Chauveau, Sophie «Le Rêve Botticelli» (2005)

Chauveau, Sophie «Le Rêve Botticelli» (2005)

Autrice : Sophie Chauveau, née le 30 janvier 1953 à Boulogne-Billancourt, est une écrivaine, journaliste et metteuse en scène française.
Elle se distingue par sa grande culture artistique. Dans les années 2000, elle publie une trilogie de romans historiques qui se passe à Florence pendant la Renaissance italienne.
Ses romans : Carnet d’adresses (1985), Mémoires d’Hélène (1988), Les Belles Menteuses (1992), Moines (2004), Le Rêve Botticelli (2005) et L’Obsession Vinci (2007), Diderot, le génie débraillé. Tome 1, Les années bohème, 1728-1749 (2009) – Diderot, le génie débraillé. Tome 2, Les encyclopédistes, 1749-1784 (2010) – Fragonard. L’Invention du bonheur (2011) – Noces de charbon (2013) – Le journal de grossesse de la vierge Marie (2019) – Biographies : Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, coll. « Folio Biographies », 2008 – Diderot, le génie débraillé, Télémaque/Folio Gallimard, 2010 – Fragonard, l’invention du Bonheur, 2011 – Manet, le secret, 2015 – La Fabrique des pervers, 2016 – Picasso. Le regard du Minotaure, 1881-1937, (2017) – Picasso. Si jamais je mourais, 1938-1973, (2018)
Trilogie de romans historiques qui se passe à Florence pendant la Renaissance italienne:  La Passion Lippi (2004), Le Rêve Botticelli (2005) et L’Obsession Vinci (2007).

Télémaque – 09.11.2005 – 359 pages/ Gallimard – 22.03. 2007 – Folio – 481 pages

Résumé :
Florence, quinzième siècle. Sous le règne de Laurent le Magnifique, jamais le sang, la beauté, la mort et la passion ne se sont autant mêlés dans la capitale toscane. Le plus doué des élèves de Fra Filippo Lippi, un certain Sandro Filipepi surnommé depuis l’enfance « botticello » (le petit tonneau) va mener à son apogée la peinture de la Renaissance. Maître d’œuvre de la chapelle Sixtine, créateur bouleversant d’un Printemps inouï, il ressent intimement et annonce les soubresauts de son époque. Pendant que Savonarole enflamme la ville par ses prophéties apocalyptiques, il continue à peindre avec fougue. Il entretient alors avec Léonard de Vinci une relation faite de rivalité farouche et d’amitié profonde. Adulé puis oublié de tous, aussi secret que Florence est flamboyante, Botticelli habite un rêve connu de lui seul.
Sophie Chauveau lève le voile sur la personnalité intime, les amours et la mélancolie fascinante du plus mystérieux des génies de l’histoire de l’art. Après La passion Lippi, poursuivant son voyage unique dans le siècle de Florence, Sophie Chauveau lève le voile sur la personnalité intime, les amours et la mélancolie fascinante du plus mystérieux des génies de l’histoire de l’art.

