Sattin, Anthony «Un hiver sur le Nil – Florence Nightingale et Gustave Flaubert, l’échappée égyptienne» (2015)

Sattin, Anthony «Un hiver sur le Nil – Florence Nightingale et Gustave Flaubert, l’échappée égyptienne» (2015)

Auteur : Né à Londres en 1956, Anthony Sattin est journaliste de presse (Sunday Times, Daily Telegraph, Guardian), de radio et de télévision (BBC, Arts Channel). Spécialisé dans les récits de voyage, il a connu un vif succès avec The Pharaoh’s Shadow et plus récemment Young Lawrence : a Portrait of the Legend as a Young Man. À sa parution, « Un hiver sur le Nil » a été considéré comme l’un des meilleurs livres de l’année.

Editions : Noir sur Blanc – 1.10.2015 – 292 pages / Libretto Poche – 6.4.2017 – 330 pages ( traduit par Florence Hertz)

Résumé : À l’hiver de 1849, une jeune Anglaise malheureuse et un obscur écrivain français montent, le même soir, à bord du vapeur qui relie Alexandrie au Caire. Ils ont un peu moins de 30 ans et partagent l’espoir que la découverte de l’Orient viendra dénouer leur conflit intérieur. Huit ans plus tard, l’un et l’autre étonneront le monde : Florence Nightingale en organisant les secours aux blessés de la guerre de Crimée et Gustave Flaubert en publiant Madame Bovary.
En 1849, Nightingale n’est encore qu’une jeune femme qui s’insurge contre son destin (le mariage) et que des relations de ses parents emportent en voyage pour tenter de l’apaiser. Quant à Flaubert, auquel ses amis viennent de conseiller de jeter au feu son premier grand livre : La Tentation de saint Antoine, il part, morose, dans les bagages de son ami Maxime Du Camp. D’Alexandrie à Abou-Simbel et retour, au rythme lent de ce voyage le long du Nil, Anthony Sattin nous restitue la magie d’une Égypte que le tourisme n’a pas encore mise en coupe réglée et, par l’entremise des journaux et des correspondances, un épisode crucial dans la vie de deux personnalités d’exception.

Mon avis :

le titre complet est :  «Un hiver sur le Nil – Florence Nightingale et Gustave Flaubert, l’échappée égyptienne» … ne pas l’oublier… c’est davantage Nightingale et  Flaubert que le Nil… Un hiver sur le Nil…. Encore faut il y arriver !
Le premier tiers du livre nous raconte la vie de Florence Nightingale, puis celle de Gustave Flaubert et nous explique dans quelles circonstances ils sont arrivés en Egypte et ont fait voyagé sur le Nil sans jamais se croiser. Si j’ai toujours bien aimé Florence Nightingale (et un peu côtoyée grâce à Anne Perry et sa série Monk), je dois dire que je n’ai jamais (désolée) été attirée par Flaubert… Le fait qu’il soit tombé amoureux de l’Egypte à 11 ans en voyant l’obélisque sur le Louxor à Rouen (navire spécialement conçu pour acheminer l’obélisque de la Concorde depuis le temple de Louxor en Égypte, jusqu’à la place de la Concorde à Paris) me le rend un peu plus sympathique mais la suite le remet vite à sa place…
On assiste à l’arrivée des deux protagonistes à Alexandrie, puis au Caire. Les britanniques et les Français sont dirigés vers des hôtels différents. Ni l’un ni l’autre ne sont emballés par Alexandrie ; pour Florence, l’endroit le plus emblématique d’Alexandrie est un dispensaire « les filles de la Charité ». Quand au Caire, Florence aimera la ville, ce qui n’est pas le cas de Flaubert…
Puis on part sur le Nil… Alors que le récit de Florence me fait repenser à la croisière Le Caire – Assouan que j’ai eu la chance de faire il y a de années, me parle paysages, impression de temps suspendu, égyptologie, sites archéologiques, coté Flaubert c’est autocentré et très peu égyptologique… Il a aimé Karnak, sinon pas grand-chose : davantage intéressé par les gens que par les paysages et les vieilles pierres mais surtout par sa petite personne… Ce récit explicite le fait que je n’ai jamais aimé les écrits de cet auteur !
Alors oui, il y a le voyage sur le Nil qui est le fil conducteur de ce récit, mais c’est principalement le mal-être de ces deux personnes qui quittent leur quotidien pour tâcher de trouver leur voie. Lui rêve d’écrire et elle de liberté, de pouvoir vivre une vie dont elle a envie et ne pas rester cantonnée dans le rôle femme mariée dépendante qui est la voie toute tracée.

