Davrichewy, Kéthévane «Quatre murs» (02.2014)

Davrichewy, Kéthévane «Quatre murs» (02.2014)

Résumé : Quatre Murs. La maison familiale est trop vaste pour une femme seule. En ce jour de déménagement, les quatre enfants, devenus adultes, s’y retrouvent pour la dernière fois. Leur père est mort. Dans les pièces vides qui résonnent, les propos en apparence anodins se chargent de sous-entendus. Ces quatre-là se connaissent trop pour donner le change, d’autant que leur mère, profitant qu’ils soient pour une fois ensemble sans enfants ni conjoints, soulève la question de l’héritage. Deux ans plus tard, rien n’est résolu : les frères et sœurs ne se parlent plus guère, et surtout pas de leur passé. Sur l’insistance de leur mère, ils ont pourtant accepté de se retrouver en Grèce, le pays de leur origine, dans la maison où l’aîné vient de s’installer. Ce voyage est, pour chacun d’eux, l’occasion de revenir sur l’ambivalence de leurs relations. Comment en sont-ils arrivés là, eux qui étaient tout les uns pour les autres ? Excellant à pointer la dissonance dans les voix de ses quatre protagonistes, qui chacun livre sa version des faits, Kéthévane Davrichewy, comme si elle assemblait les pièces d’un puzzle, révèle petit à petit les motifs d’un drame familial, et propose une belle variation sur la perte de l’innocence.

Analyse (étayée par l’écoute d’une interview de l’auteur) et avis  : Deuxième livre que je lis avec beaucoup de plaisir de cette romancière. « Quatre murs » ce titre ne fait pas uniquement référence à la maison ; cela fait aussi référence aux murs qui se sont érigés entre les quatre membres d’une fratrie. Un voyage géographique deviendra le prétexte à un voyage intérieur. C’est un récit à quatre voix. Le livre se divise en 4 parties. (Le prologue et 3 chapitres) Comme dans le précédent roman que j’ai lu d’elle, les thèmes principaux sont les liens et la rupture, la cassure qui intervient entre des êtres : l’amitié, la fratrie.. C’est une fois encore l’apprentissage de la perte. La vie est faite de ruptures et de pertes ; nous sommes habités par des souvenirs. La question qui se pose ici est « Que faire de cette identité commune qu’est la fratrie ? Faut-il casser cette entité pour vivre sa propre vie ? Et que fait-on de ce qu’on laisse de côté ? Le roman est fait d’interrogations.. pas de solution, pas de jugement, pas de morale. Tout est dans l’intériorité, le ressenti plutôt que dans les faits. Les choses ne sont pas dites, on les devine, on les comprend. C’est le domaine du non-dit, de l’ellipse.

Le prologue : Suite au décès du père une année auparavant, la mère décide de vendre la maison familiale et convoque les 4 enfants dans la maison pour finir de la vider et s’y retrouver une dernière fois. Les 4 enfants ( 2 adultes de plus de 40 ans qui ont réussi leur vie professionnelle et 2 jumeaux à la ramasse ) se tiennent aux 4 coins de la pièce.. Dans une ambiance pesante et où l’on sent la distance qui sépare les 4 enfants, la mère aborde le sujet délicat de l’héritage du père en annonçant qu’elle a décidé de favoriser ceux qui ont moins bien réussi. Cela crée une tension supplémentaire. D’emblée, on ressent une fracture, des êtres éloignés. Cet adieu à la maison est un basculement dans leur vie, une rupture avec l’enfance et fait remonter les souvenirs de cette période où ils s’entendaient si bien… Le prologue est le seul moment du roman ou les personnages se parlent, font entendre leur 4 voix, juxtaposées les unes aux autres. Le malaise est profond et le refuge est le retrait dans leur moi intime.

