del Arbol Victor – La maison des chagrins (09.2013)
Résumé de l’éditeur (Actes Sud) : Une violoniste virtuose commande à un peintre brisé le portrait du magnat des finances qui a tué son fils. Elle veut déchiffrer sur son visage la marque de l’assassin. Pour cautériser ses propres blessures, elle ouvre grand la porte de la maison des chagrins dont personne ne sort indemne. Un thriller viscéral qui conduit chaque être vers ses confins les plus obscurs.
Analyse de l’auteur (interview sur la télévision espagnole) : Quelle serait votre réaction si un drame faisait basculer toute votre vie ? Dans ce roman nous suivons 18 personnages, qui tous réagissent à leur façon. C’est l’histoire d’un homme qui mène une vie normale, sous contrôle, bien tracée et soudain un événement lui enlève toute envie de vivre. Dans un monde rationnel, nous croyons en la justice, nous pensons nous connaître, connaître nos réactions ; mais quand il se passe une chose exceptionnelle, alors on découvre des facettes insoupçonnées de notre caractère et la vengeance en fait partie. Ce sentiment nait de l’impuissance ; c’est une forme de justice, irrationnelle, primitive si on peut dire. Quand on sent que le système ne répond plus à nos attentes, on envisage de se rendre justice soi-même. Dans ce roman, les chemins et les destins des protagonistes se croisent, c’est un roman à plusieurs voix.
L’un des personnages clés, Eduardo, est un peintre très connu, qui à la suite d’un accident, perd toute sa famille et se retrouve au fond du gouffre. Pour survivre, il peindra des portraits que lui commande son agent artistique. Un jour un portrait quelque peu spécial lui est demandé par une violoniste de talent qui comme lui, a perdu son enfant. Cette femme lui demande de perdre non pas son fils disparu mais l’assassin de son fils. La curiosité, la similitude de leurs destins … pourquoi le peintre va-t-il accepter cette commande bien qu’il sache qu’elle est au-delà du raisonnable et qu’il sent assez mal la situation.. Il ne le sait pas mais il accepte…
Dans notre monde moderne, c’est l’Etat qui a le monopole du châtiment. Mais la vengeance est un sentiment bien antérieur à l’état de droit, à la loi. C’est un instinct primordial, et dans le roman, c’est la raison de vivre des protagonistes. En général, la raison de vivre des êtres c’est l’amour, la famille, le métier, la passion… mais quand tout cela disparait… il faut bien s’accrocher à quelque chose pour continuer à avancer : et cela peut-être le désir de se venger. Les êtres humains ont une qualité humaine essentielle, la faculté d’adaptation, la résilience.
La vengeance est un instinct primaire, une impulsion, mais pas toujours. Cela peut-être un coup de colère mais aussi un long processus de macération de la blessure. Le titre fait référence à une phrase de Francis Bacon « Celui qui s’applique à la vengeance garde fraiches ses blessures » Les personnages du livre font tout pour les entretenir, pour garder les blessures ouvertes. L’un des personnages du roman va attendre de longues années avant de se venger car il sait bien qu’une fois sa vengeance effectuée, sa vie n’aura plus aucun sens. La haine, tout comme l’amour sont des états obsessionnels.
Les êtres humains sont les enfants de leur passé, de la mémoire ; nous sommes des arbres avec des racines, et si les racines sont malades, l’arbre va mal. Mais il faut faire attention car dans la vengeance personnelle, il y a toujours le risque de se tromper ; dans ce cas victime et bourreau se rejoignent. Certaines de nos décisions n’ont pas de marche arrière et conditionnent tout notre futur. Passé un certain stade, nos actes nous transforment et nous devenons une autre personne ; il faut vivre avec son passé et ses choix. Quand on tue quelqu’un on se tue soi-même d’une certaine manière ; on fait disparaître nos convictions, nos croyances, nos idéaux, celui qu’on croyait être.
Ce roman met en balance le bien et le mal, le désir de se venger et l’impossibilité de pardonner ; ces personnages sont des gens normaux qui sont confrontés à une situation exceptionnelle et non des tueurs de métier : et cela fait toute la différence.
