Martinez, Carole «Les roses fauves» (RL2020)

Martinez, Carole «Les roses fauves» (RL2020)

L’auteur : Née en 1966, Carole Martinez est très appréciée des lecteurs. Après avoir testé plusieurs métiers, elle décide de rejoindre le corps enseignant et donne des cours de français dans un collège difficile de la banlieue parisienne. C’est à la faveur d’un congé parental qu’elle commence à écrire et publie en 2077 chez Gallimard « Le coeur cousu », sorte de conte inspiré des histoires que lui racontait sa grand-mère espagnole. D’abord porté par le public puis repéré par les critiques, ce roman a raflé tous les prix des lecteurs : Prix Renaudot des lycéens, Prix Ouest France étonnants voyageurs et s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires. En 2011 Carole Martinez a publié deux ouvrages : « L’oeil du témoin », un roman policier pour la jeunesse et « Du domaine des Murmures », un roman pour adulte, récompensé par le Goncourt des lycéens.
« La terre qui penche » (12.09.2015) a obtenu le prix de la Feuille d’or de la ville de Nancy – France Bleu Lorraine – France 3 Lorraine. Elle revient avec « Les roses fauves » à la RL2020.

Gallimard – 20.08.2020 – 346 pages

Résumé : Peu après la sortie de mon premier roman, Le coeur cousu, une lectrice m’a raconté une coutume espagnole dont j’ignorais l’existence : dans la sierra andalouse où étaient nées ses aïeules, quand une femme sentait la mort venir, elle brodait un coussin en forme de coeur qu’elle bourrait de bouts de papier sur lesquels étaient écrits ses secrets. A sa mort, sa fille aînée en héritait avec l’interdiction absolue de l’ouvrir.
J’ai métamorphosé cette lectrice en personnage. Lola vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, elle se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs et, dans sa chambre, trône une armoire de noces pleine des cœurs en tissu des femmes de sa lignée espagnole. Lola se demande si elle est faite de l’histoire familiale que ces cœurs interdits contiennent et dont elle ne sait rien.
Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés ? Il faudrait déchirer ces cœurs pour le savoir.

Mon avis :

Et voila mon premier livre de la RL2020…
Je suis une inconditionnelle de Carole Martinez mais je dois dire qu’elle m’a quelque peu déroutée avec ce roman. C’est l’histoire de quatre femmes : une postière, Lola, sa lignée d’aïeules « Dolores » – et en particulier Dolores-Inès, Marie une habitante du village où se déroule l’histoire et la romancière qui est de fait la narratrice du roman.
Certes Carole Martinez reste une magnifique conteuse mais ces roses laissent derrière elle un parfum d’inachevé… Certes le style poétique est au rendez-vous, sa magie opère, les personnages sont entre le réel et la fiction, le surnaturel est là. Le thème de la famille, du lien qui relie toutes les générations de femmes de cette famille, l’importance des racines (familiales et florales) ,cette malédiction de la fuite qui les poursuit depuis la première fuite lors de « la Retirada » …
L’idée de cette amitié improbable qui nait entre la narratrice et cette jeune femme seule qui vit cloitrée dans son jardin – tout comme son aïeule avant elle – et ne sort que pour aller à la poste est une superbe idée de départ. J’ai toutefois regretté que les affres de la création de la romancière interfèrent à ce point dans l’histoire.
Les trois personnages – Lola, Dolores et Marie – sont toutes trois des femmes qui vont aimer, qui vont tout donner. Toutes trois vont aimer, être follement aimées … mais l’amour est une rose vénéneuse qui étouffe tout sur son passage.
La vie est comme les fleurs… qui sait ce qui peut naître une fois la graine semée ? Ce qui certain c’est que les roses – fauves ou blanches – seront des actrices maléfiques dans le destin des trois personnages.
Le passé et le présent des unes et des autres – car c’est un roman de femmes, – les hommes n’ayant que des existences très limitées dans le temps dans le récit – vont se révéler etre des existences miroir.  Les secrets de famille sont présents, les fantômes du passé, l’histoire de l’Espagne également et le merveilleux dans lequel baigne le récit m’a séduite. Un très joli conte nourri par des souvenirs, des sensations, la transmission, l’espagnitude. Mais – il y a un petit mais – qui fait que ce livre n’est pas un coup de cœur…

Extraits :

la coutume voulait que les filles aînées héritent du cœur cousu de leur mère morte. Les femmes de cette famille n’avaient pas grand-chose à s’offrir, pas de terre, pas de maison, pas de bijoux, mais elles savaient toutes écrire, elles s’enseignaient ça de mère en fille, et leurs cœurs débordaient de secrets.

Elle promène un jardin dans son portefeuille… Un jardin, mais aucun visage. Ni père, ni mère, ni enfants, ni amoureux, ni même un chat. Elle ne garde dans son sac que des photos de roses et de radis. Ses compagnons de vie…

Aujourd’hui encore, ses sentiments sont toujours sous contrôle, lisses, retenus par quelque lien intérieur. Pas d’agitation, pas de trouble, pas d’émoi. Son père lui a inculqué le goût de l’ordre et de la maîtrise, il est mort, mais il faut toujours le satisfaire : marcher droit, coûte que coûte, marcher droit, ne pas se plaindre, ne pas jouer les mijaurées, marcher droit, ne pas faire sa midinette, espérer lui plaire.

Elle, que le parfum d’un narcisse suffit à combler, elle qui éprouve un tel plaisir à regarder pousser ses plants de tomates, à faire griller une aubergine, à concentrer l’été en gelée de mûres, elle se mentirait ! Elle ne vivrait ici, au jardin, que pour se protéger du monde extérieur ! Elle ferait semblant d’être heureuse !

Nous nous enfonçons dans la pénombre, nous traversons un salon à peine plus large qu’un couloir dont les murs sont couverts de biographies, de Mémoires féminins. Lola ne lit que ça, des vies de femmes, des textes qu’elle qualifie de « sincères » et, comme elle aime dévorer les vies jusqu’au bout, elle préfère les vies des mortes. Ses livres reposent là dans de ténébreux rayonnages comme autant de petits cercueils.

L’espagnol, la langue des regrets, des secrets, des prières, des fantômes. C’est sans doute pour les épargner, pour étouffer la nostalgie, dans le but de laisser tout cela de côté, d’avancer sans espérer revenir sur ses pas, c’est sans doute pour que cesse l’exil, que sa mère a refusé d’apprendre cette langue-là à ses filles, de leur léguer les recettes de cuisine et tout ce qui pouvait être associé à la terre perdue. Même la musique !

Elle se sent soudain plus seule qu’une fleur plongée dans l’eau insipide d’un soliflore et qui regarderait le jardin à travers une vitre sans parvenir à se souvenir de ses parfums.

Dans le cadre de la fenêtre, la laque noire de la nuit s’éclaire de nouveau, toute craquelée d’arcs électriques.

De l’écriture à la lecture tout circule, de l’auteur au personnage et du personnage au lecteur, les frontières sont poreuses.

Elle aime cette idée un peu folle, le mot qui grippait son existence a éclaté, un mot n’est rien que des lettres accrochées les unes aux autres.

Tous les mots sont usés, il les a susurrés si souvent, à tant d’autres, dans la vie comme au cinéma. Il faudrait les laver à grande eau pour les revivifier ou en inventer de nouveaux !

Peut-être avons-nous une double vie, peut-être habitons-nous un autre monde quand nous sommes endormis, un monde dont nous ne gardons pas le souvenir. Qui suis-je quand je dors ? Qui suis-je quand j’écris ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *