Murakami, Haruki «La fin des temps» (1992)
Auteur : Né à Kyoto en 1949 et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié le théâtre et le cinéma, puis a dirigé un club de jazz, avant d’enseigner dans diverses universités aux États-Unis. En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l’attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon.
Ont déjà paru aux Éditions du Seuil : Écoute le chant du vent – Flipper, 1973 – La Course au mouton sauvage – La Fin des temps (1992) –
chez Belfond Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (2002), Les Amants du Spoutnik (2003), Kafka sur le rivage (2006), Le Passage de la nuit (2007), La Ballade de l’impossible (2007 ; 2011), L’éléphant s’évapore (2008), Saules aveugles, femme endormie (2008), Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (2009), Sommeil (2010), la trilogie 1Q84 (2011 et 2012), Chroniques de l’oiseau à ressort (2012), Les Attaques de la boulangerie (2012), Underground (2013), L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (2014), L’Étrange Bibliothèque (2015), Écoute le chant du vent suivi de Flipper, 1973 (2016), le recueil de nouvelles Des hommes sans femmes (2017) et Birthday Girl (2017), Le meurtre du Commandeur (tome 1 : Une idée apparait – Tome 2 : la métaphore se déplace) en 2018. – Abandonner un chat (2022), Première personne du singulier (2022)
Tous les livres de Murakami sont repris chez 10/18.
Plusieurs fois pressenti pour le Nobel de littérature, Haruki Murakami a reçu le prestigieux Yomiuri Literary Prize, le prix Kafka 2006, le prix de Jérusalem de la liberté de l’individu dans la société en 2009, le grand prix de la Catalogne 2011 et le prix Hans Christian Andersen en 2016.
Né au Japon en 1949 et ayant séjourné un long moment en Europe et aux Etats-Unis, Haruki Murakami s’inspire de la culture occidentale et japonaise pour donner vie à des oeuvres passionnantes et surréalistes. Découvrez 1Q84, le best-seller énigmatique et surprenant en trois tomes aimant faire référence à 1984, l’ouvrage culte de George Orwell. Accompagnez les deux personnages principaux, Aomamé et Tengo au lien aussi mystérieux que puissant, dans une aventure oscillant entre monde contemporain et univers parallèle étrange et onirique. Mariage de pensée bouddhiste et de critique sociale ingénieuse et finement amenée, ce conte moderne à l’incroyable suspense est qualifié par nos lecteurs comme inattendu, éblouissant et captivant.
Seuil – 24.09.2009 – 560 pages / Points Poche – 06.2001- 628 pages
Résumé : Tokyo, dans le laboratoire souterrain d’un immeuble très protégé, un homme doit brouiller un programme informatique à la demande du vieux savant qui l’a inventé. Ce travail, a priori banal, le précipite dans des profondeurs hantées de » ténébrides » et de nervis. Ce qui n’entame pas son appétit d’amours, de cuisine, l’alcool et de musique. Dans une ville fortifiée, sans affect, sans plaisir et sans larme, un homme, séparé de son ombre, doit lire des rêves dans des crânes de licorne. Entre ce » Pays des merveilles sans merci » et ce lieu de la » Fin du monde « , si antinomiques, circulent des pensées fugaces, des objets tangibles qui semblent témoigner – sans certitude – que réalités et rêves de ces deux espaces-temps cohabitent, que l’un et l’autre homme pourraient ne faire qu’un. Au-delà du frottement de ces deux univers, La Fin des temps – qui a reçu le prix Tanizaki – est une immersion dans le monde personnel de Murakami, amateur de vieux films américains, de littérature européenne, de musique anglo-saxonne, de petits plats de tous les pays, narrateur inspiré, cocasse et poétique d’un quotidien très ordinaire et de son ailleurs. Un monde littéraire irrésistible.
