Gaultier, Karel « Vérita » (2022)

Gaultier, Karel « Vérita » (2022)

Auteur : Écrivain et banquier à Genève, gestionnaire de grandes fortunes, Karel Gaultier est un témoin averti du monde la finance. Il est l’auteur de « Zalbac Brothers », thriller sur une banque d’affaires à New York (Albin Michel, 2013) et « Jackson Hole » (Slatkine 2019) sur les relations sulfureuses entre la finance et la politique. En 2022 sort « Vérita« .

Slatkine & Cie – 09.06.2022 – 352 pages

Résumé :
Il avance dans l’ombre, dissimule son identité. L’énigmatique lanceur d’alerte Vérita vient semer le trouble dans un ghetto de milliardaires au bord du Léman. Au coeur de ses révélations, un divorce entaché de meurtres et de scandales sexuels, celui de l’oligarque Youri Karatov, roi de l’acier russe. C’est le divorce le plus cher du siècle.
Pour dissimuler ses avoirs, l’oligarque a investi dans une version inédite d’une célèbre toile de Picasso, La Crucifixion. Des trafiquants aux financiers, Vérita divulgue les manipulations et connivences autour de ce tableau pour en faire monter les enchères. Des destins basculent, des vanités sont clouées au pilori. Mais qui est Vérita?

Librement inspiré de faits réels.

Mon avis :
J’avais tellement aimé son précédent roman, « Jackson Hole » que j’avais un peu peur d’être déçue. Et bien pas du tout ! J’ai été happé dès les premières pages et je l’ai lu d’une traite !
Tout y est ! et dejà le petit plus pour ceux qui habitent le canton de Genève ! Toujours un plaisir de reconnaitre le nom des endroits, de se sentir chez soi quoi ! Enfin chez soi… géographiquement parlant car n’est pas exactement les mondes que je fréquente !!! A ce propos je n’arrive pas à comprendre pourquoi Collange-Belrose et pas Collonge-Bellerive ? Surtout que l’auteur précise l’existence du parc de la Nymphe… Mais ce n’est pas très important, juste curieux ??
Sinon j’ai adoré ! Tout y est donc ! Sur fond d’oligarques russes, de mafia, de règlement de comptes, de trafic d’œuvres d’art, de faussaires, de finance, de ventes aux enchères… Un monde de millionnaires, d’excès, de sexe et de manipulations… et au milieu de tout ça des hommes et des femmes qui, derrière une façade riche et souriante, sont meurtris par la vie, l’amour, la solitude, leur apparence, les trahisons, le manque d’amour… Inutile de vous dire que tout ce petit monde nage dans l’alcool, le sexe, la prostitution, la drogue, les malversations, les fausses valeurs, les manipulations, le glauque, le darknet, et quelques petits meurtres…
C’est aussi une triste constatation sur le monde de l’art qui n’est plus qu’une sombre opération spéculative. Il y a aussi la partie technique « Peinture » : la partie sur la manière dont Picasso travaillait, la partie sur les travaux préparatoires pour préparer les toiles en fonction des peintres et des époques, la préparation des couleurs et les pigments

Pas de temps mort, des personnages attachants et bien campés, des explications intéressantes sur le monde des faussaires et les zones franches (Le Port Franc de Genève mais pas que …)  … et sur des villes fermées, dont l’existence est tenue très secrète, comme Oziorsk,, ville de l’oblast de Tcheliabinsk, en Russie. Les oligarques russes sont loin d’être décrits sous leur meilleur jour ! Fait pas bon s’y opposer mais fait pas bon non plus d’être un oligarque déchu…

Un grand merci aux éditions Slatkine & Cie pour cet excellent moment de lecture. Plus ça va et plus je sens que je ne vais pas lâcher cet auteur ! Prochaine étape, me procurer « Zalbac Brothers ».

