Desmurget, Michel «La fabrique du crétin digital – Les dangers des écrans pour nos enfants » (RL2019)
Auteur : Michel Desmurget est un chercheur français, docteur en neurosciences, spécialisé en neurosciences cognitives, et directeur de recherche à l’INSERM. Il est l’auteur de nombreuses publications scientifiques dont TV Lobotomie (Max Milo, 2012) et L’Antirégime (Belin, 2015), qui ont toutes remporté un très large succès public.
Seuil – Essai – 29.08.2019 – 425 pages / Points poche – 01.10.2020 – 576 pages– Prix Spécial Fémina Essai 2019
Résumé :
La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).
Contrairement aux idées reçues, l’abus d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, il a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.
» Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle « , estime Michel Desmurget. Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d’un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !
Mon avis :
Quand on commence à lire cet essai, on se dit : Ben oui… on sait : les écrans ont des effets sur la santé, le comportement, l’intelligence; la désinformation par les médias, la légende urbaine qui se construit autour de croyances répétées mais qui sont sans fondements, le zapping, l’impatience, le retard du développement du langage, la perte de sociabilisation, la perte de temps consacré aux relations humaines et loisirs actifs, les problèmes du sommeil, de concentration, de mémorisation, l’altération du système immunitaire, l’obésité; que les vidéos accessibles peuvent générer des addictions non seulement aux écrans mais à la drogue, au sexe, à l’alcool, à la violence du fait des publicités ou de l’image qu’elles véhiculent, accolées à certains personnages auxquels les jeunes veulent s’identifier.
Mais je dois dire que ce livre va plus loin, il explique le pourquoi et le comment. Et même si cela semble parfois un peu « lourd », qu’on peut se dire « mais il nous prend pour des idiots à nous rabâcher ce qu’on a entendu mille fois… au final on se rend compte que c’est tout le contraire et que justement il prend la peine de décortiquer, expliquer et fait tout pour que nous arrêtions le massacre, un peu comme les « Verts » qui nous alertent sur les problèmes écologiques… et pour les enfants… il y a urgence car on va droit dans le mur…
J’ai également appris des choses très intéressantes sur l’apprentissage des langues étrangères chez les jeunes enfants … utile pour leur faciliter la vie…
Alors parents, futurs parents, grands-parents… on se motive, on agit… on raconte des histoires, on joue et on fait en sorte que l’humain reprenne sa place et que la place des écrans recule pour tous et même disparaisse de la vie des petits.
Je vous signale aussi que même si le livre est assez gros, il est moins gros qu’il n’y parait car il y a une impressionnante bibliographie à la fin de l’ouvrage…
Extraits :
Nous aurions changé d’ère et le monde appartiendrait désormais aux bien nommés digital natives. Le cerveau même des membres de cette génération post numérique se serait modifié ; pour le meilleur, évidemment.
Avènement de numericus, l’homme numérique.
Dans la vaste littérature qui lui est désormais consacrée, ce prodige évolutif connaît différents noms. Certains, vernaculaires, sont joliment évocateurs : millenials, digital natives, e-generation, app generation, net generation, touch-screen generation ou encore Google generation.
Comme l’écrivait Georges Braque, immense artiste et père du cubisme, « la vérité existe. On n’invente que le mensonge ».
En effet, le bon sens souffre des mêmes infirmités chroniques que l’opinion. C’est sur ses cendres que s’est constituée la science. Le bon sens, c’est ce qui nous dit que la Terre est plate et immobile. Il est l’intelligence de l’ignorant ; une intelligence de première intention, forcément trompeuse et mutilée. Affirmer le contraire, c’est omettre tant la complexité du monde que la grossière partialité des perceptions individuelles.
Toutefois, pour livrer ne serait-ce qu’un embryon de pensée pertinente, encore faut-il avoir des connaissances précises sur lesquelles s’appuyer. Penser dans le vide, ce n’est pas penser, c’est divaguer.
Après tout, comme le disait Jean-Paul Marat, « pour enchaîner les peuples, on commence par les endormir »… Et quel meilleur somnifère, à n’en pas douter, que cette orgie d’écrans récréatifs qui, nous allons le voir en détail, ronge les développements les plus intimes du langage et de la pensée.
contrairement aux belles croyances populaires, l’écrasante majorité de nos geeks en herbe présente, au-delà des usages récréatifs les plus outrageusement basiques, un niveau de maîtrise des outils numériques pour le moins chancelant
En moyenne, selon les termes d’une étude récente, « seulement 3 % du temps consacré par les enfants et adolescents aux médias digitaux est utilisé à la création de contenus » (tenir un blog, écrire des programmes informatiques, créer des vidéos ou autres contenus « artistiques », etc.). Plus de 80 % des ados et préados déclarent ne « jamais » ou « quasiment jamais » utiliser leurs outils numériques pour faire œuvre créative.
Une conversion tardive au numérique ne vous empêchera nullement, pour peu que vous y passiez un minimum de temps et ayez au moins le QI d’une palourde, de devenir aussi agile que le plus chevronné des digital natives.
Ces jeux entraînent, en effet, une hypotrophie de la matière grise au niveau de l’hippocampe ; hypotrophie que de nombreuses études ont associée au développement de pathologies neuropsychiatriques lourdes (Alzheimer, schizophrénie, dépression, etc.)
Il est incontestable que l’industrie du jeu vidéo possède une solide aptitude innovante ; mais étendre cette capacité du concepteur à l’utilisateur semble pour le moins spécieux.
Les outils numériques affectent les quatre piliers constitutifs de notre identité : le cognitif, l’émotionnel, le social et le sanitaire.
Les MOOCs sont des outils d’apprentissage efficients seulement pour une petite population sélectionnée – individus plus âgés, solidement éduqués, avec une excellente formation en physique et possédant une combinaison d’autodiscipline et de motivation».
UN HUMAIN « EN VIDÉO » OU « EN VRAI », CE N’EST PAS LA MÊME CHOSE
Personne n’aime ressentir qu’il est, aux yeux de ses proches, moins important et digne d’attention qu’un téléphone mobile. Les tensions alors engendrées favorisent l’émergence d’insatisfactions relationnelles, de comportements agressifs, voire d’états dépressifs et d’un certain mal-être existentiel. Des résultats similaires ont été rapportés pour la télé et les consoles de jeux.
Pour ne pas condamner Fantômette ou Le Club des Cinq aux oubliettes, nos amis éditeurs ont dû se lancer dans une vaste opération de réécriture. Tout est désormais court et concis (figure 8). On ne précise plus « le pique-nique marqua une halte agréable, dans un cadre champêtre à souhait » ; on écrit « la famille s’arrête pique-niquer en haut d’une colline ». Fini le passé simple, les mots sortant de l’ordinaire, les formes singulières, les descriptions fécondes ; trop compliqués pour ces pauvres enfants du XXIe siècle.
Or, contrairement aux parents, l’écran ne vérifie jamais, avant de nommer un objet, l’ancrage visuel de l’enfant.
l’une de mes amies orthophonistes avait coutume de dire que ses filles étaient bilingues oral/écrit. L’idée peut faire sourire. Elle est pourtant d’une remarquable pertinence.
Tout est alors en place pour que se développe une boucle pernicieuse auto-entretenue : comme il est moins confronté à l’écrit, l’enfant a plus de mal à apprendre à lire ; comme il a plus de mal à lire, il a tendance à éviter l’écrit et donc à lire moins ; comme il lit moins, ses compétences langagières ne se développent pas au niveau escompté et il a de plus en plus de mal à affronter les attendus de son âge.
Photo : chat branché 😉