Le narrateur, un informaticien de très haut niveau, qui effectue des missions spéciales, apporte un jour sa collaboration à un vieux savant dont le laboratoire se situe dans les sous-sols obscurs d’un immeuble. Dès lors, il est entraîné dans une aventure terrifiante. Parallèlement à ce Hard-boiled wonderland, interviennent en alternance les chapitres de La Fin des temps : le narrateur se trouve prisonnier d’une ville onirique, peuplée de licornes au pelage doré. Les deux intrigues se rejoindront finalement. De même que son personnage flirte avec d’anodines jeunes filles, Haruki Murakami courtise ici le mythe – ce qui nous vaut une fable d’une prenante étrangeté.
Mon avis :
D’un côté il y a un savant, une petite grosse toute de rose vêtue, un informaticien programmeur, une bibliothécaire, un monde souterrain, très noir, le monde des ténèbres, oppressant, confiné… En surface, une civilisation terrestre qui se bat pour échapper à la puissance du royaume souterrain des ténébrides.
De l’autre côté… un monde du blanc, de l’hiver, des licornes…. Le monde où débarque le liseur de rêves, qui lit dans les crânes des licornes mortes qui sont conservés dans une bibliothèque et qui lui sont présentés jour après jour par une bibliothèque sans souvenirs qui lui est attachée .. Dès son arrivée, le liseur est séparé de son ombre, qui est un personnage à part entière. La mort de l’ombre signifierait la mort du cœur… Tous les deux souhaitent se rejoindre et fuir de ce monde clos. Le paysage extérieur est blanc, glacé… Il est délimité par une forêt dans laquelle il ne faut pas s’aventurer. Le liseur, sur la demande de son ombre, va faire tout ce qui est en son pouvoir pour tracer le plan du territoire dans lequel ils sont enfermés. Un monde où l’eau appelle les gens… ou les licornes paissent tranquillement et meurent de la même manière.
Un roman onirique, donc bien évidemment il fait la part belle aux rêves ! Un roman sur le sens de la vie. Comme dans les autres romans de Murakami, il y a l’omniprésence des livres et des bibliothèques.
Une fois encore sous le charme de cette littérature à la lisière des mondes. La vie réelle, la vie rêvée, l’importance des souvenirs, de la mémoire, de l’amour et des sentiments.
L’inconfort des émotions et la facilité d’un monde sans émotions et dénué d’amour, une vie d’immortalité, stérile et factuelle… Est-il plus important de vibrer dans la vie – quitte à souffrir – ou faut-il se contenter de survivre en toute sécurité en se préservant de tout ce qui pourrait nous faire mal, mais au prix de renoncer à ce qui peut nous enchanter, nous faire ressentir des émotions ? A vous de savoir…
Extraits :
La civilisation moderne peut se trouver confrontée à des situations critiques, en fonction de l’utilisation bénéfique ou abusive qu’elle fait de la science. Pour ma part, je suis convaincu que la science doit exister pour elle-même.
Les bibliothèques ont bien changé. L’époque des cartes de prêt fixées au dos du livre dans une pochette plastique n’est plus qu’un rêve. Quand j’étais môme, j’adorais regarder les listes de dates marquées au tampon sur les cartes de prêt.
La licorne vue par les Occidentaux est féroce et agressive. Ben oui, ils disent trois pieds, ça fait donc une corne de presque un mètre. D’après Léonard de Vinci, il n’y a qu’une façon de capturer la licorne, c’est d’utiliser son extrême concupiscence. Si on place une jeune vierge devant une licorne mâle, l’animal éprouve un tel désir charnel qu’il en oublie d’attaquer et pose la tête sur les genoux de la jeune fille, ce qui permet de le capturer. Je pense que tu comprends le sens de la « corne » ici ?
— Je crois que oui.