Extraits :

Charles lui-même, qui endossait volontiers le rôle de poseur de questions gênantes, et Gretel Artsmann, que Charles surnommait « la bonbonnière » à cause de sa rondeur extrême mais aussi pour ses remarques fines et fielleuses, autant de caramels au piment dont il se délectait.

Les Suisses ont toujours accueilli son argent sans chercher à en connaître la provenance, mais mis face à ce scandale, plus personne ne le connaissait. Malgré les milliards de francs suisses qu’il a déposés sur leurs comptes numérotés, ces ingrats de calvinistes voulaient aujourd’hui lui retirer son autorisation de résidence et se permettaient de jeter sa fille à la rue ! Au moins, les Monégasques étaient plus fiables. Tant qu’on ne compromettait pas le Palais, un ami à Monaco restait un ami. Fraternité des Frères de la Côte ? Peut-être.

Après les ouvriers et les caissières remplacés par des robots, la classe moyenne cédait à son tour la place aux machines. Ceux qui perdaient leur travail n’achetaient plus d’œuvres d’art, et ceux qui avaient encore le leur économisaient en prévision du jour où ils ne l’auraient plus. En moins d’une décennie, on était revenu trois siècles en arrière. Les jeunes peintres mouraient de faim, sauf ceux au service du mécène qui les transformait en or.

On avait construit plus de musées dans les cinq dernières années, notamment en Chine, que dans les trois cents ans précédents. Cependant, la plupart étaient désormais des musées privés, destinés à faire fructifier le portfolio d’œuvres d’art des fossoyeurs de la culture publique.

Un vernissage à la Fondation Soterns représentait une version moderne d’un bal donné par le Roi Soleil à Versailles.

[…] avait moulu des lapislazulis d’Afghanistan pour obtenir le bleu intense nommé outremer pour la provenance lointaine des pierres précieuses nécessaires à son élaboration. Il avait passé au pilon des roches argileuses originaires d’Ombrie pour élaborer toute une palette de bruns et ocres, des tons qui étaient nouveaux au moment où Velázquez peignait ce Christ et allaient marquer la peinture baroque de la Renaissance avec des nuances permettant un réalisme jusqu’alors inconnu. Les brosses et pinceaux qu’il utilisait étaient confectionnés en crin animal d’époque, et le châssis et sa toile dataient également du début du XVIIe siècle. Il avait tenu à éteindre toutes les lumières dans la salle principale du bunker verrouillé et ne travaillait qu’à la lueur des bougies.

Le libre marché et l’émulation entre collectionneurs permettaient parfois de voir surgir de grands maîtres aux œuvres recherchées. Mais depuis quelques dizaines d’années le marché n’est plus libre. Les rois et les puissants de notre temps sont les banques, les trusts financiers et les cartels de contrebandiers. Certaines œuvres atteignent des valeurs stratosphériques, mais la majeure partie des peintres n’arrivent plus à vivre de leur art, car les petits bourgeois d’aujourd’hui n’ont plus les moyens d’acheter des tableaux. Les artistes heureux élus bénéficiant de la protection des mécènes, fondations, ou groupes d’investissement ont une carrière assurée, mais doivent commercialiser toutes leurs créations à travers eux, comme une marchandise hautement spéculative. Pour les autres, ceux qui n’ont pas besoin de travailler pour vivre, peindre est pratiquement redevenu un loisir.

Les dés sont pipés dans le marché de l’art. Les œuvres les plus valorisées ne sortent plus des coffres des marchands. Elles sont accaparées par d’obscurs investisseurs, comme moyen de faire grossir des fortunes souvent mal acquises. Bien souvent, ces mécènes ne regardent même pas les toiles qu’ils achètent, et cela vaut peut-être mieux car ils sont de plus en plus démunis d’un véritable goût pour l’art.

Au fond, la question de savoir si l’œuvre était authentique ou non ne se posait plus. Seule comptait la spéculation qui allait transformer un tableau inconnu en la toile la plus chère du monde.

Image : Vue depuis le Parc de la Nymphe (Collonge-Bellerive)

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