Iturbe, Antonio « La bibliothécaire d’Auschwitz » (2020)
Auteur : Journaliste et romancier espagnol, Antonio G. Iturbe est né le 7 mars 1967 à Saragosse. Diplômé en journalisme à l’Université autonome de Barcelone en 1991, il a été coordinateur du supplément Télé du journal « El Periodico » (1993), rédacteur de la publication de cinéma « Fantastic Magazine ». Il travaille depuis 1996 dans la revue « Qué Leer », dont il est le directeur depuis 2008. Il est directeur de la revue culturelle « Librújula ».
Flammarion – Pygmalion – 10.06.2020 – 512 pages / J’ai lu – 25.08.2021 – 576 pages (traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse Titre original : La Bibliotecaria de Auschwitz
Résumé : A quatorze ans, Dita est l’une des nombreuses victimes du régime nazi. Avec ses parents, elle est arrachée au ghetto de Terezín, à Prague, pour être enfermée dans le camp d’Auschwitz. Là, malgré l’horreur, elle tente de trouver un semblant de normalité. Quand Fredy Hirsch, un éducateur juif, lui propose de conserver les huit précieux volumes que les prisonniers ont réussi à dissimuler aux gardiens du camp, elle accepte.
Au péril de sa vie, Dita cache et protège un trésor. Elle devient la bibliothécaire d’Auschwitz.
A partir du témoignage de Dita Kraus, la véritable bibliothécaire d’Auschwitz, Antonio G. Iturbe a construit un roman fascinant qui a bouleversé des milliers de lecteurs à travers le monde.
Mon avis :
Comme le dit l’auteur « Le livre est un pain pétri d’une levure qui continue de croître intérieurement, il est vivant tant qu’un regard transforme ses pages de pâte à papier en émotions. »
Dans son roman, il nous parle de la bibliothèque de Dita, une jeune adolescente de 14 ans
8 livres papier et plus ou moins le même nombre de « livres vivants »
Un livre qui marque, qui, je suis certaine, restera dans ma mémoire.
C’est non seulement un roman bouleversant d’humanité qui fait une large place à l’importance des livres dans la vie, en permettant l’évasion dans un monde noir et clos mais c’est un fantastique document, étayé par les discussions avec la véritable bibliothécaire d’Auschwitz.
Et c’est encore et surtout de magnifiques portraits de femmes ( principalement) mais pas que … et un hymne à la survie et à l’espoir, à la lumière.
La phrase « Notre haine est leur victoire. » résonne…
Tout le monde devrait lire ce livre ! Un incontournable pour ne jamais oublier !
J’avais déjà été bouleversée par l’excellent livre de Valentine Goby » Kinderzimmer » (2013) et j’avais lu également le livre d’Oliver Guez «La disparition de Josef Mengele» (RL2017). Ce livre de Iturbe s’intègre parfaitement au tableau pour faire un tryptique édifiant sur les conditions des femmes dans les camps, que ce soit Ravensbrück ou Auschwitz.
Extraits :
La littérature a le même effet qu’une allumette craquée au cœur de la nuit au milieu d’un bois. Une allumette n’éclaire presque rien, mais elle permet de mieux voir l’épaisseur de l’obscurité qui règne autour. ( William Faulkner, cité par Javier Marías )
Vivre est un verbe qui ne se conjugue qu’au présent.
Quand les individus sont entassés, marqués et sacrifiés comme des animaux, ils en viennent à croire qu’ils sont du bétail. Rire et pleurer leur rappelle qu’ils sont encore des êtres humains.
Elle avait ce lien qui unit certaines personnes aux livres. Une complicité que lui-même ne possédait pas, trop actif pour se laisser absorber par des lignes imprimées sur du papier.
Une enfant ? Pas du tout, madame ! Pour être une enfant, encore faudrait-il avoir une enfance.
Le premier baiser, si petit soit-il, ne s’efface jamais, peut-être parce qu’il dessine la première ligne de l’amour sur une page encore blanche.
Les adultes s’épuisent inutilement à la recherche d’un bonheur qu’ils ne trouvent jamais ; alors que les enfants, au contraire, ont le bonheur qui leur pousse au creux de la main.
Les premiers jours, elle ne comprenait pas cet intérêt soudain pour les livres, y compris chez les élèves les moins appliqués. Mais elle a peu à peu réalisé que si les livres ont un lien avec les examens, l’étude et les corvées les plus ingrates de la scolarité, ils sont également le signe d’une vie sans barbelés ni peur. Même ceux qui n’ont jamais ouvert un livre autrement qu’en ronchonnant reconnaissent maintenant, dans cet objet fait de pâte à papier, un allié. Si les nazis interdisent les livres, c’est que les livres sont de leur côté.
Les téméraires, a-t-il dit. Ceux-là, il n’en voulait pas. Ils ne font pas l’affaire. Ils se douchent à l’essence en fumant une cigarette. Quand leur audace tourne bien, on leur donne une médaille et ils bombent le torse. Mais quand cela tourne mal, ils entraînent tout le monde dans leur chute.
Mais c’était une femme d’une autre époque, faite dans un autre matériau, comme ces casseroles en céramique qui ne laissent pas passer la chaleur et gardent tout à l’intérieur.
Elle était montée dans le train de la lecture. Elle avait ressenti cette nuit-là l’émotion d’une découverte : celle de savoir que toutes les barrières que pouvaient poser tous les Reichs de la planète n’avaient pas d’importance, car il lui suffisait d’ouvrir un livre pour sauter par-dessus.