Mon avis : Deuxième livre que je lis de cet auteur et toujours aussi convaincue. Oui ce sont des romans policiers violents, mais ce sont surtout des analyses de personnages confrontés à des situations qui leur sont « tombées dessus » dans leur petite vie plan-plan et qui entrainent des actes et des réactions. L’analyse des caractères est très psychologique. Alors oui les personnages sont fracassés, et l’ambiance lourde et sombre, mais c’est un superbe livre, qui se déroule maintenant mais qui fait des références à des contextes historiques comme la torture sous Pinochet ou plus proche géographiquement, lors de la Guerre d’Algérie. Et l’intrigue est magnifiquement construite. Alors il faut le lire si ce n’est pas déjà fait…
Je trouve très dommage d’avoir modifié le titre qui était « Respirer par la blessure » (« Respirar por la herida »)
Extraits :
Un paysage ne ment pas, mais le regard le déguise, ce qui le rend toujours différent, comme s’il devenait un reflet de notre état d’âme
La maison et le champ se regardaient avec indifférence ; ils semblaient aussi inséparables qu’une peinture et son encadrement.
Un jour comme un autre, une seconde semblable à la précédente, qui ne laissait en rien présager qu’elle serait le dernier instant de bonheur de sa vie
On a toujours quelque chose à dire quand il n’est plus temps de le dire
Parfois, les larmes de la douleur doivent rester à l’intérieur.
Il avait le regard fuyant et insomniaque d’une souris qui cherche à se rendre invisible
De temps en temps, un détail attirait son attention et ses yeux lançaient une lueur atténuée qui permettait d’entrevoir l’homme qu’il avait été autrefois. Mais bientôt l’ombre qui recouvrait tout retombait
Un peu de désillusion ou de tristesse affleurait à ses lèvres, sorte de partie émergée de l’iceberg de ses pensées
Quand on se sait regardé, même notre désir de vérité contient la graine du mensonge
Étrange, ce silence où deux inconnus semblent se dire beaucoup de choses sans prononcer un seul mot.
Il sourit comme s’il s’amusait de la perplexité de cet homme déjà âgé qui, cependant, semblait ne pas comprendre l’évidence.
À mesure qu’ils avançaient, le temps perdait tout son sens, comme si les horloges étaient une hérésie intolérable en ce lieu qui respirait le renfermé, la tristesse
il se dit qu’acheter une maison ne faisait pas de vous le propriétaire. Elle a besoin d’être habitée pour devenir un foyer, et celle-ci n’en était pas un
Cette femme parlait par les yeux, et ses brefs battements de paupières étaient autant de points et de virgules
Vous peignez les portraits, ou vous les écrivez ?
elle souriait et se montrait affable, ses manières étaient douces, mais en réalité elle n’avait pas l’air d’être là : son sourire et son regard étaient les restes statiques d’une présence sans âme
Dans chaque création, l’artiste laisse un bout de son âme. Mais si vous en cherchez un ici, vous ne le trouverez pas
Faire le portrait d’une personne qui n’est plus, honnêtement, cela revient à peindre un paysage de mémoire. Ce n’est pas le paysage, mais un mirage déformé par le souvenir.
L’avenir : un événement qui avait cessé d’exister
L’avenir : les sentiments qui grandissent, moisissent, chavirent
Parfois, il ne faisait rien, il s’adossait au tronc pendant des heures entières, le regard dans le vague, et si on le dérangeait, il se retournait, l’air vaguement égaré, envahi par un désarroi et une solitude qui impressionnaient.
En vieillissant, on mange moins, on dort moins, en définitive on vit moins. Le seul plaisir qui reste aux vieux, c’est la musique, et encore, celle-ci s’éloigne lentement de notre cervelle.
Quelle merveille de regarder en l’air quand les pieds étaient trop lourds
D’une façon ou d’une autre, nous avons en nous tous les hommes possibles. Pourquoi permettre à certains de vivre et étouffer les autres ? Voilà un mystère non résolu
C’est idiot de frapper le sol quand la poussière est retombée, sauf si on a envie de la voir remonter en l’air
On espère toujours quelque chose, jusqu’au moment où on abandonne
Un bouquet de fleurs séchées, c’est très proche de la perception que nous avons de l’éphémère, tu ne crois pas ?
c’étaient des roses, fraîchement coupées. On les avait coupées pour qu’elles meurent dans ce pot, pour contempler leur agonie.
Mais elle avait parfois tant besoin d’un peu d’amour, de quelques gouttes de tendresse, de compagnie.
Évoquer le passé et le rattacher au présent pouvait être aussi épuisant qu’explorer un labyrinthe dont on ne connaîtrait qu’une partie
Il regrettait de constater qu’en dépit de ses efforts, il ne pouvait briser le bloc de glace dans lequel quelqu’un avait dû congeler autrefois le cœur de cette femme
Mais sans un nom à répéter, il ne resterait aucune trace de son passage dans le monde
il me semble qu’il est toujours là, avec moi, prêt à affronter le monde et à rattraper ses rêves.
Je commence à oublier ce qu’il était vraiment, son odeur, son contact, sa voix. C’est cela, l’oubli, n’est-ce pas ? Et c’est la véritable mort.
Que sont les mots quand on ne peut pas les entendre ? Des enclumes, des marteaux qui empêchent la douleur de mourir
La véritable mort n’était pas l’oubli, mais le souvenir perpétuel, l’impossibilité d’échapper à l’instant fatidique, qui à force de se répéter finissait par s’inventer, comme un film dont on connaît le dénouement, car on l’a vu des centaines de fois, auquel on ajoute à chaque projection un nouveau détail, une nouvelle épine pour entretenir la souffrance
Comment veux-tu que je te parle, avec la langue des sourds-muets ? Parce que c’est à ça que tu ressembles
Il regarda sa main, étrange objet qui avait été animé d’une volonté propre pendant un dixième de seconde
combien de baffes nous donnes-tu tous les jours avec tes insolences, tes silences, tes mépris ?
Je ne veux pas être coincée entre l’arbre et l’écorce par ta faute
il y a encore des choses à dire, des arêtes sous la surface, qui piquent comme des épines, mais quand on essaie de les contourner, tout peut se passer à peu près bien
Les bruits quotidiens glissaient sur sa peau comme les rayons du soleil, sans le toucher
Sa tête devint une chambre noire et fermée, où il cohabitait avec des ombres sans nom.
La tristesse d’Arthur n’était ni résignée, ni mélancolique, ni nostalgique. C’était un poing serré qui tournoyait dans le vide sans trouver personne sur qui frapper
Parfois elle voulait parler, mais aucun son ne sortait. Elle ne trouvait pas les mots, le ton, le moment. Peut-être se taisait-elle parce que le silence contenait tout implicitement, parce qu’elle s’était habituée à assister à sa propre vie comme une spectatrice de pierre. Parler était une perte de temps. Respirer était inévitable, mais elle pouvait ravaler ses mots
Pour lui, la neige était toujours une danse mystérieuse de cristaux qui allaient et venaient au rythme d’une musique secrète, préparant les rues à un film de retrouvailles et de nostalgies
Toutes les légendes mentent, et la mienne n’est pas une exception. Nous inventons la vérité en fonction de nos besoins
…flottant entre deux eaux, celles de la nostalgie et celles de la tristesse
… le violon ressemble à un cheval, c’est un être vivant, rebelle et fier, qui ne se laisse pas dompter par un étranger, sauf s’il reconnaît le toucher de son maître, alors tu peux en tirer le meilleur
Le plus probable, il le comprenait maintenant, c’était qu’il n’avait plus de place pour la douleur. Il était bloqué.
C’est ainsi qu’une vie change. Soudain quelqu’un apparaît et la coupe en deux. Plus rien n’est comme avant
Elle ferma les paupières et imagina un corps nu, sans défense, mort, gisant sur le sol sale de sa chambre. Son adolescence assassinée
De son point de vue, les gens n’étaient ni bons ni mauvais, les choses ni bonnes ni mauvaises ; ce genre de manichéisme était bon pour les livres. Lui, il ne voyait que des zones grises, des danses d’ombres, et il essayait de garder un pied de chaque côté
Les photographies ne reflètent rien d’autre qu’une image qui avec le temps finit par mourir
… comme un chien regarde la lune. Elle était loin, on voyait son éclat, certes, mais il ne savait rien d’elle et ne voulait rien savoir
Le passé qui s’invente est toujours meilleur que le présent.
Sa main tournait dans le vide les pages de sa vie, et elle voyait se succéder les décennies, les amis, les décès et les naissances, les fêtes, les voyages et les réflexions de moins en moins profondes, toujours moins elle, toujours plus la routine.
Alors, qu’êtes-vous exactement ? Nous sommes tous quelque chose, dans la mesure où ce que nous faisons nous définit, vous ne croyez pas ?
Les hasards n’existent pas, ils sont une façon différente d’aborder l’ordre des choses, un code qu’il faut déchiffrer”, se dit-il
Les cicatrices sont des fleuves souterrains, tu sais ? Comme la lave qui sort des volcans, ils ne s’éteignent jamais
Mais toi, tu veux le portrait d’une chose impossible, mon ami : tu cherches la carte de l’intérieur d’un homme.
