Camus, Albert – L’étranger (1942)

Camus, Albert – L’étranger (1942)

Résumé : « Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box s’est ouverte, c’est le silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette singulière sensation que j’ai eue lorsque j’ai constaté que le jeune journaliste avait détourné les yeux. Je n’ai pas regardé du côté de Marie. Je n’en ai pas eu le temps parce que le président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français… »

 Analyse : (étayée par l’écoute d’une émission avec le philosophe Raphaël Enthoven) En prévision de la lecture du livre de Kamel Daoud « Meursault, contre-enquête » j’ai relu le livre de Camus. Toujours aussi prenant. Le livre commence par la phrase que tout le monde (ou presque) « Aujourd’hui, maman est morte ». Dès le début, Meursault semble totalement étranger à la réalité, on est dans l’incertain, dans l’indifférence apparente, alors que le livre est écrit à la première personne. Meursault est étranger à lui-même et semble ne pas ressentir les choses. Il a des rapports très dociles avec l’ordre établi (patron, juge) mais ne semble concerné par rien. C’est l’histoire d’un homme condamné avant d’avoir tué. Mais de quoi est-il coupable ? Simplement de ne rien dissimuler, de ne pas mentir. Le premier reproche : ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère ; le procès contre Meursault commence dès l’arrivée des amis de sa mère pour l’enterrement. Il est déjà jugé et condamné. Et pourtant … ce que ressent Meursault est inexplicable mais il comprend. Il comprend la douleur, il perçoit les choses (d’ailleurs « comprendre » est le verbe le plus employé dans le texte de Camus) Il est l’homme de l’immédiat, de l’ouverture au monde, l’immoral de Nietzsche.

Le coupable ? la chaleur, le soleil : il est déjà présent le jour de l’enterrement. Un soleil de plomb, inhumain, pénible, accablant, brulant, dangereux : c’est l’ennemi.

La victime n’a aucune importance dans le récit.. il est décrit comme un ennemi potentiel, jamais nommé, jamais décrit de face. Il sera tué alors que le soleil brule la plage et que Meursault est terrassé par la chaleur. La chaleur, encore elle, incommode Meursault lors de sa rencontre avec le juge, qui se situera entre le meurtre et le procès : elle faussera le dialogue car Meursault n’est jamais disponible quand il fait chaud. Quand son corps souffre, il ne pense plus et plus rien n’a d’importance. Alors vivre, mourir ? Est-ce important ? de toutes manières, on meurt tous.. un peu plus tôt, un peu plus tard.

(Lire : Etude de Meursault dans « L’étranger » d’Albert Camus selon la maxime stoïcienne et nietzschéenne de l’Amor fati par Irène Leroy-Syed : pi.library.yorku.ca/ojs/index.php/litte/article/download/26258/24257

 Extraits :

Le ciel était déjà plein de soleil. Il commençait à peser sur la terre et la chaleur augmentait rapidement.

Le soir, dans ce pays, devait être comme une trêve mélancolique. Aujourd’hui, le soleil débordant qui faisait tressaillir le paysage le rendait inhumain et déprimant.

De grosses larmes d’énervement et de peine ruisselaient sur ses joues. Mais, à cause des rides, elles ne s’écoulaient pas. Elles s’étalaient, se rejoignaient et formaient un vernis d’eau sur ce visage détruit

J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de changé.

Mais il me parle souvent et quelquefois il passe un moment chez moi parce que je l’écoute

Cela m’était égal d’être son copain et il avait vraiment l’air d’en avoir envie

Elle m’a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j’ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n’y avais pas pensé et c’est ce qu’elle avait l’air de me reprocher

Mais comme un chien vit moins qu’un homme, ils avaient fini par être vieux ensemble

Mais selon lui, sa vraie maladie, c’était la vieillesse, et la vieillesse ne se guérit pas

Il y avait déjà deux heures que la journée n’avançait plus, deux heures qu’elle avait jeté l’ancre dans un océan de métal bouillant.

C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman

Cependant, je lui ai expliqué que j’avais une nature telle que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments. Le jour où j’avais enterré maman, j’étais très fatigué, et j’avais sommeil. De sorte que je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait

Il ne me comprenait pas et il m’en voulait un peu. J’avais le désir de lui affirmer que j’étais comme tout le monde, absolument comme tout le monde. Mais tout cela, au fond, n’avait pas grande utilité et j’y ai renoncé par paresse.

À vrai dire, je l’avais très mal suivi dans son raisonnement, d’abord parce que j’avais chaud et qu’il y avait dans son cabinet de grosses mouches qui se posaient sur ma figure, et aussi parce qu’il me faisait un peu peur

Comme toujours, quand j’ai envie de me débarrasser de quelqu’un que j’écoute à peine, j’ai eu l’air d’approuver.

Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J’ai fini par ne plus m’ennuyer du tout à partir de l’instant où j’ai appris à me souvenir

Je savais qu’avec la montée des premières chaleurs surviendrait quelque chose de nouveau pour moi

Même sur un banc d’accusé, il est toujours intéressant d’entendre parler de soi

En quelque sorte, on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu’on prenne mon avis

Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement sa mère se retranchait de la société des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur l’auteur de ses jours.

Moi, j’étais étourdi de chaleur et d’étonnement

La montée vers l’échafaud, l’ascension en plein ciel, l’imagination pouvait s’y raccrocher

Je n’ai jamais aimé être surpris. Quand il m’arrive quelque chose, je préfère être là.

Maman disait souvent qu’on n’est jamais tout à fait malheureux

Du moment qu’on meurt, comment et quand, cela n’importe pas, c’était évident

En tout cas, je n’étais peut-être pas sûr de ce qui m’intéressait réellement, mais j’étais tout à fait sûr de ce qui ne m’intéressait pas.

 

4 Replies to “Camus, Albert – L’étranger (1942)”

  1. ah oui quel souvenir de jeunesse ce livre… dommage parfois qu’on soit obligé de lire certains livres quand on est à l’école et qu’on n’est pas prêt pour certains. Je me souviens surtout du Grand Maulnes que j’ai détesté lire en cours alors que je l’ai relu avec plaisir des années plus tard ; en même temps que le fiston comme quoi les profs ne se renouvellent pas toujours 😉

  2. Ah ! Les profs ! La faute aux Profs ! Etc.
    N’y a-t-il pas aussi les parents pour guider, voire commenter les lectures d’adolescents ?
    Mais bon. Passons. Je me tais : ce n’est pas pour disserter – ou éructer – là-dessus que je suis venu.

    J’ai été très étonné, chère Cat ,de voir Camus comme perdu dans ta liste quand j’ai reçu le courriel. Perdu parce qu’aux antipodes de la majorité de tes choix littéraires … que je ne suis nullement gêné d’écrire que je ne les connais absolument pas … pour la raison que tu sais. Aussi, suis-je venu pour essayer de comprendre ta motivation. Et l’ai trouvée dans la parenthèse qui ouvre ton analyse et les quelques mots qui la suivent : moi qui croyais que tu avais relu Camus dans la foulée de la commémoration du centenaire de sa naissance, et de la médiatisation de ses ouvrages par les libraires, je constate avec bonheur qu’à ton choix, Raphaël Enthoven n’est pas étranger – mauvais jeu de mots, je te le concède ! Ce qui prouve qu’il y a des Profs qui … (J’avais dit que je me taisais !).
    Et, surtout, le roman Kamel Daoud que tu t’apprêtais à lire.

    Quoi qu’il en soit, il est bon, il est nécessaire que l’on remette Camus – grand philosophe ! – à la une de notre littérature française : Sartre l’a trop éreinté pour qu’il reste enterré pour l’éternité !

    J’espère que tes lecteurs t’ont remerciée, chère Cat, pour cette bienvenue piqûre de rappel. Personnellement, je le fais.

    Belle fin d’année à toi et à ceux qui te sont chers.
    Amitiés.
    Richard.

    1. Merci pour tes commentaires qui me vont droit au cœur.
      Effectivement, pour une fois un commentaire sur un « classique » alors qu’en règle générale je ne parle que de livres récents.
      La raison : conseiller aux personnes qui souhaitent lire le livre de Kamel Daoud de commencer par relire « L’Etranger » de Camus.. et comme j’apprécie les émissions d’ Enthoven … Pour ce qui est des dates pour relire tel ou tel auteur ( centenaires et autres … ) je dois reconnaître que cela n’a pas beaucoup d’influence sur mes choix de lecture.. tout au plus un « Tiens mais oui.. cela fait longtemps que je n’ai pas relu cet auteur » ) …

  3. Un tres vieux souvenir….Mais un bon souvenir.
    En fait je l’avais lu avant de l’étudier en classe et ce livre m’avait beaucoup plu, car c’est une lecture aisée et le sujet intéressant.
    Maintenant le disséquer en classe m’a profondément déplu, car on oubliait l’histoire et le sentiment que l’on avait pour analyser selon les règles de français et de rédaction. Quel dommage ! On a du en dégoutter pas mal. Moi je me suis dépêché d’oublier cette analyse et de le prendre comme je l’avais aimé…une histoire.

    A trop vouloir analyser, on en oublie souvent l’essentiel : ce qu’à voulu exprimer l’auteur dont je doute bien qu’il se soit poser toutes les questions que les profs lui prêtent.

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