2 ans après, la mère souhaite réunir la fratrie une fois encore. Ce sera en Grèce, dans le pays dont la famille était originaire. Deux personnages secondaires et pourtant principaux.. Le père, décédé, l’absent. Et la mère qui depuis le décès du père souhaite reconstruire l’équilibre de la famille, telle la louve qui veut rameuter ses petits. Le terme rameuter étant intentionnel, le père parlait de la meute de ses enfants.

3 chapitres : Le 1er est la voix de Saul (le frère ainé) qui parle avec son psy ; ensuite vient le monologue (à la 3ème personne) de la sœur Hélène. Puis un 3ème chapitre ou les 2 jumeaux – Rena et Elias – dialoguent entre eux.

Saul est en rupture dans sa vie personnelle, il se remet en question. Il utilise le « je » de l’introspection. Il a du mal a parler, les mots lui échappent. Pour lui une fratrie est un non-dit. Elle ne s’explique pas. Il parle à son psy, il a décidé de partir, de rompre avec une vie de mots (il est journaliste et patron d0un grand groupe de presse), de s’échapper pour revenir au passé, aux valeurs familiales (ébénisterie). Il va vers lui-même, une sorte de libération pour lui, retourne à ses racines, à la Grèce.

Helene est le personnage le plus libéré des liens familiaux ; elle a su prendre de la distance bien qu’elle soit hantée par son enfance et par des secrets et des drames que je ne vais pas dévoiler ici. Se retrouver dans la maison de son frère avec sa mère la fait replonger dans le passé, la fait régresser en quelque sorte et elle ne sait plus où est sa place. Dans sa vie, Helene est un « nez » ; elle crée des parfums et est coupable (ou se sent coupable) de piller les senteurs de la famille, de voler les odeurs de la fratrie, de se les approprier, et d’imposer ensuite sa perception des choses.

Les jumeaux : Rena et Elias sont sur le bateau qui les amène en Grèce, dans la maison de leur frère Saul. Le frère souhaite dormir, ne pas parler, ne pas se retourner vers le passé ; de fait il cherche à retrouver le passé dans le présent, à travers sa fille mais ne veut pas regarder en arrière. Rena, elle, veut parler du passé, partager..

Au final une conclusion ouverte : Reconstitution de la fratrie suite à enlacement ou envol dans le vide ? A vous de lire, à vous de juger.

J’ai énormément aimé ce livre.

Extraits :

C’est une de ces journées où les heures s’écoulent, on est comme anesthésié, ni dedans, ni dehors, au milieu, en terrain mouvant mais neutre. Un temps insaisissable, un ciel cotonneux, ni froid, ni chaleur, ni pluie, ni soleil. Rien qui détermine le mois dans l’année

Ils voudront graver les secondes, se souvenir d’une chose essentielle, ils ne parviendront qu’à se remémorer un détail, ou une succession de détails qui, juxtaposés les uns aux autres, ne leur évoqueront rien, ne les toucheront pas, alors qu’ils sont le cœur même d’un chagrin qui ne finira pas.

Son absence les enveloppe comme une présence

Ils voudraient se parler mais ne trouvent rien à dire. Ils sont trop fatigués pour les banalités d’usage.

Vous me croyez dépressif, je n’en suis pas certain. Une lassitude plutôt. Ou une immense tristesse. C’est aussi bête que ça. Je voudrais lâcher prise. Prendre une autre route.

Ça ne m’était jamais arrivé, ne plus lire. Lire m’a façonné, m’a nourri, porté. Toujours informé. J’ai été professeur, puis journaliste. Aujourd’hui, rien ne m’intéresse, ne retient mon attention.

Les habitudes familiales doivent-elles cesser à un certain point de notre existence ? Le peuvent-elles ? Ou faut-il renoncer, prendre de la distance au risque de se perdre ? Je n’ai plus donné d’avis. La distance s’est installée d’elle-même

je rentrais fatigué – je me voyais de loin, un homme avachi, se jetant sur la télécommande, zappant sans désir ni plaisir. Je hais cet homme-là. Mais quel genre d’homme suis-je ? Quel est celui qui vous parle aujourd’hui ?