Commencer un livre, c’est monter dans un train qui vous emmène en vacances.
Pendant de nombreuses fins d’après-midi de lecture assidue, la barrière qui la séparait des personnages, celle qui isole la réalité réelle de la réalité lue, fondait dans sa tête comme du chocolat chaud.
En réalité, l’auteur de La Métamorphose avait su avant tout le monde ce qui allait se produire : que les hommes se transformeraient du jour au lendemain en des créatures monstrueuses.
Elle ne veut pas courir le risque de découvrir dans ses yeux quelque chose qui pourrait faire s’effondrer ce château de cartes que nous appelons la confiance. Elle préfère croire en lui les yeux fermés, comme on le fait avec les choses les plus sacrées. Mais elle est têtue et, elle a beau faire, l’eau de Javel de la foi n’arrive pas à effacer la scène à laquelle elle a assisté dans le bloc 31.
En fin de compte, H.G. Wells avait raison et sa machine à explorer le temps existe bel et bien : ce sont les livres.
C’est tout le problème des mythes : ils ne tombent jamais, ils s’effondrent.
— Bien sûr que nous résisterons.
— Comment peux-tu en être aussi sûre ?
Son amie se tait et se mord la lèvre quelques secondes, à la recherche d’une réponse.
— Parce que je veux y croire.
Comment ce qui n’est plus là peut-il peser physiquement ? Comment le vide peut-il peser autant ?
Car il pèse.
Elle veut échapper à l’odieuse réalité de ce camp qui a tué son père et elle sait qu’un livre est une trappe qui conduit vers un grenier secret : vous l’ouvrez et vous entrez dedans. Et votre monde devient autre.
Dans un endroit comme Auschwitz où tout est conçu pour faire pleurer, le rire est un acte de rébellion.
Si Dieu existe, le diable aussi. Ce sont deux voyageurs sur la même ligne de chemin de fer : l’un va dans une direction et l’autre dans le sens opposé. D’une certaine manière, le bien et le mal se contrebalancent. On pourrait presque dire qu’ils ont besoin l’un de l’autre : comment saurions-nous que ce que nous faisons est le bien, s’il n’existait pas le mal pour que nous puissions comparer et voir la différence ? se demande-t-elle. Elle pense qu’en réalité, nulle part ailleurs dans le monde le démon ne pourrait se sentir aussi à l’aise qu’à Auschwitz.
Et pour chasser de lui ces pensées négatives, il se remet à réfléchir au conte qu’il va leur raconter, parce qu’il faut que les contes ne s’arrêtent jamais pour que l’imagination ne s’éteigne pas et que les enfants continuent de rêver.
Auschwitz est un gigantesque presse-agrumes de la main-d’œuvre esclave et un broyeur bien huilé des personnes qui n’ont aucune place dans les plans messianiques d’Hitler.
Il est trop jeune encore pour savoir que le bonheur ne peut jamais venir à bout de rien, qu’il est trop fragile, qu’il est toujours terrassé.
Mais elle ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine mélancolie en songeant qu’elle préférait l’Edmond Dantès joyeux et optimiste du début de l’histoire à l’homme calculateur et rempli de haine qu’il devient par la suite. Elle se demande si l’on peut vraiment choisir, ou si les coups du destin vous modifient malgré vous, tout comme un coup de hache change l’arbre vigoureux et le transforme en bois sec.
Elle perçoit tout à coup la peur comme une oxydation qui sape jusqu’aux convictions de fer. Qui ronge tout, qui détruit tout.
La vérité est une composition du destin, ce n’est qu’un caprice du hasard. Le mensonge, au contraire, est humain : fabriqué par l’homme, il est à sa mesure.
Beaucoup de petits instants pendant lesquels la flamme a brillé, même dans l’obscurité la plus totale. Certains de ces moments se sont produits quand, au milieu du pire des désastres, elle a ouvert un livre et s’est glissée à l’intérieur. Sa petite bibliothèque est une boîte d’allumettes.
On parle beaucoup du typhus, du choléra, de la tuberculose ou de la pneumonie, mais on parle moins de l’épidémie de découragement qui frappe le lager.
Les peurs sont des plantes nocturnes qui poussent dans le noir.
Tenir à nouveau des livres entre ses mains permet à la vie de reprendre sa place et aux pièces d’un puzzle que quelqu’un avait brisé à coups de pied de revenir peu à peu s’emboîter.
Après ce qu’il s’est passé, il ne suffit pas de tourner la page ; vous devez fermer un livre et en ouvrir un autre.
Une personne qui vous attend quelque part est comme une allumette que l’on craque dans un bois au cœur de la nuit. Peut-être qu’elle ne pourra pas éclairer toute l’obscurité, mais elle vous montrera tout de même le chemin pour rentrer à la maison.
Elle lui sourit aussi, sans très bien savoir pourquoi. C’est le fil. Ce fil qui unit certaines personnes. Qui se transforme en petite pelote.
Vocabulaire :
abstème = qui s’abstient de boire de l’alcool
glèbe : Terre cultivée. Terre ou champ qui est utilisé pour la semence et la récolte de produits agricoles – Fonds de terre auquel les serfs étaient attachés et qu’ils devaient cultiver.
Image : Bloc 31 Auschwitz