Ogawa, Yôko «Instantanés d’Ambre» (2018)
Autrice : née le 30 mars 1962 à Okayama, dans la préfecture d’Okayama, est une écrivaine japonaise, auteur de nombreux romans — courts jusqu’en 1994 — ainsi que de nouvelles et d’essais. Elle est diplômée de l’université Waseda et elle vit à Ashiya, Hyōgo, avec son mari et son fils.
Ses romans : Amours en marge – Hôtel Iris – Parfum de glace – Le Musée du silence – La Formule préférée du professeur – la mer – La bénédiction inattendue – Les lectures des otages – La Marche de Mina –Cristallisation secrète – Les Tendres Plaintes – Manuscrit zéro – Le Petit Joueur d’échecs – Petits oiseaux – Instantanés d’Ambre – Jeune fille à l’ouvrage –Nouvelles: La mer – Les paupières
Actes Sud – Littérature japonaise – 04.04.2018 – 304 pages / Babel – 05.02.2020 – 304 pages
Résumé : Une mère demande à ses enfants d’oublier leur prénom. Ils doivent, dit-elle, ne plus jamais le prononcer ni même y penser, mais en choisir un autre afin d’échapper au danger qui menace leur vie. Dans une villa ayant appartenu à leur père, au milieu d’un vaste jardin cerné de hauts murs, les trois enfants vont passer un temps infini, enfermés, coupés du monde mais heureux. Leurs nouveaux prénoms sont issus d’une encyclopédie des sciences : des noms de pierres choisis au hasard – prénoms sous le signe desquels ils reconstruisent leur identité.
Arbres immenses, ruisseau ténu et chants d’oiseaux : les saisons passent, les vêtements cousus par leur mère sont trop petits, les ailes de coton et de laine qu’elle a fixées dans leur dos ne les gênent pas. Opale, Ambre et Agate grandissent en harmonie mais la dissonance vient de l’extérieur, un colporteur entre dans le jardin.
Un livre majeur, une puissante métaphore de la résilience de l’enfance, cette capacité à préserver l’amour filial en tenant la peur à distance. Ode à l’imaginaire – traversé comme toujours dans l’œuvre d’Ogawa par la présence animale, muséale et musicale –, ce roman se place sous le signe des pierres et tout particulièrement de l’ambre, dans lequel se loge la trace de ce qui n’est plus.
« Instantanés d’Ambre » (Actes Sud) roman de l’auteure japonaise Yôko Ogawa, un récit onirique qui met en scène dans un huis-clos la toute-puissance d’une mère troublée par la mort d’un de ces enfants. Un très beau livre d’une figure majeure de la littérature japonaise contemporaine.
Mon avis : Une lecture asiatique métaphorique.
La vie d’un homme, M. Ambre nous est racontée par une ancienne pianiste – la narratrice – qui vit dans le même lieu que lui : une maison de retraite ? un hospice ? un asile ? Toujours est-il que M. Ambre ne vit pas dans le présent mais dans les souvenirs de la période qu’il a passé confiné derrière son mur en briques…Il dessine la vie dans les marges de vieilles encyclopédies et c’est dans ces dessins – les instantanés – que vivent les personnages absents de sa vie ; d’abord sa petite sœur , puis viendront s’ajouter les autres disparus de son existence.
Après la mort de leur petite sœur, la mère, persuadée qu’elle a été tuée par un chien maléfique, ordonne à ses trois enfants survivants, de ne jamais sortir de la maison familiale, dissimulée par les arbres et entourée par un mur de brique. Les trois enfants, qui doivent aussi renoncer à leur nom et se choisir un nouveau nom (Opale, Ambre et Agate) vivent totalement coupés du monde extérieur et n’ont de contact qu’avec leur mère et la nature qu’ils trouvent dans leur jardin pour échapper à la malédiction du chien…Si Opale, l’ainée, a encore quelques souvenirs du monde extérieur, les deux plus jeunes ne se souviennent de pas grand-chose, voire de rien du tout pour le plus jeune. Ces enfants sont purement et simplement séquestrés par une mère qui veut les garder pour elle et les empêcher de grandir. Pour accepter leur enfermement, il leur faudra se raconter des histoires, inventer des mondes.
