Chauveau, Sophie «La passion Lippi» (2004)
Autrice : Sophie Chauveau, née le 30 janvier 1953 à Boulogne-Billancourt, est une écrivaine, journaliste et metteuse en scène française.
Elle se distingue par sa grande culture artistique. Dans les années 2000, elle publie une trilogie de romans historiques qui se passe à Florence pendant la Renaissance italienne. Ses romans : Carnet d’adresses (1985), Mémoires d’Hélène (1988), Les Belles Menteuses (1992), Moines (2004), Le Rêve Botticelli (2005) et L’Obsession Vinci (2007), Diderot, le génie débraillé. Tome 1, Les années bohème, 1728-1749 (2009) – Diderot, le génie débraillé. Tome 2, Les encyclopédistes, 1749-1784 (2010) – Fragonard. L’Invention du bonheur (2011) – Noces de charbon (2013) – Le journal de grossesse de la vierge Marie (2019) – Biographies : Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, coll. « Folio Biographies », 2008 – Diderot, le génie débraillé, Télémaque/Folio Gallimard, 2010 – Fragonard, l’invention du Bonheur, 2011 – Manet, le secret, 2015 – La Fabrique des pervers, 2016 – Picasso. Le regard du Minotaure, 1881-1937, (2017) – Picasso. Si jamais je mourais, 1938-1973, (2018)
Trilogie de romans historiques qui se passe à Florence pendant la Renaissance italienne: La Passion Lippi (2004), Le Rêve Botticelli (2005) et L’Obsession Vinci (2007).
Télémaque – 06.05.2004 – 332 pages/ Gallimard – 13.04. 2006 – Folio – 482 pages
Résumé : Florence 1414. Un enfant hirsute, aux pieds couverts de corne, griffonne furieusement une fresque remarquable à même le sol d’une ruelle des bas-fonds de la ville. Miraculeusement repéré par Cosme de Médicis et placé au couvent des carmes, il va faire souffler un vent de passion sur la peinture de la Renaissance. Moine et libertin, artiste intransigeant et manipulateur sans scrupules, futur maître de Botticelli, ses sublimes madones bouleversent son époque. Elles lui sont pourtant très intimement inspirées par les filles des maisons de plaisir de Florence qui en ont fait leur petit prince caché. Bravant tous les interdits et jusqu’à l’autorité suprême du Pape, il commet par amour l’ultime provocation. Le scandale le pousse à l’exil et le renvoie au secret sanglant enfoui au cœur de son enfance. Peintre voyou, ange ivre, fra Filippo Lippi invente un rapport nouveau entre l’art et le monde de l’argent et, le premier, fait passer les peintres du statut d’artisans estimés à celui d’artistes reconnus.
Mon avis : Magnifique. Tout y est .. le style fluide, la connaissance historique et artistique… la renaissance italienne, Florence, des personnages attachants, une manière de transmettre les connaissances que j’ai adoré. Happée dès les premières pages. Il faut dire que le sujet me passionne j’aime la peinture et je suis amoureuse de l’Italie et de Florence, ville dans laquelle j’ai passé des mois et des mois… Mais aussi par la façon de présenter cette histoire de la naissance de ce grand peintre qu’est Fra Filippo Lippi, la manière dont il a été découvert, les peintres qu’il a côtoyés, son caractère et sa manière de peindre, ses démons et ses passions, ses amours défendues et enfin le contexte historique dans lequel il évolue et plus précisément la description de la famille de Médicis, Cosme en tête.
Coté Renaissance italienne, vous allez faire connaissance avec Masaccio, Donatello, Brunelleschi, Ghilberti, Guido di Pietro, Paolo Uccello, Masolino, Della Robbia, Della Francesca, Pisanello, Botticelli et bien sûr Fra Angelico (Guido) et évoluer dans leurs univers. Vous fréquenterez aussi Michelozzo, architecte du Palais de Cosme de Médicis.
Vous allez vivre avec Filippo Lippi, prince des voleurs et des bordels, ange et démon, ayant la particularité de se volatiliser, s’évaporer et de disparaître. Vous découvrirez comment, pour lui, art et religion se complètent et s’opposent … comment la luxure révèle son génie.
Les vies de Cosme de Médicis et de Lippi sont étroitement mêlées. Cosme est le protecteur, le découvreur, la figure paternelle par moment. Lorsque l’un est emprisonné, l’autre se démène pour le faire sortir de prison et il se rendent la pareille. Tous deux connaissent l’exil, tous deux se couvrent mutuellement.
Je ne vais pas vous en dire davantage pour vous laisser visiter Florence et Fiesole, découvrir Santo Spirito, Santa Maria del Carmine… Découvrir les ors de Fra Angelico, les verts et bleus d’Uccello, le rouge de Masaccio, la première Vierge Marie souriante, la transmission de l’amour de la Beauté.
Ce livre précède juste la période du livre de Jean Diwo « Au temps où la Joconde parlait » que j’avais beaucoup aimé (pas de commentaire car je l’ai lu bien avant la naissance du blog) qui couvre la période 1469-1550 du moment où Laurent, » Le Magnifique » va commencer à régner sur Florence. Je vous le conseille aussi si vous aimez la peinture italienne.
