Boehlen, Nadia « Souvenirs En Similicuir » (RL2021)
Autrice : Nadia Boehlen est porte-parole d’Amnesty International Suisse. Elle est l’auteure d’un recueil de nouvelles (Les Poupées de chiffon, Slatkine, 2019). Souvenirs en similicuir est son premier roman. On y retrouve les thématiques qui lui sont chères : appartenance sociale, place de la femme, quête identitaire.
Slatkine – 23.08.2021 – 160 pages
Résumé :
«J’ai cinq ou six ans, des serpents entortillés les uns dans les autres envahissent mes rêves. Ils ne me mordent pas, ils sont de plus en plus nombreux, jusqu’à occuper toute la place autour de moi. Je m’éveille en sursaut. »
Porté par une narration singulière, Souvenirs en similicuir raconte le cheminement vers l’âge adulte d’une enfant à travers le regard qu’elle porte sur sa famille, sur sa mère en particulier. Heurtée, façonnée par la condition de celle-ci et par ses traumatismes occultés, la jeune femme décidera sciemment, au fil du temps, de lui vouer une forme de loyauté.
Mon avis : Très joli premier roman.
C’est un tour de Suisse que nous offre l’autrice : Tessin, Suisse Romande, Suisse Allemande, les barrières culturelles et linguistiques et l’opposition ville-campagne si présente en Suisse.
L’histoire commence dans un village du Tessin et met en scène une famille pauvre, dans des années où divorcer est presque aussi honteux que d’être ce qu’on appelle à l’époque fille-mère… Mais que faire lorsque l’on se retrouve enfermée dans une relation toxique, nocive et qu’on en vient à craindre pour sa vie, quitte à être marquée à jamais par le statut presque infamant de divorcée? La jeune femme – qui n’a pas de nom comme toutes les femmes du roman – est pour ainsi dire paralysée par un manque de confiance en elle, du fait de ses origines, de son manque d’éducation, de son statut de divorcée et pourtant elle est belle et a bien des qualités à faire valoir. Les mots qui blessent et les réflexions qui font mal rendent malheureux et engendrent une souffrance qui pousse à se défouler sur les autres et laissent des traces indélébiles.
Que se passe-t-il quand on n’entend pas les mots qui rassurent, qui font barrage aux mesquineries, aux attaques alors qu’on se sent toujours en situation d’infériorité ?
J’ai beaucoup apprécié ce roman qui parle des différences de classes sociales, des préjugés, de racisme anti-étrangers, de l’être et du paraître, de l’importance des origines, de l’importance d’une mère qui protège et encourage, les conséquences du manque de tendresse, de l’insécurité générée par le manque de confiance en soi, du confort de l’anonymat, des dégâts causés par l’insécurité, par le regard des autres…
Le tout sur un fond musical qui fait remonter bien des souvenirs…
Un grand merci aux éditions Slatkine de leur confiance et de me permettre de découvrir les auteurs suisses.
Extraits :
Elle est grise, amorphe, recourbée. Pourtant, elle a le sentiment que sa vie est à portée de main, de nouveau ouverte devant elle. Seulement, elle ne sait pas où aller. Elle n’a pas encore la force de s’élancer.
Mieux valait une fortune faite pas à pas – comprendre honnêtement – que les entourloupes e ceux qui portent le costume-cravate. Dans cette famille, l’opulence était méritée à force de travail, et décente, jugeait-on.
Tout au long de sa vie, ce grand-père orphelin conserva en lui un manque, une absence, une mélancolie toujours prête à ressurgir. Il connut le prix que paient ceux qui n’ont pas reçu chaleur et tendresse d’un père et d’une mère.
Peut-être s’est-elle rendue compte qu’elle doit briser l’enfermement familial pour respirer d’autres couleurs, pour s’accorder de la valeur, et nous aimer autrement et mieux que dans l’intendance de ses tâches mille fois répétées.
Je comprends seulement alors que tant de gens choisissent leurs amitiés par intérêt, celui d’être lié à tel ou tel cercle social plutôt qu’à un autre.