Ryan, Donal «Par une mer basse et tranquille» (2021)
Auteur : Ryan est né en 1976 à côté de Nenagh, dans le comté de Tipperary. Il est titulaire d’un diplôme en droit de l’Université de Limerick. Il a travaillé pour l’Autorité irlandaise du droit du travail jusqu’en avril 2014, date à laquelle il est devenu écrivain à temps plein. Il est marié et vit à Castletroy, dans le comté de Limerick, avec son épouse et ses deux enfants.
Les deux premiers romans de Ryan, Le Cœur qui tourne et Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe, ont été rejetés 47 fois avant qu’un éditeur accepte de les publier. Le Cœur qui tourne a été sélectionné pour le Booker Prize. Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe, écrit avant Le Cœur qui tourne, a été publié en 2013.
Romans : Le Cœur qui tourne (2015) – Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe (2013) – A Slanting of the Sun: Stories (2015). Non traduit en français. – Tout ce que nous allons savoir (2016) – Par une mer basse et tranquille (2021)
Devenu une voix incontournable des lettres irlandaises depuis Le Coeur qui tourne, Donal Ryan s’éloigne pour la première fois de son décor familier du comté de Limerick pour embrasser un territoire plus vaste.
Albin-Michel – 31.03.2021 – 245 pages Marie Hermet (Traductrice) – (From a Low and Quiet Sea (2018)
Résumé : Fuyant les bombardements, Farouk, un médecin syrien, décide de traverser la Méditerranée avec sa femme et sa fille pour trouver asile en Irlande.
Ce pays est le seul qu’a jamais connu Lampy, un jeune homme qui rêve de tout plaquer – à commencer par sa famille et son boulot – depuis que Chloe, sa petite amie, l’a quitté. Quant à John, peut-être parce qu’il sent la mort approcher, il cherche la rédemption après une vie passée à faire le mal autour de lui. Le réfugié, le rêveur au coeur brisé et le pénitent : de la Syrie en guerre à la campagne irlandaise, trois hommes blessés à la croisée de leurs destins, trois êtres que tout oppose et dont les chemins vont converger de manière inattendue.
Un roman bouleversant d’humanité et de justesse.
« Ce livre m’a longtemps habité. Je me demande si nous ne sommes pas en train de vivre un nouvel âge doré de la littérature ». Jonathan Franzen
Mon avis : Un grand merci aux Editions Albin Michel pour la découverte de cet auteur irlandais.
J’ai eu le coup de foudre pour son écriture et ses descriptions si humaines et dans un style que j’ai dégusté. Il faut aussi noter que le style n’est pas le même dans les trois portraits. Et d’ailleurs au final je pense que l’écriture passe bien avant l’histoire et surtout il faut oublier de chercher le lien entre les personnages et se focaliser sur la lecture en se laissant porter par la mer, sans se poser trop de questions.
Un roman est divisé en quatre parties, mais j’ai eu l’impression de lire trois nouvelles et une longue conclusion. Tout au long de la lecture, on ne comprend pas pourquoi on nous parle de ces trois personnages et quel est le rapport entre eux. Et d’ailleurs j’ai lu tout le livre en me demandant quel pouvait bien être le rapport entre ces trois vies. Il m’a fallu attendre la quatrième partie qui fait le lien entre les trois vies, et que j’aurais souhaitée un peu plus étoffée. Trois hommes qui trimbalent leur sac de pierre sur le dos, une vie emplie de regrets et de drames.
J’ai clairement eu le coup de cœur pour la partie « Farouk » et son histoire. Farouk, médecin, qui quitte sa Syrie natale avec sa femme et sa fille, qui fuit la guerre pour se construire un avenir avec sa famille, loin des bombes et de la violence et va se retrouver réfugié en Irlande.
Ensuite, on part en Irlande pour faire la connaissance des deux autres personnages n’ont pas provoqué un sentiment d’empathie aussi profond que le sentiment qui m’a immédiatement liée à Farouk. Contrairement aux deux autres personnages Farouk est un homme bien dans sa peau au début de sa vie, ce qui est loin d’être le cas des autres, qui sont au final le produit de leurs racines, de leur héritage familial, de leur éducation, de l’ambiance dans laquelle ils ont grandi.
Le deuxième personnage est un jeune irlandais, Lampy, un chauffeur de bus, un paumé qui ne se remet pas d’une histoire d’amour malheureuse. Lampy, qui voudrait bien quitter son village natal, mais qui, contrairement à Farouk, ne franchira pas le pas. Il n’ose pas, alors qu’il est malheureux chez lui, il n’est pas poussé par la guerre ; il veut se réécrire comme il dit. C’est de fait le contraire exact de Farouk qui est poussé à partir alors qu’il ne le souhaite pas alors que Lampy est retenu alors qu’il le voudrait. C’est dans cette partie que les femmes font une apparition importante dans l’histoire.
Enfin le troisième est un sale type, John, qui arrivé en fin de vie, regarde en arrière… et raconte sa vie qui a été une succession de violences, diverses et variées et qui regrette le chemin qu’il a parcouru. Une sorte de confession et c’est de loin la partie que j’ai le moins aimé.