— Comparée à cela, la licorne chinoise est un animal sacré et de bon augure. Avec le dragon, le phénix et la tortue, c’est l’un des quatre animaux de bon augure, et elle se situe au premier rang des trois cent soixante-cinq espèces d’animaux différents vivant sur terre. De caractère extrêmement doux, elle fait attention en marchant à ne pas écraser fût-ce la plus petite des créatures vivantes et va même jusqu’à éviter de manger de l’herbe fraîche encore vivante, pour ne manger que des herbes séchées. […] En Asie, elle est symbole de paix et de tranquillité, et, en Occident, elle représente l’agressivité et la concupiscence. Mais là où la différence s’estompe, à mon avis, c’est que, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un animal chimérique, et c’est justement parce qu’elle est chimérique qu’on a pu lui attribuer ces diverses significations particulières.
Un secret reste un secret uniquement parce que très peu de gens sont au courant.
Mais pourquoi avait-il fallu que j’abandonne l’ancien monde pour venir dans ce monde fini ? Je n’arrivais à me souvenir ni des détails, ni du sens, ni du but de ce voyage. Quelque chose, une force, m’avait propulsé dans ce monde-ci. Une force incoercible, irraisonnée. C’est à cause d’elle que j’avais perdu mon ombre et ma mémoire, c’est elle qui allait me faire perdre aussi mon cœur.
— Je peux essayer de deviner ?
— Vas-y. L’imagination, c’est libre comme l’oiseau, et vaste comme la mer. Personne ne peut l’arrêter.
Que tous les éléments du destin soient déjà déterminés à l’âge de quinze ans, ça fait vraiment mal au cœur, même pour quelqu’un d’extérieur à l’histoire. C’est comme de s’enfermer soi-même dans une prison aux barreaux inébranlables. Enfermé dans un monde encerclé de murailles, on avance inexorablement vers sa propre perte.
Quand ton cœur aura disparu, tu n’auras plus de sentiment de privation, ni de désespoir. L’amour, n’ayant pas de lieu où aller, disparaît lui aussi. Il ne reste que la vie. Une vie tranquille et discrète. Tu l’apprécieras, et elle t’appréciera aussi. Si c’est cela que tu souhaites, cela t’appartient déjà. Personne ne peut te l’enlever.
Mon ombre a été enterrée avec ce qui me restait de cœur. Toi, tu dis que le cœur est comme le vent, mais est-ce que ce ne serait pas plutôt nous qui serions pareils au vent? Nous ne faisons que passer, sans penser à rien.
Moi aussi, je trouve le cœur imparfait, dis-je, mais il nous laisse des traces que nous pouvons suivre à nouveau. Comme on suit des traces de pas dans la neige.
— Et où mènent donc ces pas ?
— À soi-même, répondis-je. C’est cela le cœur. Sans le cœur, on ne peut arriver nulle part.
Quand les gens essaient d’accomplir quelque chose, ils pensent tout naturellement à trois points : qu’est-ce que j’ai mené à bien jusqu’à maintenant ? Dans quelle position est-ce que je me trouve actuellement ? Qu’est-ce qui me reste à faire à partir de maintenant ? Si on enlève à quelqu’un les réponses à ces trois points essentiels, il ne reste plus que la peur, le manque de confiance en soi, et un sentiment d’extrême fatigue. Telle était exactement la situation où je me trouvais en ce moment. Le problème ne résidait pas tellement dans des difficultés techniques, la question était plutôt : jusqu’à quel point est-ce que je vais pouvoir me contrôler ?
Inconsciemment, je cherchai plusieurs fois le ciel du regard en marchant. Dans l’obscurité, un homme lève tout naturellement la tête pour essayer de voir la lumière des étoiles ou de la Lune.
Mais, bien entendu, il n’y avait ni Lune ni étoiles au-dessus de ma tête. Au contraire, des ténèbres de plus en plus épaisses pesaient sur moi, dans ce lieu à l’atmosphère étouffante, sans un souffle de vent. Tout ce qui m’entourait me paraissait plus pesant encore qu’auparavant. Mon existence même me paraissait plus lourde à porter.