Elle était seule, et parfois la solitude lui pesait comme du plomb et l’entraînait au fond d’un puits obscur où elle ne pouvait plus voir ni respirer
Mais eux, ils avaient dû continuer de mourir à petit feu, au fil des jours
L’art ne peut pas changer l’âme de la brute, car la brute humaine est devenue sourde et aveugle et n’a même plus à perdre son âme
Imaginer, c’est anticiper l’avenir, lointain et immédiat. La scène qu’il allait découvrir ne le préoccupait pas. Ce qui se passerait ensuite non plus. Il le savait parfaitement. L’avenir, c’était lui qui l’inventait.
Dans son échelle de valeurs – un escalier en colimaçon qui montait et descendait à sa convenance –, ce qu’il avait vu ne méritait aucune indulgence.
Les enfants sont fragiles, les espérances sont fragiles, les nuages sont en coton. La vie est un équilibre fragile qui se casse facilement, les livres se brûlent, les mots aussi
Il n’avait jamais eu peur de franchir une porte ouverte, il ne s’était jamais demandé ce qu’il trouverait de l’autre côté. Rien ne pouvait être pire que ce qu’on laissait derrière soi.
Il avait un regard froid et distant, comme le reflet d’un fleuve gelé
Mais une chose est sûre, tout ça, le luxe, les tableaux, les dents parfaites, ce ne sont que des guenilles pour se déguiser. Un sou
soupir te donne tout, le suivant te le reprend, et le cycle peut se répéter autant que le voudra le caprice des dieux.
La lumière blafarde de l’ampoule du mur en briques dessinait la misère de la ruelle comme un coup de crayon, qui aurait dessiné les gouttières ruisselantes, les flaques crasseuses, les zones d’ombre
L’amour commence par les yeux et finit avec l’habitude
Mais leurs rêves les rapprochaient, et elle avait besoin d’espoir. Mentir, ce n’est pas toujours faire une entorse à la vérité, c’est juste s’accrocher à la part de réalité nécessaire pour ne pas couler
Les rêves qu’on s’interdit font du mal,
Je ne sais pas ce qui te tourmente. Mais je sais qu’on ne peut avancer en regardant derrière soi
Un homme sans rêve ni passion est un linceul, qu’importe s’il s’agit de timbres ou de canettes de bière
Les gens croient ce qu’ils veulent bien croire, et ce qu’ils croient finit par devenir pour eux la réalité et la vérité
As-tu déjà ressenti l’impression d’être un arbre sans racines ?
Il ne voulait pas répondre aux doigts de cette femme aussi seule que lui, qui cherchait les siens pour les entrelacer
Parfois, je parle trop ; non que j’aie beaucoup à dire, mais le silence me dérange, tu sais.
Le catalogue des raisons pour lesquelles on renonce à ce qu’on doit faire était aussi étendu que le cynisme des êtres humains
J’ai l’impression que cette histoire est comme le sparte noué en tresse : plus on l’arrose, plus il durcit et s’enroule sur lui-même
il avait des mots sur le bout de la langue. Mais au dernier moment ceux-ci reculèrent et se remirent à danser à l’intérieur de lui.
Voilà pourquoi il faudrait détruire les voleurs d’enfance. Parce que c’est le pire des crimes qu’on puisse commettre contre un être humain : lui voler l’espoir, détruire son âme
Quand le verre de l’amertume est plein, le cœur ne souffre plus, car il ne sent plus rien
Parfois, on veut aimer quelqu’un et on ne sait comment l’atteindre. On accumule tant de ratés qu’on finit par perdre le chemin et il est impossible de retrouver la bonne direction.
c’est à toi de récupérer les débris de ta vie et d’en faire quelque chose de neuf.
4 Replies to “del Arbol Victor – La maison des chagrins (09.2013)”
Hier au salon du livre, j’ai eu la chance de rencontrer Victor del Arbol.
quelques petites infos : 20 ans dans la police après avoir envisagé une vie de séminariste.
Il se définit comme un poète; toujours étonné d’être considéré dans les pays francophones comme un auteur de romans policiers bien que ses romans soient noirs.
Ses auteurs préférés : Camus et Garcia Marquez. Et Federico Garcia Lorca.
Il lit beaucoup mais peu de romans policiers.
Dans tous ses livres il parle des femmes battues.
Son prochain livre sort en Espagne la semaine prochaine.
Je ne peux que dire :lisez-le .Je regrette aussi que le titre n’est été la traduction littéraire espagnole .
Je viens de le finir et il m’a infiniment touchée car j’imagine combien il dit être tentant de se faire justice soi-même dans certains cas. Les personnages sont très « humains » et beaucoup nous interpellent à cause de ce qui leur est tombé dessus .
5ème roman de Del Arbol et toujours aussi fan .