C’est un livre qui met l’accent sur les relations humaines, entre père et fille, entre époux, entre générations, avec la nature aussi. Je retiens en premier lieu l’écriture. Une livre sur trois hommes qui n’ont pas eu la vie qu’ils auraient voulu avoir, parce qu’ils n’ont pas vraiment eu le choix, par peur de choisir, par mauvais choix dès le départ…
Un livre vite lu car il est court et divisé en petits chapitres. Pas de temps morts. Un livre qui, je pense devrait être relu une fois qu’on a pris connaissance de la quatrième partie.
Extraits
Je voudrais te confier quelque chose au sujet des arbres. Ils se parlent, vois-tu. Imagine ce qu’ils peuvent se dire. Qu’est-ce qu’un arbre peut bien avoir à raconter à un autre arbre ? Des tas de choses. Je parie qu’ils peuvent bavarder indéfiniment. Certains vivent des siècles. Les choses qu’ils voient, ce qui se passe autour d’eux, ce qu’ils entendent sans le vouloir. Ils communiquent par le biais de réseaux souterrains qui s’étendent à partir de leurs racines, des réseaux tissés sous la terre par des champignons, et ils s’envoient des messages cellule par cellule, avec une patience qui n’appartient qu’aux choses vivantes privées de mouvement.
La guerre était arrivée lentement, elle s’était amplifiée autour d’eux plutôt que d’exploser à leur porte.
Méfie-toi des préceptes et des interdits, des croyances inflexibles. Tout y est dangereux ; même une chose aussi bienveillante que ce que tu vois ici pourrait dégénérer en folie. Il avait ensuite parlé de l’univers, du fait que les choses et les êtres humains ne faisaient qu’un, l’homme étant une façon pour la nature de se voir elle-même, d’éprouver le sentiment d’exister. Et il lui avait à nouveau recommandé d’écouter, d’observer, de faire tout son possible pour entendre ce qui n’était pas dit, pour voir la qualité de la lumière dans les yeux d’autrui.
… il eut l’impression que les mots appuyaient sur les parois de sa gorge pour aller mourir à l’air libre.
De toute façon, nous entrevoyons l’autre monde dans nos rêves ; ce ne serait rien de plus, juste un rêve dont je ne me réveillerais jamais. Certaines nuits, je sens comme un murmure et un galop dans ma poitrine, une pause, et puis ça cavale avant de refaire une pause, et je suis sûr que mon cœur touche à sa fin nécessaire.
Et un soir, tard, il marcha depuis le camp jusqu’au bord de l’eau et resta un moment debout sous la lune moqueuse en contemplant la mer, dont l’immobilité l’étonna, comme si elle retenait son souffle, comme si elle avait trop honte pour lui révéler quoi que ce soit, pour admettre cette violence latente qui existait en elle, les choses qu’elle cachait, […]
Ce qui est passé ne peut pas être changé, et ce qui est à venir ne peut pas être connu, et tu ne peux pas passer ta vie à t’inquiéter. Évidemment que tu ne peux pas.
Comment pouvait-il dire à son grand-père qu’il voulait trouver un endroit où on mesurait différemment la valeur d’un homme ? Sans que ce soit lié à l’argent, au sport ou à une rue particulière dans une ville. Mais peut-être était-ce partout pareil ? Il voulait ne plus avoir de passé, ni d’adresse, simplement être originaire d’Irlande.
Comment peut-on se sentir, se demandait-il, quand on est au bord de la mort et qu’il faut encore vivre jour après jour comme si de rien n’était ? L’effroi surgit-il parfois, la terreur des derniers instants ?
Les gens, en tout cas, se souviennent de ce qu’on leur a appris à l’école. Ils ont retenu qu’une chose ne naît pas de rien. Surtout lorsqu’ils entendent raconter une sale histoire sur leur voisin. Ben non, je ne sais pas, diront-ils d’abord, invariablement, pour montrer leur loyauté. Enfin quoi, ça ne peut pas être vrai. N’empêche que plus tard, ils repenseront à ce qu’ils ont entendu et se diront : Mais pourquoi on raconterait ça ? D’où ça vient ? Il doit bien y avoir un fond de vérité. Sans même le savoir, ils repenseront à ce qu’on leur a enseigné dans leur enfance et à ce que la nature elle-même a fait naître dans l’esprit de tous les hommes : toute chose a une origine ; rien ne peut venir de rien.
Même les choses oubliées depuis longtemps restent dans l’infinie obscurité de la mémoire ; il n’y a pas de désapprentissage. Ce qui est dit ne peut plus être inexprimé.
Info vocabulaire:
Match de Hurling : Le hurling est un sport irlandais inventé il y a plusieurs siècles. Parmi l’un des sports les plus anciens d’Irlande, il est surtout le plus vieux jeu sur terrain d’Europe. Il tient ses origines de la mythologie celtique selon laquelle, le héros national Cuchulainn aurait battu à lui seul 150 opposants dans une même partie de hurling. (d’après les informations tirées d’un manuscrit daté de 1272 av. JC).
Dans le folklore européen, un changeling ou changelin est un leurre laissé par les fées, trolls, elfes (ou autres créatures du Petit peuple) à la place d’un nouveau-né humain qu’elles enlèvent.
One Reply to “Ryan, Donal «Par une mer basse et tranquille» (2021)”
lauréat 2021 du Prix Jean Monnet de littérature européenne, pour son dernier roman « Par une mer basse et tranquille » (traduit par Marie Hermet) et plus généralement pour l’ensemble de son œuvre.