéthévane Davrichewy – Les séparées (01/2012)
Résumé de l’éditeur: Quand s’ouvre le roman, le 10 mai 1981, Alice et Cécile ont seize ans. Trente ans plus tard, celles qui depuis l’enfance ne se quittaient pas se sont perdues.
Alice, installée dans un café, laisse vagabonder son esprit, tentant inlassablement, au fil des réflexions et des souvenirs, de comprendre la raison de cette rupture amicale, que réactivent d’autres chagrins. Plongée dans un semi-coma, Cécile, elle, écrit dans sa tête des lettres imaginaires à Alice.
Tissant en une double trame les décennies écoulées, les voix des deux jeunes femmes déroulent le fil de leur histoire. (…)
Si, de cette amitié fusionnelle, Kéthévane Davrichewy excelle à évoquer les élans et la joie, si les portraits de ceux qu’Alice et Cécile ont aimés illuminent son livre, elle écrit aussi très subtilement sur la complexité des sentiments. Croisant les points de vue de ses deux narratrices, et comme à leur insu, elle laisse affleurer au fil des pages les failles, les malentendus et les secrets dont va se nourrir l’inévitable désamour.
Car c’est tout simplement de la perte et de la fin de l’enfance qu’il s’agit dans ce roman à deux voix qui sonne si juste.
Mon avis: 1er roman que je lis d’elle ; c’est en fait son 3ème. Un livre sur l’amitié. Une amitié fusionnelle qui se disloque. Des phrases simples. L’auteur parle de tous les sentiments : l’amour, l’amitié, la haine, la confiance, la trahison. Comment une amitié si forte peut-elle s’effondrer.. On parle souvent des ruptures amoureuses, là c’est une rupture d’amitié. Deux jeunes filles de 16 ans, de deux milieux sociaux différents et qui ont des vies totalement différentes. Mais ce qui importe est leur relation. Mémoires à deux voix de deux femmes qui déroulent leur vie depuis maintenant jusqu’à l’enfance. Pourquoi se sont-elles éloignées ? Pourquoi la vie les a coupé en deux, les a « séparées », elles qui ne formaient qu’une ? La difficulté de grandir, d’avoir une vie « à soi »… Comme points de repères, les chansons qui ont marqué leur vie, de Julien Clerc aux Stones…Les problématiques de la vie qu’elles ont affronté ensemble et séparément. En des rebondissements, des chemins de traverse qu’elles prennent en secret, et qu’elles ne partagent pas ? J’ai beaucoup aimé cette analyse de l’amitié et me réjouis de découvrir les autres livres de cette romancière.
Extraits :
Rien ne lui semblait réel, ni irréel non plus. Elle était quelque part entre les deux, flottant dans la pièce aux contours familiers, qui lui semblait soudain étrangère et hostile. Il lui était impossible de savoir ce qu’elle ressentait, ni même si elle ressentait quelque chose
Elle s’absentait, sa propre vie lui échappait. Elle en était spectatrice. Les heures, les minutes, les secondes venaient se fracasser sur une vitre invisible et incassable
Comment dois-je te nommer désormais ? Il importe peu puisque cette lettre n’en est pas une. Juste une épigraphe éphémère murmurée dans la solitude, sans pouvoir prononcer un mot
Ai-je encore un corps ou ne suis-je plus qu’une dépouille dont l’âme veille un peu ? Autour de moi, on se demande si je suis encore là
Mes paupières sont closes et mes yeux ouverts sur ma mémoire
À la lisière de la vie de son amie, elle l’assurait de son soutien et de sa compréhension sans faille
Nous avions déserté notre relation, nous qui avions conversé quotidiennement pendant plus de trente ans. L’inconcevable s’était produit, nous projetant dans l’absurde.
Je remontais le cours de l’histoire, revenais aux sources, disséquais les signes
Les méfaits du temps courent, cimentent, perdurent.
Ce qui est effrayant dans la mort de l’être cher, écrivait Montherlant, ce n’est pas sa mort, c’est comme on en est consolé. » Qu’y a-t-il de plus terrible que d’être consolé ? Je refuse de l’être
Ce n’est pas la mort qui nous prend ceux que nous aimons, disait Mauriac ; elle nous les garde au contraire et les fixe dans leur jeunesse adorable : la mort est le sel de notre amour ; c’est la vie qui dissout l’amour. »
J’écrivais sans cesse des citations dans mon cahier, comme nous le faisions enfants. As-tu gardé cette habitude ? Nous donnions tous pouvoirs aux mots et à la littérature.
Rien ne nous arrivait jamais, nous cherchions une bataille à mener
Et nous avions la littérature, l’art pour nous élever. Je trouvais que nous accumulions plus de théories sur l’esthétique que d’émotions. Nous pensions trop, nous parlions trop. Tu voulais aller au fond des choses, disséquer la moindre de nos pensées. Ce fut un tort.
Je me lovais dans votre quotidien comme je me blottissais dans les coussins de votre canapé
Les mésententes récentes lui apparaissaient plus nettement, jaillissant brutalement sur une toile désormais imparfaite
Ce qui avait filtré de l’échange qu’elle avait entendu était plus grave qu’une simple dissonance. L’amitié pouvait-elle finir ? Pouvait-on cesser d’aimer ? Qu’est-ce qui prouvait qu’on aimait?
Fut-elle amoureuse ? Ou eut-elle envie de l’être ? Elle croyait de plus en plus aux amours qu’on s’invente
La littérature densifiait ce qu’elle vivait, lui donnait de la valeur
Les images se bousculent, m’envahissent, ma tête n’est plus qu’un kaléidoscope qui me heurte, m’apaise ou m’exalte
Tu n’as pas cessé de m’aimer, j’ai cessé de t’intéresser. Et je t’ai haïe pour ça.
Le silence nous envahissait
Elles se turent, dans l’inachevé, comme deux animaux en pleine course stoppant brutalement devant un obstacle infranchissable.
Les disparus surgissent quand on ne les attend pas et ne répondent pas quand on les espère