Alors pour moi c’est plutôt la jeunesse de Florence Nightingale ( et de Flaubert ) que le voyage sur le Nil qui es au centre du roman, même si le voyage des deux protagonistes se déroule en Egypte pendant le même laps de temps.

J’ai apprécié les passages se rapportant à l’ambiance si particulière, si hors du temps de la vie sur le fleuve, les moments de solitude dans les temples ( j’ai aussi eu la chance d’avoir les temples pour moi toute seule) .. mais je regrette qu’il n’y en ai pas eu plus…

Extraits :

Enfin, mettons que Gustave Flaubert décrit mieux les bordels, et Florence Nightingale mieux les temples, mais elle écrit tout aussi bien.

J’avais donc la possibilité d’établir un parallèle entre deux des personnalités les plus connues du XIXe siècle, engagées sur des chemins distincts mais comparables. Les différences sautaient aux yeux : Florence Nightingale était une femme de la haute société, issue d’une famille riche, ayant l’expérience du monde et beaucoup de relations. De son côté Gustave Flaubert, parce qu’il était un homme, jouissait de la liberté qui manquait tant à Florence Nightingale. Elle était attirée par l’univers silencieux des tombes et des temples, alors qu’il préférait l’animation des cafés et des bordels. Il n’empêche que les ressemblances surgissaient vite. Ils en étaient tous les deux à la même étape de leur vie, approchant de la trentaine, désespérant de jamais réaliser leurs ambitions, mais sur le point de réussir au-delà de toute espérance, ce qu’ils ignoraient bien entendu.

Au hammam, Florence Nightingale avait eu l’impression d’entrer dans un conte des Mille et Une Nuits, alors que Flaubert trouva l’expérience « funèbre », notant : « il semble qu’on va vous embaumer».

La majesté du fleuve n’est pas due à la lenteur, mais à sa couleur sombre et à l’immense uniformité de la plaine, à peine interrompue ici et là par une frange de dattiers.

La jeune fille de bonne famille qui aurait pu se consacrer à la littérature mais ne rêvait que de devenir infirmière et le fils de médecin qui voulait écrire des romans passaient leur première nuit sur le Nil, sous un ciel piqueté de diamants.

C’est à travers les récits de ce voyage que nous devinons le mieux la personnalité joyeuse de Florence à dix-sept ans.

De même que la place des Consuls à Alexandrie, l’Ezbékieh était l’endroit où l’on déposait les Occidentaux à leur arrivée. Et comme à Alexandrie aussi, c’était là que les Français et les Britanniques se séparaient.

On croit souvent l’Égypte soudée par une forte identité nationale, mais dans les années 1840, tout comme aujourd’hui d’ailleurs, c’était un territoire multiple, traversé par différents courants culturels. Le Nord se rapprochait de l’Europe par la Méditerranée, le Sud était beaucoup plus africain dans ses coutumes.

Cette nécessité de renoncer à la maîtrise du temps fut l’un des nombreux changements que la croisière força Florence à accepter.