Mon avis : Un petit bémol dans mon « j’ai adoré ». Oui j’ai beaucoup aimé le roman qui fait suite à « La passion Lippi ». Bien que très documenté, j’ai trouvé cependant qu’il mettait un peu trop l’accent sur les passions entre les personnages et  pas assez sur la peinture, même si on ne peut pas dire que le coté pictural et artistique soit négligé, bien au contraire, mais il semble servir de cadre au récit et j’aurais préféré l’inverse. La part romance m’a semblée trop prédominante ( et les ébats constants n’apportent rien au récit).
Sandro  Botticelli est certes au centre du roman qui rend parfaitement le contexte historique (Laurent de Médicis et famille, le moine Savonarole et son fanatisme religieux, les émeutes sanglantes, la peste à Florence), mais il est surtout au centre des amours entre  peintres et familles ( Sandro et Pipo, le fils de Lippi, Sandro et Sandra, la fille de Lippi et filleule de Sandro).
Coté historique j’ai trouvé extrêmement vivant et très documenté : les explications s’intègrent parfaitement au récit et ne sont pas du tout indigestes, elles font partie de l’histoire et du décor ( j’ai appris aussi avec intérêt l’origine de Saint-Tropez !)
On retrouve les personnages du tome précédent, la continuité de la vie florentine de l’époque (Les Lucrezia (Medicis et Lippi) , Laurent de Médicis, Lorenzo, le petit Pietro, Diamante – assistant de Lippi -, Ghirlandaio, Verrocchio , Giotto, Masaccio et Fra Angelico… tous les artistes de l’époque auxquels s’ajoutent les nouveaux comme le détestable mais talentueux Miquel-Ange et surtout le fabuleux Léonard de Vinci ( et son invention du dessin à la pierre rouge qu’il appelle « sanguine ». Léonard de Vinci qui sera somme toute peu présent dans le roman – au début et à la fin – car il passera cette période à Milan, chez Ludovic le More, duc de Milan. Dans le monde de Botticelli et des artistes – les peintres en particulier – les amours inverses (entre hommes) sont torrides et passionnées, mais interdites et la description du quartier de  » la Sardigna  » fait froid dans le dos.
J’en ai beaucoup appris sur l’artiste Botticelli, sa vie, son œuvre, sa fascination pour Dante (le seul qu’il vaille la peine de lire) , pour Leonardo da Vinci, son amour inconditionnel pour les chats et leur place dans sa vie, sa peur de la mondanité. La façon dont il aime ses modèles (Simonetta, Sandra) est magnifiquement dépeinte et Botticelli est décrit comme si l’autrice l’avait connu, plus vrai que nature. Botticelli et son voyage à Rome pour réaliser la Chapelle Sixtine en compagnie du Ghirlandaio, le Pérugin, Luca Signorelli. Botticelli un homme inquiet, qui doute toujours et de tout, mais un sentimental, un mélancolique.
Je ne vais pas tarder à lire le troisième tome de la trilogie.

Extraits :

— Tes mains sont douces. Au moins ne cesse pas de les promener sur mon corps. Si tu ne peux pas parler, caresse. Tes doigts sont si agiles que je vais essayer de lire ce qu’ils tracent sur moi. Ils me parlent de ce que tu n’oses pas dire. Je te déchiffre, je frémis de te comprendre.

Dans sa peinture, se retrouve la trace du ciseleur et de l’orfèvre. Ne serait-ce qu’à sa façon de considérer la ligne. De la traiter comme l’essence de l’œuvre. La ligne est tout pour lui. La ligne de son dessin, de ses contours, une ligne appuyée, aux formes strictement découpées, avec un goût pour l’ornement graphique, précis comme l’exige l’orfèvrerie. La ligne est la charpente même de son écriture. Il s’applique davantage aux plis et aux incises, aux formes arabesques, aux inflexions souples et mobiles qu’à leur emplissage. Ses silhouettes aux contours ciselés et vigoureux… La ligne, toujours, la ligne, la ligne encore, c’est sa constante préoccupation. Parfois son obsession. Sans la couleur, jusqu’à l’abstraction.

La modernité ne réside jamais pour lui dans la copie du passé. Même si le connaître ne peut nuire…

Lové entre ses chats et sa peine, il sculpte ses lignes, à quoi il semble s’accrocher pour survivre. Ses lignes comme un garde-fou.

c’est beau et mystérieux, comme si un paysage pouvait refléter un état d’âme.

En moins de trente ans, les libraires sont devenus des personnages considérables grâce à la diffusion de l’imprimerie. Leurs boutiques constituent des centres nerveux au cœur des cités et alimentent toutes les fièvres de l’esprit. Lieux de réunions des lettrés et de ralliement des étrangers de passage.
Bizarrement les libraires appartiennent à la même confrérie que les peintres. Botticelli, plus peut-être que tous les autres artistes de Florence, entretient des rapports frileux avec eux.

La fameuse épithète de Laurent, l’appellation de Magnifique accolée à son nom, n’est pas ce que vous croyez. Il s’agit d’un résidu de vieux latin. Ce n’est pas un titre de gloire ou de noblesse, ni même un éloge, mais une traduction ratée de munificent. Ça signifie juste qu’il est riche et qu’il paie bien ceux qui le nomment Magnifique ! Un dépensier, quoi !

Blond au teint blafard, ses yeux couleurs de l’Arno par grande crue, quand la Sardigna livre ses détritus, morceaux de terre immonde où s’accumulent les déchets les plus improbables. Quelques pépites aussi d’un vert d’huître délavé, miroirs des eaux stagnantes. L’intensité, la fixité avec laquelle Botticelli la tient sous ses prunelles… Oui. On peut tout imaginer.

Avoir des yeux, reprend-il imperturbable, c’est voir, d’accord, mais c’est seulement voir. Toute vision a une portée, un champ limité. Il y a des choses invisibles au loin et qui pourtant existent.

Au lit, tu me fais penser à un minéral. J’aurais préféré un animal, même une plante… Toi, c’est au caillou posé là pour l’éternité que tu me fais penser. Tu parviens à ne pas exister au faîte du plaisir, tu as le plaisir minuscule, tu es tout petit quand tu jouis. C’est odieux d’aimer quelqu’un qui se transforme en pierre sous vos caresses, et surtout sans qu’on comprenne pourquoi.

Désormais, la peinture peut exprimer les plus infimes sensations, les plus intenses bouleversements. Manière de faire passionnante, qui donne un nouvel éclairage à l’art de représenter. Plus seulement le bon, le beau, le bien et le pédagogique, mais l’effroi, l’horreur, le pire, le plus grouillant des tréfonds de l’âme humaine… Exaltant.

Depuis l’époque de Sardigna, la vie interlope a gagné sinon ses galons au moins du terrain. Il n’y a plus de quartier réservé, les bordels ont poussé partout. Florence ne serait pas cette ville sulfureuse à revendiquer te titre de capitale de l’inversion si elle n’y avait aussi inauguré des bordels pour garzoni. Des bouges où s’organisent les orgies chaque nuit.

On doit exiger de l’art qu’il exprime les sentiments, et génère de l’émotion.
— Sinon ?
— Sinon, ça n’est pas la peine.

Elle le tient sous sa coupe. Mais n’y trempe pas les lèvres.

Quand il s’agit de son art, il a instinctivement le regard scalpel, qui ausculte plus qu’il ne voit, qui mesure, qui soupèse, qui éclaire et isole ce qu’il observe. Un regard d’une infinie cruauté qui enjambe littéralement les âmes pour se fixer sur la substance.

J’ai toujours mené une double vie de tristesse et de beauté. Envers les deux, la même fidélité.

Cet homme, elle l’a haï. Longtemps, beaucoup. Mais jamais méprisé. Elle est sûre au fond de l’avoir aimé, toujours.

Il occupe désormais la place de l’ancien. Démodé ? La modernité, l’audace, l’avenir c’est Léonard. Quant à l’avant-garde, elle appartient au protégé de Vespucci, ce fameux Michel-Ange, aussi célèbre pour son épouvantable caractère que pour son travail. Et qui, par-dessus tout, hait Léonard.

Se livre pourtant un dernier bras de fer entre eux : plus Léonard estompe son dessin, plus Botticelli appuie ses contours et durcit son trait. C’est la lutte du modelé contre la suprématie de la ligne. La ligne n’existe pas dans la nature, donc Léonard la supprime. Il œuvre à la rendre invisible. Pour Botticelli, la peinture doit impérativement s’émanciper de la nature, surtout ne pas la copier. Peindre, pour lui, c’est la rendre autrement, l’inventer, la rêver, et au besoin l’améliorer. Il revendique une certaine dignité des formes. Et même une morale. Il s’adresse à l’intelligence, jusqu’à côtoyer l’abstraction. Visible surtout dans ses dessins non coloriés illustrant le Dante. Là il est d’accord avec Léonard pour reconnaître au mouvement des corps toute la puissance de l’âme humaine. L’agitation du corps est le langage de l’âme, l’image physique de la psyché. D’où son constant éloge de la danse. Depuis ses débuts, ses femmes ont toujours l’air de flotter, de marcher au-dessus du sol, de danser. Léonard est plus figé, même si chez lui, ça remue intérieurement.

Les années filent comme de la dentelle, en prenant leur temps, en tissant leurs jours, leurs nuits. Et de si jolis motifs.

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