Rufin Jean-Christophe Le collier rouge (27/02/2014)
Auteur : Écrivain, membre de l’Académie française, médecin, pionnier de l’action humanitaire, Jean-Christophe Rufin a conquis un large public avec ses romans : L’Abyssin (prix Goncourt du premier roman et prix Méditerranée), Sauver Ispahan, Asmara et les Causes perdues (Prix Interallié 1999) Rouge Brésil (prix Goncourt 2001), Globalia (2003), La Salamandre, Le parfum d’Adam, Un léopard sur le garrot, Le grand cœur (2012) , Immortelle randonnée, Katiba, Le Collier rouge (2014) Check-point (2015) , Le Tour du monde du roi Zibeline (2017), Les Sept Mariages d’Edgar et Ludmilla (2019), Les Flammes de Pierre (2021)
( en italique les livres lus avant la création du blog et donc non commentés)
Les enquêtes d’Aurel Timescu : tome 1- Le Suspendu de Conakry (2018), tome 2 : Les trois femmes du Consul (2019) – Le flambeur de la Caspienne (2020) tome 3 – La Princesse au petit moi (2021) tome 4 – Notre otage à Acapulco» (2022) –
Collection Blanche Gallimard (160 pages)
Résumé de l’éditeur : Dans une petite ville du Berry, écrasée par la chaleur de l’été, en 1919, un héros de la guerre est retenu prisonnier au fond d’une caserne déserte.
Devant la porte, son chien tout cabossé aboie jour et nuit.
Non loin de là, dans la campagne, une jeune femme usée par le travail de la terre, trop instruite cependant pour être une simple paysanne, attend et espère.
Le juge qui arrive pour démêler cette affaire est un aristocrate dont la guerre a fait vaciller les principes.
Trois personnages et, au milieu d’eux, un chien, qui détient la clef du drame…
Plein de poésie et de vie, ce court récit, d’une fulgurante simplicité, est aussi un grand roman sur la fidélité.
Être loyal à ses amis, se battre pour ceux qu’on aime, est une qualité que nous partageons avec les bêtes. Le propre de l’être humain n’est-il pas d’aller au-delà et de pouvoir aussi reconnaître le frère en celui qui vous combat?
Analyse et avis :
Un ancien combattant remet sa légion d’honneur à son chien lors de la cérémonie du 14 juillet et il est arrêté. Ce petit huis clos de 160 pages est basé sur une histoire vraie qui était celle du grand père d’un ami de l’auteur. Il avait au début prévu d’en faire une pièce de théâtre. Pas de longues digressions, des phrases courtes et percutantes, réduites à l’essentiel. Huis clos donc de 4 personnages : le prisonnier, le juge, la compagne du prisonnier et le chien.
En toile de fond une grande question : la part de la bête dans l’homme et l’impression que la guerre réduit l’homme à l’état de bête et à faire un travail de bête : défendre, garder, tuer. Et la part humaine de l’homme pendant la guerre en opposition avec l’humanité des bêtes, du rapport à l’animalité et à l’humanité. De fait la guerre de 14 n’a eu que des vaincus, car tous les combattants ont vécu comme des bêtes. Il y a aussi une évocation du rôle important des animaux dans les tranchées, de leur présence et de leur utilité … Ils ont cru qu’ils partaient à la chasse. Ils sont partis à la guerre, ils ont été des guerriers à part entière et en plus de réconforter, ils ont été des dératiseurs, des gardiens, des sentinelles… On parle de la vision de la guerre. Pour être humain, il ne suffit pas de tuer proprement. Le livre évoque aussi la problématique du retour des soldats « les anciens combattants sont devenus sauvages ».
Le problème des femmes est aussi évoqué. Leur rôle (elles qui travaillent la terre), le problème des enfants, de la fidélité, de la suspicion de non paternité, des tromperies.
Prise de conscience du pacifisme à la fin de la guerre. Explication aussi du rôle des activistes, de la prise de conscience politique des soldats grâce à la lecture.
Le personnage principal est complexe ; de fait on se demande pourquoi il a agi ainsi, lui qui n’aime pas plus que ça les animaux ; des rebondissements et l’explication du rôle du chien dans l’histoire. On se demande aussi pourquoi le prisonnier ne veut pas de la clémence du juge, qu’il provoque pour se faire condamner.
Enfin les 4 personnages sont sensibles et humains sous leur aspect bourru.
Vive lu alors je conseille… Je trouve qu’il va bien en complément du livre de Seigle lu il y a peu.
Extraits :
Ils avaient cela en commun, tous les deux, cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de penser des choses qui ne soient pas vraies
Voilà ce qu’avaient produit quatre ans de guerre : des hommes qui n’avaient plus peur, qui avaient survécu à tellement d’horreurs que rien ni personne ne leur ferait baisser les yeux
Elle souriait mais la gravité de ses yeux ôtait à ce sourire toute chaleur
Son malheur n’était pas de vivre dans cette campagne et pauvrement, mais d’avoir connu et espéré autre chose
On sentait qu’il avait été dressé à ne pas s’agiter, à faire le moins de bruit possible, sauf pour donner l’alerte. Mais ses yeux à eux seuls exprimaient tout ce que les autres chiens manifestent en usant de leur queue et de leurs pattes, en gémissant ou en se roulant par terre
Il était entré dans l’armée pour défendre l’ordre contre la barbarie. Il était devenu militaire pour être au service des hommes. C’était un malentendu, bien sûr. La guerre n’allait pas tarder à lui faire découvrir que c’est l’inverse, que l’ordre se nourrit des êtres humains, qu’il les consomme et les broie
Il avait toutes les qualités qu’on attendait d’un soldat. Il était loyal jusqu’à la mort, courageux, sans pitié envers les ennemis. Pour lui, le monde était fait de bons et de méchants. Il y avait un mot pour dire ça : il n’avait aucune humanité. Bien sûr, c’était un chien… Mais nous qui n’étions pas des chiens, on nous demandait la même chose
Il y a des êtres, comme ça, qui vivent hors de leur classe. C’est assez rassurant, vous ne trouvez pas ?
Il y a les êtres, aussi. Leur histoire peut les faire changer de classe, comme moi, par exemple. Et puis, il y a ceux qui semblent vivre en dehors de tout cela, par eux-mêmes, en quelque sorte
Il était romantique, sans le savoir. Et j’aimais cela
Le cri d’une femme amoureuse laisse toujours aux hommes l’impression qu’en cette matière ils sont d’une grande faiblesse.
Les arbres étaient des chênes pour la plupart. Ils avaient été plantés, les premiers, dès l’époque de Louis XIV. À mesure qu’on avance dans les allées forestières, on découvre des alignements inattendus. Le désordre des troncs fait alors place, pour un instant, à une trouée rectiligne qui semble conduire jusqu’à l’horizon. Cette irruption de la volonté humaine dans le chaos de la nature ressemble assez à la naissance de l’idée dans le magma des pensées confuses. Tout à coup, dans les deux cas, naît une perspective, un couloir de lumière qui met de l’ordre dans les choses comme dans les idées et permet de voir loin. Dans les deux cas, ces moments lumineux ne durent pas. Dès que l’on reprend sa marche, dès que l’esprit se remet en mouvement, la vision disparaît, si l’on n’a pas pris garde de la fixer par la mémoire ou l’écriture
la compagnie des chiens était la seule présence qui ne trouble pas la solitude
L’humanité, c’est aussi avoir un idéal et se battre pour lui