Ce nouveau rythme était un bienfait du voyage, tout comme la sérénité apportée par un vent favorable et un bon équipage. Peu d’expériences sont aussi fortes qu’une remontée du Nil à la voile. D’où que vous soyez, quelle que soit votre expérience de la navigation, des fleuves, du continent africain, quoi que vous veniez de faire, de dire, de penser, si vous êtes un tant soit peu ouvert aux expériences nouvelles, c’est un moment unique. Pour Florence Nightingale, qui se jetait dans l’aventure pour trouver le salut, le Nil fut un bouleversement. Elle flottait sur les eaux de l’Histoire, sur ce qu’elle appelait « le fleuve du temps ».

On se sent sous l’emprise d’esprits cachés qui vous détachent de tout ce que l’on sait depuis toujours pour vous enlever vers la contrée lointaine.

Une torpeur, un sentiment d’étrangeté, des ombres et des esprits invisibles, la perte des repères… Ce sont les signes d’un mal courant que Flaubert nomme le « dépaysement », mot qui, n’ayant pas d’équivalent exact en anglais, se dit à défaut desorientation, quoique, dans ce cas, il s’agisse plutôt d’une « réorientation ». Florence Nightingale était justement venue en Orient – en Égypte – par désir de se laisser emporter vers des rivages inconnus où trouver le salut ou, à tout le moins, oublier ses peines. Le but semblait atteint.

Et le Nil est le fleuve du temps ; dirons-nous que c’est un dieu, ou l’emblème de l’éternité, ou plutôt la perpétuelle succession des événements parmi lesquels nous vivons ? Qu’on le prenne à contre-courant, et le temps remonte en arrière ; qu’on jette l’ancre, et la vie et les événements descendent au fil de l’eau devant nous »

Le petit temple d’Abou-Simbel était dédié à Hathor, la déesse à tête de vache, mais Florence y voyait aussi la maison de Horus, c’est-à-dire de dieu. « Hathor, écrivit-elle à sa famille depuis Abou-Simbel, est “l’infirmière qui remplit le ciel et la terre de ses actions bienfaisantes” 20 ». Pour elle, Hathor était surtout la déesse de la joie, « divinité de la danse et de la gaieté, de ces plaisirs qu’ont les enfants en tressant des colliers de pâquerettes ». Dieu et santé, danse et gaieté, quatre éléments que Florence désirait rassembler dans sa propre vie. Elle ne pouvait qu’aimer profondément ce lieu.

Sans vouloir caricaturer, on pourrait dire que le voyage de Gustave Flaubert avait été sensuel et celui de Florence Nightingale spirituel.

Au milieu du XIXe siècle, peu de voyageurs européens en Égypte auraient osé faire un parallèle aussi clair entre le christianisme, l’islam et la religion païenne, tout comme peu d’Égyptiens aujourd’hui accepteraient de comparer Amon et Allah. Mais son voyage sur le Nil lui avait appris, entre autres, que ces différentes religions partaient d’un point commun et parlaient des mêmes choses.

2 Replies to “Sattin, Anthony «Un hiver sur le Nil – Florence Nightingale et Gustave Flaubert, l’échappée égyptienne» (2015)”

  1. « C’est davantage Nightingale et Flaubert que le Nil… Un hiver sur le Nil…. Encore faut il y arriver !
    Le premier tiers du livre nous raconte la vie de Florence Nightingale, puis celle de Gustave Flaubert et nous explique dans quelles circonstances ils sont arrivés en Egypte et ont fait voyagé sur le Nil sans jamais se croiser. Si j’ai toujours bien aimé Florence Nightingale (et un peu côtoyée grâce à Anne Perry et sa série Monk), je dois dire que je n’ai jamais (désolée) été attirée par Flaubert… »
    J’en suis à une bonne moitié du livre et c’est exactement le reflet de mon avis jusqu’à présent
    C’est plaisant à lire et intéressant surtout côté Florence N.

    1. Au final, il m’a manqué un peu d’Egypte dans cette histoire…
      Mais aucun regret de l’avoir lu. J’ai bien aimé les descriptions de l’Egypte touristique des années 1850.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *