Brunet, Marion « L’été circulaire » (2018)

Brunet, Marion « L’été circulaire » (2018)

Autrice : Marion Brunet, née en 1976 dans le Vaucluse, est une femme de lettres française, auteure de roman policier et de littérature d’enfance et de jeunesse. Elle vit actuellement à Marseille. Après des études de Lettres, elle a travaillé comme éducatrice spécialisée dans différents secteurs, notamment en psychiatrie. Reconnue pour ses romans « young adults » (Dans le désordre, 2016 ; Sans foi ni loi, 2019), elle a été fortement remarquée avec la parution aux éditions Albin Michel de L’été circulaire.

Ses romans jeunesse/jeunes adultes : Frangine (2013) – La gueule du loup (2014) – L’Ogre au pull vert moutarde (2014) – L’Ogre au pull rose griotte (2015) Dans le désordre (2016) – L’Ogre à poil(s)(2017) – – Sans foi ni loi,  (2019)
Ses romans adultes : L’Été circulaire (2018) – Vanda (2020) – Plein gris (2021)

Albin-Michel – 31.1.2018 – 265 pages /3.4.2019 – Livre de poche – 256 pages – Prix SNCF du polar-roman – Grand Prix de littérature policière 2018 et Prix des libraires du Livre de Poche 2019.

Résumé ;
Fuir leur petite ville du Midi, ses lotissements, son quotidien morne : Jo et Céline, deux sœurs de quinze et seize ans, errent entre fêtes foraines, centres commerciaux et descentes nocturnes dans les piscines des villas cossues de la région. Trop jeunes pour renoncer à leurs rêves et suivre le chemin des parents qui triment pour payer les traites de leur pavillon.
Mais, le temps d’un été, Céline se retrouve au cœur d’un drame qui fait voler en éclats la famille et libère la rage sourde d’un père impatient d’en découdre avec le premier venu, surtout s’il n’est pas « comme eux ».
L’été circulaire est un roman âpre et sombre, portrait implacable des « petits Blancs », ces communautés périurbaines renfermées sur elles-mêmes et apeurées. L’écriture acérée, la narration tendue imposent d’emblée le talent de Marion Brunet.

Mon avis : Un roman social noir .. très très sombre… sous le soleil de plomb de l’été dans le Lubéron…
Une sensation de misère, d’ennui, de lenteur.. D’ailleurs c’est bien le but recherché.
Dans ce trou paumé, les jours se ressemblent, les années se suivent et se ressemblent, les étés se succèdent et sont un copié-collé de l’été de l’année précédente…et la roue du temps tourne, mais elle reste immobile, sur place, comme la roue de la fête foraine.
Sauf cet été, l’été des 16 ans de Céline, des 15 ans de Jo… Il y a un paramètre qui change… La jeune Céline est enceinte… mais de qui ? Pour son père, fils d’immigrant espagnol qui a fui l’Espagne franquiste et qui avant amorcé un processus d’intégration en se mariant avec Séverine, une française, c’est le drame. Une fois de plus, il n’est pas à la hauteur… Déjà que dans la région il est considéré comme un étranger, pas comme un arabe, mais presque… Lui qui comptait sur sa jolie fille pour grimper dans l’échelle sociale…  cette grossesse est juste un échec de plus.. Et en plus il n’arrive pas à savoir qui est le père… il va donc se mettre en tête de le découvrir, par n’importe quel moyen, quitte à s’inventer un coupable…
Dans ce village où tout le monde se connait, c’est juste le coup de la vie de trop..
La jeune Jo, elle, est différente… plus jeune mais plus adulte dans sa tête et avec une idée en tête : partir, fuir ce monde de misère sociale et de grisaille… En attendant, elle fait tout pour protéger son ainée, belle mais naïve, crédule et tête en l’air. C’est d’ailleurs la seule que j’ai trouvé un peu sympathique …
Autour des deux sœurs gravite un petit monde : la mère, Séverine, qui est aussi tombée enceinte très jeune mais qui a épousé le père, Manuel (l’espagnol) . Il y a aussi un couple d’amis, composé de Patrick – l’ami et collègue de toujours de Manuel – et sa femme Valérie, qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Il y a les grands-parents: le père de Manuel qui se meurt dans une chambre d’hôpital, les parents d’elle qui ont une exploitation agricole et sont un petit cran au-dessus dans la société. Et dans l’entourage des deux sœurs, il y a le voisin Saïd, l’ami de toujours, amoureux de Jo et qui fait tout pour faire plaisir, les copains de collège qui vont se détourner quand Céline se révélera être enceinte, les amis que se fera Jo en allant au festival d’Avignon, des jeunes d’une classe sociale bien supérieure.
C’est lourd. Le malaise suinte à toutes les pages : on attend le drame… Qui est le père ? que va-t-il se passer ? Manuel va-t-il réussir à le découvrir ? L’outrage sera-t-il réparé ? La violence est partout… physique et morale… Le racisme aussi, la différence sociale, le cycle des vies se répète… est-il possible de briser le cercle ?
Un roman rude, fort, pesant… mis à part le fait que c’est l’été, il y a bien peu de chaleur dans ce roman … C’est un chef d’œuvre de désenchantement, de désespérance…  Jo pourra-t-elle briser ce cercle de ces existences qui tournent en rond ?
Grand prix de la littérature policière ? un roman noir, rural, avec un meurtre certes, mais pour moi, il n’y a pas d’enquête policière…
Un roman que je ne regrette pas d’avoir lu.

Extraits :

Les filles avaient des atouts, comme au tarot, et on aurait pu croire que si elles jouaient les bonnes cartes au moment adéquat, il y avait moyen de gagner la partie.

Il y avait déjà cette chose en elle, qu’elle faisait encore semblant d’ignorer : une conséquence logique, une logique froide qui veut que la misère n’engendre rien d’autre que la misère.

elle porte un peu de cette lassitude désespérée qui fait parfois office de maturité, même à quinze ans

Les bories du Sud, comme les bunkers des plages du Nord, rassemblent sous les pierres posées les fumeurs clandestins et les confidences – les premières baises aussi, parfois. Et les vagabonds.

C’est toujours pareil avec la picole : on croit qu’on s’éloigne mais on revient au centre encore plus fort, chaque fois.

Il détestait, dans sa voix, les restes d’accent espagnol qui, malgré la France, tiraillaient encore la fin de ses phrases vers un chant familial. Et les chants de lutte braillés au retour de manifs. Y en avait marre d’être petit-fils d’étranger, et pauvre. Et de devoir en être fier. C’était ça, surtout, qui le rendait fou.

Au grand jeu de la vie, lui non plus n’a pas écrit les règles. Le problème, c’est qu’il pensait le contraire.

Les antiquaires aiment pas bien écouler des objets volés. Enfin… volés aux morts ils s’en foutent, mais volés aux riches bien vivants, c’est tout de suite plus compliqué.

Manuel aura trente-huit ans à l’automne, et il a l’impression d’en avoir mille. Ou vingt. Mille pour la fatigue, vingt pour la rage.

Et il se remémore les nuits d’avant, quand tout avait du sens, que l’avenir était à lui. Il y pense comme s’il s’agissait d’un autre, se regarde avoir été.

Elle regarde sa fille, seulement sa fille, comme si elle guettait quelque chose que personne ne devine, ou qu’elle disait des mots durs avec ses yeux.

Lui c’est un sans-terre, et il le restera. Il avait espéré que la malédiction s’arrêterait avec ses filles, qu’elles auraient l’intelligence, comme lui, d’épouser des gars d’ici, pour que jamais leurs enfants ne soient traités d’étrangers.

Alors c’était dans l’ordre des choses, finalement, ce retour de couches. Les gens s’attendaient même à ce que ça continue, après tout le père était espagnol, elle allait enchaîner les mômes, année après année ; espagnols ou arabes, c’était toujours des immigrés qui vous pondaient des gosses à qui mieux mieux.

Il faut qu’elle soit patiente, et elle n’a pas l’âge de la patience, ni le tempérament. C’est d’explosions dont elle rêve, d’événements grandioses, de guerre nucléaire. Elle n’est qu’attente pernicieuse, grêlée d’angoisse.

Les potes de Garance ont repris leur conversation ; ils parlent musique. Jo n’a jamais compris qu’on puisse parler musique. La musique, ça ne se parle pas, ça s’écoute. Limite tu peux danser dessus, ou faire écouter à quelqu’un d’autre – tout juste.

Il faut juste s’habituer aux choses pour qu’elles glissent, et on peut faire son trou, même dans un trou.

Elle secoue la tête comme une petite mule, les yeux pleins de larmes qu’elle retient de toutes ses forces parce que c’est pas son truc, de jouer les pleureuses. Chialer de douleur parce qu’on s’est pris un pain, d’accord, mais pour le reste, faut savoir rester digne.

Ses contacts lui ont toujours dit, pourtant : fais pas le malin, profil bas et ça ira bien. Faut pas changer les habitudes, surtout dans un bled. Les gens aiment pas qu’on sorte des cases, ça leur rappelle qu’ils sont dedans.

L’avenir ne veut plus dire grand-chose pour lui, l’avenir veut juste dire demain, et l’heure qui verra se lever le jour.

2 Replies to “Brunet, Marion « L’été circulaire » (2018)”

  1. À l’époque où je l’ai lu, je lui avais donné 4 étoiles.

    Sous la moiteur de l’été, deux adolescentes trainent leur ennui dans un village du Luberon, à l’écart des touristes et des jolies villas. Jo, la plus jeune et aussi la plus lucide, n’est que colère refoulée. L’aînée, Céline, a 16 ans, elle est enceinte et refuse de révéler le nom du père de son enfant.

    Nous sommes dans le monde des gagne-petit où l’ignorance mène au racisme, où les hommes ont la main leste et l’alcool facile, où les femmes, affalées devant la télévision, ont perdu leurs illusions, où les parents, propulsés trop tôt dans leur vie d’adulte, ont démissionné.

    J’avais beaucoup aimé « Vanda » de Marion Brunet. Fresque sociale sans concession sur fond de haine et de frustration, « L’été circulaire » est de la même veine.

    Je n’ai toutefois pas compris pourquoi ce roman a obtenu le « Grand prix de la littérature policière » en 2018. Certes, il s’agit d’un excellent roman noir mais il n’est en rien un roman policier.

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