Extraits :
Avec les femmes, comment savoir ? Il redoute surtout leurs larmes. Il n’en comprend pas la mécanique : les seules qui aient jamais coulé sur ses joues étaient de joie profonde, déclenchées par la beauté. D’où viennent celles des femmes ?
À l’aube de ce siècle, personne ne connaît Guido di Pietro. Le quatorzième s’est achevé sur le triomphe de Giotto. Absolu et incontestable. Tel un cri déchirant le silence de ces siècles de peste noire, depuis on n’a plus peint, juste succombé.
Plus que tout, il aime la Beauté et il est persuadé que l’argent qui n’est pas transformé en Beauté ne laisse aucune trace. Il ne sert donc à rien d’en gagner, sinon pour faire œuvrer les artisans.
La curiosité de l’un soutient celle de l’autre. L’apprentissage est souvent réciproque. Chacun a quelque chose à donner à l’autre. Les grands maîtres apprennent en transmettant. Chacun apporte son boire et son manger. Pour mieux l’offrir à l’autre, plus avide encore d’être si désiré. Cet échange crée une intimité inédite entre ces deux hommes d’âge et d’origine si éloignés.
On ne peut pas avoir toujours le même âge. Il faut en changer régulièrement. Tous les ans, même ! C’est ce qu’on appelle grandir.
À propos de cette inconnue, la République. Il paraît que les Florentins l’adorent et la tiennent pour une vertu sacrée. Qu’elle a même son palais, aussi beau que la cathédrale. D’ailleurs on l’appelle La Signoria. Lippi a ainsi appris, derrière la porte, que cette République favorise son travail comme celui de tous les artisans et protège les confréries. Elle a la vie de la cité à charge. Les progrès comme les pestes ! Amour, naissance et mort, elle consigne tout dans ses registres et les artisans se contentent de tout retraduire à leur manière.
— Oser mettre sur le même plan tous ses personnages ! Faire les grandi plus petits que le portier ! Mettre le popolo minuto à la place d’honneur… Et tous au même niveau comme dans la vie ! On n’a pas le droit ! Guido est sincèrement scandalisé. Si la peinture se met à copier la réalité, demain elle lui dictera sa loi ! Où ira la République ? Glisser les portraits de ses amis dans les scènes de la Bible ! Quelle audace ! Ses contemporains déguisés en apôtres ! Mais c’est indigne ! On n’est quand même pas là pour copier, mais bien pour rendre autrement. Laisser souffler l’esprit de Dieu, obliger les gens à penser.
Masaccio déshabille tous ses personnages et les peint grandeur nature !
Songe au sens des mots ! Des vœux ! Donc tu es en âge de vouloir ! Tu as la maturité de t’imposer à toi-même ta propre volonté ! Celle à laquelle tu te soumets seul, de ton plein gré, en prêtant serment à Dieu.
Elle se gêne, la vie, quand elle vous rend malade, fou, abandonné, pauvre ou mort… Il est temps que la peinture hurle quand ça fait mal.
— Peut-on davantage avilir un artiste qu’en le traitant d’« empoté » ce que signifie masaccio en toscan ! Le comble de la balourdise ! Tu es d’accord, insiste Lippi. La maladresse est le pire des crimes pour nous ? Mal faire, mal penser, ce n’est rien à côté d’un geste défectueux, sans soin, inattentif. La balourdise est pire qu’une faute. C’est la mort. Tout peut s’excuser sauf de manquer d’attention. C’est du mépris…
Évidemment, il n’en a ni l’âge ni les moyens, pourtant il ne supporte déjà plus l’humiliant système des ateliers à l’ancienne où, durant la moitié de sa vie, on travaille pour un autre, sous le nom d’un autre et à la manière d’un autre…
Aux enfants, il transmet l’essentiel : l’amour de l’étude. Transmettre est la seule chose qui compte, peu importe quoi. Le goût de transmettre lui suffit ! Jamais en tenue de clerc, afin que ses petites âmes ne s’imaginent pas que l’amour de l’étude est réservé au clergé. Lippi n’est moine que par amour de l’étude, de la peinture, et des filles ! Oui, des filles !
« On ne naît pas noble, on le devient », disait Pétrarque, exprimant là le rêve de Cosme : transmettre à chacun l’amour et le plaisir du Beau. Donner à tous les moyens de s’en approcher.
Médusé. Méduse, tu sais, cette déesse au pouvoir paralysant. La Beauté est un venin qui pique l’âme pour la dilater…
Info : Fra Filippo Lippi, dit Fra Filippo del Carmine, né en 1406 à Florence et mort le 9 octobre 1469 à Spolète, est un peintre florentin de la Première Renaissance.
Orphelin, Filippo Lippi est placé très jeune au couvent des Carmes de Florence où il prononce ses vœux en 1421. Il peint ses premières œuvres dans ce couvent où il a pu voir travailler Masaccio avec Masolino da Panicale à la chapelle Brancacci.