Ce livre nous parle de ces trois enfants qui vont s’inventer un univers pour ne pas se laisser envahir par la psychose de la mère qui veut les empêcher de vivre pour les protéger de la mort et qui doivent grandir en ne le faisant pas ressentir à leur mère. Même si la mère ne fête pas les anniversaires, les trois enfants grandissent et ils n’ignorent pas que le monde extérieur existe… Il va faire irruption dans leur vie une première fois grâce à un âne qui viendra six jours par an tondre l’herbe, puis sous la forme d’un Yorozu-ya, marchand d’une infinité de choses…
Personnellement j’ai eu du mal à entrer dans leur monde… trop embrouillé… Mais c’est un roman bouleversant sur le deuil, le besoin de protéger les siens, les liens qui unissent une fratrie, l’importance de l’imaginaire dans le processus de survie. C’est aussi l’occasion de souligner que le bien des uns ne fait pas le bonheur des autres et qu’il est égoïste de surprotéger les autres même si on croit bien faire. Mais comment lutter contre la folie d’une femme qui se bat contre une réalité qu’elle refuse d’accepter, à savoir la perte d’un enfant. Une belle écriture, sensible et poétique.
L’ambre, une pierre fossile qui a la particularité d’enfermer les souvenirs du passé. Il serait intéressant de creuser plus avant les propriété des trois pierres ambre, opale et agate pour voir si l’auteur a choisi ces noms pour les caractéristiques qui leur sont attribuées.
Extraits :
Dès la première nuit passée dans leur nouvelle maison, ils devinrent donc Opale, Ambre et Agate. Tels des éclats pour un temps infini à l’abri des entrailles de la terre, et personne ne s’apercevrait qu’il s’agissait de noms humains.
il accompagnait son chant comme s’il guidait un cheval ailé franchissant aisément les limites du jardin. Reflétant des paysages ignorés, son chant s’en allait galopant à travers le vaste monde.
L’agate du benjamin, la pierre qui paraissait la plus fragile, en réalité beaucoup plus dure que l’opale ou l’ambre, volait en éclats quand elle se brisait. Le petit Agate dissimulait au fond de lui une acuité qui balayait aisément ce qui faisait obstacle, qu’il s’agisse d’arbres ou de briques.
On pense souvent à tort qu’il a des problèmes de vue, mais non. En réalité, il a sa manière bien à lui d’observer le monde, différente de celle des autres. Il ne se contente pas de regarder le point qui se trouve présentement devant ses yeux : il accueille aussi la continuité des instants passés et à venir. C’est seulement à travers l’ambre au fond de lui que s’écoule le temps tel qu’il est.
Sans téléphone, ni télévision ni journaux, sans fréquenter l’école, avec pour seuls amis vivants les insectes et les petits animaux du jardin. De la même manière qu’il avait oublié son nom d’avant, Ambre n’eut pas conscience de laisser se déposer au fond de son cœur les souvenirs du temps passé dans le monde extérieur, au point d’avoir bientôt l’illusion que tout était déjà ainsi à sa naissance.
Son œil gauche n’est pas destiné à observer l’extérieur : il scrute l’intérieur de l’ambre. Comme pour mieux protéger ses souvenirs de jeunesse, du temps où la fratrie se trouvait dans l’enceinte du mur de briques, le regard de cet œil gauche ne se dirige jamais vers l’extérieur.
D’habitude, la présence d’un être humain fait qu’il finit par se faire remarquer de manière inutile. Ne pas déranger les choses qui ont le rôle principal, les mettre en valeur et s’effacer soi-même totalement pour ne pas laisser de trace quand le lecteur aura refermé le volume. Rares sont ceux qui savent se comporter ainsi.
Ses enfants étaient bien là. À l’intérieur du mur d’enceinte, au cœur de l’encyclopédie, ils étaient sages.
Les événements, quels qu’ils soient, ne se produisent pas sans raison. Il y a toujours des causes et des conséquences, avait expliqué Opale.
— Là où l’on ne comprend pas, il faut découvrir les raisons cachées, avait ajouté Ambre
Il ne s’agit ni de création ni d’expression. Pas plus que d’images, d’illustrations ou de graffitis. M. Amber se contente de décalquer les souvenirs qui se reflètent au fond de son œil gauche, celui qui fouille les strates couleur d’ambre.
La pâquerette est une fleur toute ronde aux innombrables et fins pétales superposés. Telle une houppette à maquillage, elle est douce et sent bon. Les yeux fermés, la fillette approche son visage au ras des pétales, de sorte que son nez est près d’en effleurer l’extrémité. Le soleil se déverse avec égalité sur ses paupières et la pâquerette. En faisant attention à ne pas abîmer les pétales, le bout du nez enfoui dans la houppette, elle inspire à pleins poumons. Faisant légèrement osciller la tige, elle sent les pétales lui chatouiller la joue et sourit, les yeux toujours fermés. Elle a du pollen sur le bout du nez. La pâquerette brille conformément à son autre nom, œil de soleil.
One Reply to “Ogawa, Yôko «Instantanés d’Ambre» (2018)”
Yoko Ogawa est mon autrice chouchou, mais je n’ai pas encore lu ce livre. J’hésite un peu à cause des thèmes explorés qui me semblent anxiogènes mais je finirai forcément par le lire car je ne résiste pas à l’univers d’Ogawa, tellement addictif.