Pobi Robert «L’invisible» (2012)

Auteur : Robert Pobi est un écrivain canadien qui vit à Montréal. Inlassable voyageur, il a travaillé dans le monde des antiquités . Durant son temps libre, il pêche, se passionne pour l’art américain du XXe siècle et écoute Motörhead.
Ses romans sont traduits dans plus de quinze pays.
Sonatine – 10.05.2012 – 425 pages / Points poche – 10.05.2013 – 480 pages ( Fabrice Pointeau Traducteur) – L’invisible (Bloodman, 2012) est son premier roman. En 2020, il obtient le prix Cognac du meilleur roman international pour « City of windows ».
Ses romans : L’invisible (Bloodman, 2012) – Les Innocents (2015) – City of windows (2020) – Serial bomber (2021)
Résumé : Montauk, Nouvelle-Angleterre. Jack Cole revient pour la première fois depuis près de trente ans dans la maison où il a grandi. Son père, Jacob Coleridge, un peintre reconnu et célébré dans tout le pays à l’égal de Jackson Pollock, y vit reclus depuis des années, souffrant de la maladie d’Alzheimer. Son état a récemment empiré et une crise de démence l’a conduit à l’hôpital. Si ses jours ne sont pas en danger, ses moments de lucidité sont rares.
Jack, qui a le corps entièrement tatoué d’un chant de L’Enfer de Dante, souvenir d’une jeunesse perturbée, est lui aussi un artiste en son genre. Travaillant en indépendant pour le FBI, il possède un don unique pour lire les scènes de crime et entrer dans l’esprit des psychopathes. Alors qu’un terrible ouragan s’approche des côtes, Dan Hauser, le shérif de la ville, profite de la présence de Jack pour lui demander de l’aider à résoudre un double assassinat, celui d’une femme et d’un enfant dont on ignore les identités.
Devant la méthode employée par le tueur, Jack ne peut s’empêcher de faire le lien avec un autre crime, jamais résolu, le meurtre de sa mère lorsqu’il avait 12 ans. Alors que le village est bientôt coupé du monde par la tempête, les meurtres se succèdent et Jack est bientôt convaincu que son père connaît l’identité de l’assassin. La clé réside-t-elle dans les 5 000 mystérieux tableaux qu’il a peints inlassablement ces dernières années et qui semblent constituer une sorte d’étrange puzzle ? C’est dans l’esprit de son père que Jack va cette fois devoir entrer, comme il entre d’habitude dans celui des criminels, pour trouver une vérité complètement inattendue. Dans ce premier roman impressionnant, Robert Pobi s’intéresse à un trait commun que partagent artistes, médecins et policiers, celui d’interroger obsessionnellement les apparences afin d’atteindre, peut-être, la vérité qui se cache derrière.
Avec une efficacité et une maîtrise dignes des plus grands auteurs de thrillers, il tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page, au fil d’une intrigue machiavélique, jusqu’au coup de théâtre final, qui place le livre au niveau des plus grandes réussites du genre.
Mon avis :
Le moins qu’on puisse dire c’est que l’auteur ne fait pas dans la dentelle… Il faut s’accrocher car certaines scènes et descriptions sont extrêmement sanglantes.
On rentre de plein pied dans l’horreur, en compagnie d’un peintre obsessionnel, vivant en ermite, atteint de la maladie d’Alzheimer, de son fils, ancien toxico et dont la vie dépend de son pacemaker, qui travaille pour le FBI et qui se met dans la peau des psychopathes pour lire dans leurs pensées.
Le fils qui retourne sur les lieux de son enfance car son père a été admis à l’hôpital et se retrouve confronté à l’univers qu’il avait fui : la demeure de son enfance est dans un état effroyable, et il y a des centaines et des centaines de toiles dans la maison … serait-ce une piste reliée au passé ? une simple obsession ? un message ?
Le sentiment d’urgence est très présent : non seulement il s’agit d’arrêter un tueur qui renait du passé (il avait sévi pour la première fois il y a 33 ans) et lutter contre la montre car la pire tempête de tous les temps se dirige droit sur la région. (L’Ouragan Dylan… tient cela me fait penser à Bob Dylan et son « hurricane » (Dans la bande son il y a aussi Patti Smith, Springsteen)
La Divine Comédie de Dante , Gustave Doré, Bruegel (le triomphe de la Mort) , Chuck Close, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, James Joyce (Finnegans Wake) , Picasso, Jackson Pollock, Andy Warhol… les référence artistiques ne manquent pas et cela contribue à l’intérêt de ce livre.. Mais là encore, on ne peut pas dire que les références soient lumineuses… Il fait vraiment dans le glauque et l’angoissant.
Un triller psycho-psychiatrique, des personnages qui trainent un lourd passé, des relations difficiles, des déséquilibrés…
Les dons mis en valeur sont des qualités qui manquent au commun des mortels, comme la spécificité de l’enquêteur et les qualités exceptionnelles d’une jeune autiste.
Un livre très prenant, qui tient en haleine jusqu’à la fin… Qui gagnera la course contre le temps ? L’ouragan Dylan ? L’assassin ? je vous laisse plonger dans la tourmente…
Extraits :
C’était comme se construire une carapace, mais à l’intérieur.
Au lieu d’un gilet en Kevlar et d’un casque antiémeute, sa protection était donc un bouclier mental méticuleusement conçu de sorte à éviter que les zones les plus tendres de son psychisme ne soient endommagées.
Les fines lignes que l’inquiétude creusait sur son visage ressemblaient à des fissures sur une statue de jardin qui serait restée trop longtemps exposée aux éléments.
Ça faisait longtemps qu’Hauser avait appris que ce n’était pas ce qu’il ignorait qui pourrait lui nuire, mais plutôt ses fausses certitudes
Quand Jacob Coleridge avait emménagé à Montauk, il s’était déjà fait un nom. Pollock était mort, Warhol était une présence incontournable, et il y avait un énorme trou béant dans la progression de la peinture américaine. Opposé à la surcharge de couleurs de Pollock ou au packaging banal de Warhol, Jacob Coleridge exposait à grands coups de pinceau une vision sinistre qui n’avait pas laissé les critiques indifférents. Les collectionneurs n’avaient pas tardé à suivre.
Et tout d’un coup il se rappela pourquoi il l’aimait tant ; elle faisait ressortir son bon côté, elle l’aidait à fouiller en lui et à trouver les choses qu’il croyait perdues à jamais.
Son travail – ce pour quoi il était doué – consistait à comprendre la façon de penser des assassins. Et les assassins qu’il traquait étaient des artistes. Du point de vue de la société, c’était un art dément, sadique, mais dire ça, c’était passer à côté de l’essentiel ; pour eux, c’était de l’art. Et il était toujours exprimé avec une voix unique ; le langage du ver qui envoyait des bouts de code dans les profondeurs de l’esprit ravagé. Le don de Jake avait toujours été de déchiffrer le langage artistique spécifique aux meurtriers qu’il traquait, de comprendre leur symbolique personnelle et son message sous-jacent. S’il était capable d’observer une scène de crime avec les yeux d’un tueur psychotique, est-ce que ce serait beaucoup plus dur pour lui d’observer cet espace avec les yeux d’un homme dont il partageait les gènes ? C’était un langage différent – le langage d’un fou – mais ça demeurait un langage. Ce qui signifiait qu’il pouvait être déchiffré. Qu’est-ce que… ?
Vous plus que tout autre devriez comprendre que ça fait partie du boulot, répondit-il. Chaque fois que vous dites à un parent que son gamin a été réduit en bouillie par un conducteur ivre, ou qu’il roulait en état d’ébriété et qu’il a tué quelqu’un, vous passez en mode combat. C’est un processus de défense. Autoprotection. Sinon vous passeriez votre temps à chialer.
Il ne s’agit pas de ça. Il y a un sens à ce qu’il fait. Il travaille vite parce qu’il y est obligé. Nous devons – je dois découvrir pourquoi. Quand nous saurons pourquoi, nous aurons beaucoup plus de chances de découvrir qui.
Jake avait un don pour examiner les indices avec les yeux d’autrui. Mais, avec l’histoire freudienne des mâles Coleridge qui se mêlait à tout ça, il perdait son objectivité et il savait que l’objectivité était ce qui permettait à l’observation impartiale, pure et sans préméditation de fonctionner. Avec une relation père-fils aussi empoisonnée que la leur, les résultats étaient sûrs d’être biaisés.
Un claquement audible retentit lorsque son pacemaker mit son cœur en surtension. Puis le silence l’enveloppa comme une couverture de sable humide.
– C’est un talent hyperdéveloppé. La moitié des savants sont autistes, les cinquante pour cent restants sont atteints de diverses formes d’anormalités neuronales. Ils peuvent faire des choses que personne d’autre ne peut faire.
– Comme ?
– Ils ont souvent une excellente mémoire photographique. Certains peuvent calculer plus vite qu’un ordinateur – additionner instantanément trois douzaines de numéros à six chiffres. Nombre d’entre eux font une fixation sur les dates.
… c’est quand on commence à croire ses propres conneries que les emmerdes débutent.
Mots inconnus :
Hydrométéores : Météore aqueux (nuage, brouillard ou brume, pluie ou neige, rosée, givre, verglas) déterminé par la condensation ou la congélation de la vapeur d’eau.
Désépithélialisé : Écorché était trop brutal pour un métier aussi élégant que la médecine légale, alors elle avait opté pour désépithélialisé à la place.
maskinongé : Le maskinongé (Esox masquinongy) est une espèce américaine de brochets
pataras : Sur un voilier moderne (gréement bermudien), le pataras est un câble reliant la tête de mât à l’arrière du navire : il contribue à maintenir le mât dans sa position verticale dans le sens longitudinal. Le pataras fait partie des manœuvres dormantes ; il peut être simple ou double.
Infos :
Richard Neutra : (1892 – 1970) est un important architecte californien (d’origine autrichienne) des mouvements moderne et architecture californienne moderne des années 1930 aux années 1960, aux États-Unis et en Californie.
Image : Illustration de Enfer de Dante..