On courait vers moi à chaque blessure, j’étais celui qui consolait. Qui me consolait ? Aurais-je voulu être consolé parfois ? La consolation panse les plaies

Voir un être se désintégrer, vous savez ce que c’est ? On était seuls les uns à côté des autres. Comme s’il était le tronc d’un arbre, nous les branches éparses tendant dans des directions divergentes.

Le manque n’existe pas, il s’évapore aussi. Les êtres proches, vivants ou morts, sont à la fois absents et omniprésents, on ne se défait jamais tout à fait de leur influence.

Ma vie s’étiole. Les sensations se dérobent, les morceaux disséminés tissent une toile d’araignée dans laquelle je suis pris.

Elle avait attendu la fin de la semaine avec la même angoisse que le coucher de soleil quand elle était petite. Revêtir chaque minute d’une saveur particulière, ne rien laisser filer, mais le jour finissait par décliner

Ne rien espérer. Ou elle serait encore déçue. Mais, parfois, le simple fait de rêver ce qui pourrait arriver lui suffisait

tu te caches derrière une idée de nous utopique. »

Devant cet étranger déjà familier, elle s’était sentie comme une funambule sans filet, tentant de jongler avec les mots. Et puis soudain, en apesanteur

À son retour, il était là comme une évidence, ridiculisant ses craintes

Avec quoi était-elle censée travailler ? Ses sensations étaient son matériau.

Elle était prête à affronter le pire, mais que signifiait le pire ? Était-il devant eux ou derrière eux

Ce non-dit planait entre elles, se déplaçant comme un nuage dans un ciel instable, les empêchant de se rejoindre vraiment

Tu veux dire moi, l’inculte ? » « Non, toi le terre à terre. »

Les mots qu’elle prononçait n’étaient pas ceux qu’elle s’était formulés à elle-même, inlassablement. Ceux-là venaient sans effort et sonnaient juste. Les seuls possibles

Parfois, dire est inutile ou nocif

Je ne crains pas la rupture. C’est tout le contraire, j’ai peur que rien ne change, que l’amour dure toujours. Nous sommes les mêmes, sans passion depuis le début, on serait incapables de se quitter

Elle l’emmerdait, il ne voulait pas se souvenir, ni de leur fusion ni de leur séparation

c’est inscrit en nous, on ne se débarrasse pas de son passé. Ne pas y penser ne veut pas dire que ça n’existe pas, mais ne m’oblige pas à me retourner

Il me semble que la famille peut nous rendre plus forts mais aussi nous affaiblir.

Déjà sur les photos, je ne souriais pas. Tu y vois ce que tu as envie d’y voir. Tu interprètes, on le fait tous. C’est ce qui nous plaît dans les albums, on remue ce qui est figé, on redonne vie en réinventant le passé

« Je ne suis sûr de rien. Mais je compose avec ce que je peux. C’est comme avec les pianos. Une touche cassée, je ne peux pas la réparer, juste essayer de la faire résonner, de restituer le son qu’elle produisait. C’est tout.

Ma vie te surprendrait, il y a des angles morts, les relations sont parfois complexes.

« Comme les cicatrices, ces petits riens dureront, dit-il. Parfois, nos vies se creusent à l’infini.

Est-ce qu’on transforme le passé avec le temps ? Ou chacun le voit-il à sa façon ? » « Évidemment. Les souvenirs s’enracinent différemment. »

Est-ce que tout ce que je vais vivre désormais sera intérieur ? » « Est-ce que tout ce que tu as vécu ne l’est pas ? »

One Reply to “Davrichewy, Kéthévane «Quatre murs» (02.2014)”

  1. Jolie histoire familiale livrée par chacun des quatre enfants d’une fratrie grecque, Saul, l’aîné, Helene, Reva et Elias, les jumeaux.
    J’ai passé un très bon moment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *