Conrad, Joseph «Au cœur des ténèbres» (1899)

Conrad, Joseph «Au cœur des ténèbres» (1899)

Auteur : Écrivain britannique d’origine polonaise, Józef Teodor Konrad Korzeniowski est né en le 3 décembre 1857 près de Berditchev dans la partie aujourd’hui Ukrainienne de la Pologne à cette époque occupé par les Russes, et mort le 3 août 1924 à Bishopsbourne, est un écrivain polonais de langue anglaise. Orphelin à l’âge de douze ans, recueilli par un oncle, il se passionne pour la géographie, les atlas, la mer et rêve d’explorer les zones blanches sur les cartes de l’Afrique.
Il remonte le Congo en août 1890. Là, le choc est terrible, il rencontre une colonisation engluée dans une spirale d’une extrême violence. Les zones blanches des atlas de son enfance portent maintenant des indications, des noms, mais partout règnent les ténèbres.

Romans principaux : La Folie Almayer) -Un paria des îles – Le Nègre du Narcisse – Au cœur des ténèbres – Lord Jim – Typhon – Fortune – Victoire – La Flèche d’Or – Le Frère-de-la-Côte

1899 : Heart of Darkness (Au cœur des ténèbres) – Livre de poche – 10.10.2012 – 214 pages – La Pléiade Joseph Conrad – Œuvres – tome 2 – 05.02. 1985 (Jeunesse – Au cœur des ténèbres – Au bout du rouleau – Typhon – Falk – Amy Foster – Pour demain – Nostromo – Le Miroir de la mer)

Résumé :  Le Coeur des ténèbres s’inspire d’un épisode de la vie de Conrad en 1890 dans l’État libre du Congo mis en coupe réglée au profit de Léopold II. De cette expérience amère, l’écrivain a tiré un récit enchâssé dont chaque élément, à la façon des poupées russes, dissimule une autre réalité : la Tamise annonce le Congo, le yawl de croisière la Nellie le vapeur cabossé de Marlow, truchement de Conrad. Ces changements d’identité sont favorisés par les éclairages instables au coucher du soleil ou par le brouillard qui modifie tous les repères et dont émerge Kurtz.
Présenté par de nombreux personnages bien avant d’entrer en scène, celui-ci fait voler en éclats toutes les définitions et finit par incarner le cours énigmatique des ténèbres : le lieu où se rencontrent l’abjection la plus absolue et l’idéalisme le plus haut.

Mon avis : Nous embarquons à bord d’un bateau à vapeur pour remonter le fleuve Congo, au cœur des ténèbres et de l’Afrique, en pleine période de l’exploitation coloniale, au XIXème siècle, avec le Capitaine Marlow. Nous allons être les témoins d’atrocités, en partant à la recherche d’un certain Kuntz. Dans une ambiance angoissante, sur le fleuve, avec des bruits et des mouvements hostiles sur les berges… tout est peur et noirceur dans ce lieu inhospitalier. Ce qui pourrait être un roman d’aventure est de fait une description de la manière dont étaient perçus les noirs par les blancs à cette époque. Il dénonce l’impérialisme de Léopold II et nous dépeint la condition humaine dans la région. Certaines scènes sont d’une violence et d’une bestialité incroyables ( des têtes de rebelles sur des pieux) et la manière infame dont se comportent les colons. Ceux qui sont appelés « sauvages » par les blancs le sont nettement que les blancs en question !
Les ténèbres sont partout : dans l’air, dans le paysage, dans la façon de se penser et de se comporter des gens, dans l’âme des gens.  Et la phrase « L’horreur ! L’horreur ! » résume la sauvagerie qui plane sur ce roman.
Quant à la fin, je ne sait pas trop ce qu’elle apporte…
L’écriture de l’auteur est déstabilisante, oppressante comme l’atmosphère qui règne sur le fleuve Congo

Extraits :

Nous regardions le vénérable cours d’eau non point dans la vive animation d’une courte journée qui survient puis disparaît à jamais, mais dans l’auguste lumière des souvenirs durables.

La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des hommes d’une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, n’est pas une jolie chose quand on la regarde de trop près.

Regarder d’un navire la côte filer, c’est comme de réfléchir à une énigme. La voilà devant vous – souriante, renfrognée, aguichante, majestueuse, mesquine, insipide ou sauvage et toujours muette avec l’air de murmurer, Venez donc voir.

Le mot « ivoire » résonnait dans l’air, se murmurait, se soupirait. On aurait dit qu’ils lui adressaient des prières.

Il y a une corruption funeste, une saveur de mort dans le mensonge, qui sont exactement ce que je hais et déteste au monde – ce que je préfère oublier. Cela me rend malheureux et m’incommode, comme si je mordais dans une pourriture.

Il me semble que j’essaie de vous dire un rêve – que je fais un vain effort, parce que nulle relation d’un rêve ne peut communiquer la sensation du rêve, ce mélange d’absurdité, de surprise, de confusion, dans un effort frémissant de révolte, cette notion qu’on est prisonnier de l’incroyable, qui est de l’essence même du rêve… »

Je n’aime pas le travail – personne ne l’aime – mais j’aime ce que le travail recèle – la chance de se trouver.

La nuit parfois le roulement des tam-tams derrière le rideau d’arbres remontait le fleuve et restait vaguement soutenu, planant en l’air bien au-dessus de nos têtes, jusqu’à l’aube. S’il signifiait guerre, paix ou prière, nous n’aurions su dire.

Quand le soleil se leva il y avait un brouillard blanc, très chaud et moite, et plus aveuglant que la nuit. Il ne bougeait ni n’avançait : simplement, il était là, dressé tout autour comme une matière solide. A huit ou neuf heures, à peu près, il se leva comme on lève un store.

Une voix. Il n’était guère autre chose qu’une voix. Et je l’entendis – lui – elle – cette voix – d’autres voix – tout cela n’était guère plus que des voix – et le souvenir de ce temps même traîne autour de moi, impalpable, comme la vibration mourante d’une immense jacasserie, stupide, atroce, sordide, sauvage ou simplement mesquine, et sans aucun sens.

« Nous avons parlé de tout », dit-il, transporté à ce souvenir. « J’ai oublié que le sommeil existait. La nuit n’a pas semblé durer une heure. Tout ! Tout !… De l’amour, aussi. »

La destinée. Ma destinée ! C’est une drôle de chose que la vie – ce mystérieux arrangement d’une logique sans merci pour un dessein futile. Le plus qu’on puisse en espérer, c’est quelque connaissance de soi-même – qui vient trop tard – une moisson de regrets inextinguibles. J’ai lutté contre la mort.

Il vivait là devant moi ; il vivait autant qu’il avait jamais vécu – une ombre, insatiable d’apparences splendides, de réalités effroyables, une ombre plus ténébreuse que l’ombre de la nuit, et drapée noblement dans les plis d’une éloquence fastueuse.

Je les vis elle et lui dans le même instant – la mort de l’un et la tristesse de l’autre – je vis la tristesse au moment même de la mort. Vous comprenez ? Je les vis ensemble – je les entendis ensemble. Elle avait dit, en reprenant profondément son haleine, « J’ai survécu », tandis que mes oreilles tendues semblaient entendre distinctement, mêlé à ce ton de regret désespéré, le murmure dans lequel il avait résumé son éternelle condamnation.

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