C’est là le point gênant de la recherche en physiologie du cerveau : nous ne pouvons pas conduire d’expériences sur des animaux comme dans les autres domaines de la physiologie. Pourquoi ? Parce que le cerveau du singe ne dispose pas des fonctions complexes du cerveau humain, comme la réaction aux souvenirs, ou aux couches profondes de la conscience.
Dans la mesure où un être vit, il fait un certain nombre d’expériences, et ces expériences s’accumulent en lui, à chaque minute, à chaque seconde. Dire à un homme d’arrêter cela, c’est lui dire de mourir. À ce moment-là, je fis une hypothèse : et si on arrêtait la boîte noire d’un être, qui change d’instant en instant, en un point donné ? Si elle devait se modifier ensuite, elle pourrait le faire. Mais, à part cela, la boîte noire telle qu’elle aurait été à un instant donné serait bel et bien arrêtée, et sur un simple appel on pourrait alors la faire ressortir sous cette forme à volonté. Quelque chose comme une congélation instantanée.
Le cerveau n’est pas un grille-pain, ni une machine à laver. Les programmes ne sont pas marqués dessus, et on ne voit pas les boutons.
Les êtres dépourvus de cœur ne sont que des fantômes qui marchent. Quel sens cela a-t-il de posséder quelque chose comme ça ? La vie éternelle, c’est vraiment ça que tu veux, toi aussi tu veux devenir un fantôme comme eux ?
Tu peux me dire quel sens elle a, cette perfection ? Une perfection qu’on ne préserve qu’en faisant porter tout le poids aux faibles, aux impuissants ?
Les poches du manteau symbolisant ma vie étaient pleines des trous de la destinée, et aucune aiguille, aucun fil ne pouvait plus les raccommoder. En ce sens, si quelqu’un avait brusquement passé la tête par ma fenêtre pour me crier : « Ta vie n’est qu’un zéro ! », je n’aurais pas eu grand-chose à lui opposer.
Pourtant, si j’avais pu recommencer ma vie, aucun doute, j’aurais mené exactement la même. Parce que ma vie – cette vie faite d’une succession de pertes – c’était moi-même. Je n’avais pas d’autre chemin pour devenir moi-même. Même s’il fallait pour cela abandonner toutes sortes de gens et que toutes sortes de gens m’abandonnent, même si je devais effacer ou limiter les beaux sentiments, les caractères sublimes et les rêves, moi, je ne pouvais pas devenir autre chose que moi-même.
C’était ça, moi-même. Ce « moi-même » n’allait nulle part. « Moi-même » était toujours là et attendait seulement que je revienne à lui.
Fallait-il appeler cela le désespoir ?
Je n’en savais rien. C’était peut-être du désespoir. Tourgueniev aurait peut-être appelé ça la désillusion, Dostoïevski l’aurait appelé l’enfer, et Somerset Maugham la réalité. Mais, quel que soit le nom qu’on lui donne, c’était « Moi-même ».
Croire à quelque chose, quoi que ce soit, c’est une des fonctions du cœur. Tu comprends ? Admettons que tu croies à quelque chose. Tu trahiras peut-être cette foi, mais, si tu la trahis, le désespoir surviendra ensuite. C’est cela le mouvement du cœur.
Tu sais, en Occident, les escargots ont une signification mythique. La coquille représente le monde des ténèbres, et l’escargot qui sort de sa coquille symbolise l’arrivée de la lumière. C’est pour ça que, quand les gens voient un escargot, d’instinct ils tapent sur la coquille pour le faire sortir.
Même avec tous les efforts du monde, on ne peut déchiffrer entièrement un cœur humain dans tous ses recoins. Son cœur se trouvait là, sans aucun doute, et je pouvais le sentir. Que demander de plus ?
One Reply to “Murakami, Haruki «La fin des temps» (1992)”
Il est dans ma PAL. J’adore Murakami, sauf les scènes de sexe glaçantes que je zappe à chaque fois… C’est un grand auteur et il a cette immense qualité de jeter un pont entre le Japon et le reste du monde. Un autre de mes chouchous ; presque tous mes chouchous sont japonais 😉