Efstathiadis, Minos « Le plongeur » (2020) 205 pages

Efstathiadis, Minos « Le plongeur » (2020) 205 pages

Auteur: Minos Efstathiadis est un auteur et dramaturge grec né en 1967. Il a étudié le droit à Athènes et à Hanovre.

Romans :
Série : les enquêtes de Chris Papas : «  Le Plongeur » est son premier roman publié en France en 2020. «Le Couteau des sables» suivra en 2023.

Actes Sud – Actes noirs – 04.11.2020 – 205 pages /  Babel – mars 2023 – 208 pages /  traduit par Lucile Arnoux-Farnoux

Résumé
Chris Papas, détective privé à Hambourg, de père grec et de mère allemande, reçoit la visite d’un homme très âgé qui lui offre une avance importante simplement pour suivre une femme durant quarante-huit heures. La filature commence au pied de l’immeuble de la dame, et se poursuit jusqu’à un hôtel minable où elle retrouve un jeune homme dans la chambre 107 tandis que Papas, installé dans la pièce mitoyenne, s’endort lamentablement.
Le lendemain, c’est la police qui sonne chez lui : un vieillard a été retrouvé pendu dans la fameuse chambre 107. Au fond de sa poche, la carte de visite du détective. Forcément suspect, Papas poursuit seul une enquête qui l’emmène bientôt dans un coin du Péloponnèse où se trouve son propre village natal.
De l’Occupation à l’asphyxie économique imposée par l’Europe, les rapports entre la Grèce et l’Allemagne sont au cœur de ce polar qui rouvre des plaies suppurant depuis la Seconde Guerre mondiale.

Mon avis:

Quand j’ai commencé ce livre, je me suis dit que j’allais me retrouver dans l’ambiance « plongée sous-marine »… Raté. Mais je dois dire que la lecture de cet auteur fut une belle découverte car il est extrêmement interessant à plusieurs niveaux. Outre l’enquête qui est extrêmement élaborée et originale, il y a un vrai contexte qui couvre plusieurs générations et plusieurs problématiques : les relations entre la Grèce et l’Allemagne sont au coeur du roman – avec les exactions commises par les Allemands en Grèce pendant la Deuxième Guerre mondiale – la situation politique de la Grèce et les affrontements Grèce/Allemagne qui perdurent jusqu’à nos jours, le problème de la recherche d’identité des personnes bi-nationales. J’aime toujours les romans qui allient la Grande et la Petite histoire.
L’enquête est enracinée dans le passé mais le suspense va être entretenu jusqu’à la dernière page. Tout commence par un vieil homme qui contacte un détective privé en Allemagne… vite suivi par un suicide, un corps retrouvé en Grèce… et là, tout se complique…

J’ai beaucoup apprécié le style d’écriture, les descriptions des personnages et des lieux, tant du point de vue visuel que psychologique. Et savouré les dialogues intérieurs. Le ton est parfois drôle et ironique, parfois angoissant et corrosif, (plus que caustique)… Un vrai talent pour l’humour très noir…

C’est un univers où les protagonistes se cachent, avancent masqués, et une vision pour le moins désenchantée de l’humanité.  Et le roman se rapproche de la tragédie grecque revue et corrigée façon époque contemporaine. D’ailleurs celle-ci est bien présente dans le roman qui s’appuie sur l’Agamemnon d’Eschyle ; l’auteur va d’ailleurs nous l’évoquer et l’expliquer, proposant une source d’information sur la tragédie grecque en lien avec le roman . « Finalement, que raconte le mythe d’Agamemnon ? La chronique d’une froide et patiente vengeance ? Non. Pas seulement. »
Je vous laisse découvrir, relier le passé et le présent. Je peux vous promettre une chose. Jamais vous ne verrez les taupes de la même façon après avoir refermé le livre. 

Extraits:

L’aube était encore loin lorsqu’il entendait la voix rauque interrompre ses rêves pour les rejeter, esquintés, aux frontières de la réalité. 

Peau grise de serpent, rides comme des rails de chemin de fer, deux lignes effilochées en guise de sourcils et pas un poil sur le caillou. L’ultime trace de couleur se cache sur la carte usée de son visage. Ses yeux brillent d’une fièvre bleue.

Leur soif de preuves photographiques ou sonores demeure inextinguible, bien qu’ils sachent parfaitement qu’elles ne feront que les blesser davantage. La nature humaine recèlerait-elle quelque chose de résolument masochiste ? Ou bien le désir d’acquérir une certitude, si torturante soit-elle, est-il plus fort que le réflexe d’éviter la douleur ?

L’idée qu’elle cherche à m’échapper semble a priori absurde. Mais, comme toutes les choses absurdes, elle refuse de disparaître. — Moitié Allemand, moitié Grec.
— Christos, donc. Tu te bats avec tes propres démons, hein ? Deux sangs, deux mondes.

Le car a brusquement quitté l’autoroute. Signaux lumineux imprévisibles, déviations subites, virages ridicules, panneaux routiers traîtres, asphalte fait de pièces et de morceaux, tout ce mélange danse devant nous. Cette partie du trajet dure plus d’une heure, semblant sortie tout droit d’un jeu vidéo doté d’un sens pervers de l’humour.

Parfois le passé se réveille et vient se planter devant le présent. Ils échangent des regards méfiants mais ouvrent rarement la bouche.

Est-ce que je suis venu pour tremper mes pieds dans la mer ? Ou bien est-ce que je suis arrivé jusqu’ici pour me demander pourquoi je suis arrivé jusqu’ici ?

Selon la tradition mythologique la plus noble, Aigion a hérité son nom directement de la chèvre1 qui a allaité et élevé le père des dieux et des hommes, le tout-puissant Zeus. Une explication plus humble et nettement plus terrestre circule également, en lien avec le caractère sismique de la région. Elle fait dériver le nom Aigion du verbe aïsso, qui signifie “ébranler”, “secouer”. La dénomination est toutefois indifférente aux explications logiques et – comme toute amante passionnée – est restée attachée au lieu depuis la préhistoire jusqu’à nos jours.

Moi, ça me fait rire. Je ne peux rien faire d’autre que rire. Parce que je suis tantôt Chris Papas, tantôt Christos Papadimitrakopoulos, en fonction des circonstances, de la langue, du pays, des oreilles et des bouches. Je suis Personne. C’est merveilleux d’être né entre deux pays. On sent rapidement qu’aucun des deux ne veut de vous.

D’un ton sérieux, presque mécanique, il donne des ordres. Entre ses phrases béent des intervalles de silence glacé. 

Cependant, que va-t-il rester dans ce monde de mensonges si nous oublions nos promesses ?

La même source m’informe qu’Eschyle est considéré non seulement comme le père de la tragédie mais aussi comme l’un des novateurs les plus audacieux dans ce domaine. Il a inauguré une nouvelle ère en introduisant le second protagoniste, alors que jusqu’à son époque les tragédies étaient jouées par un seul acteur, qui changeait sans cesse de masque. 

vous devez avoir assimilé cette règle d’or : on ne doit jamais administrer plus de vérité que ne peut en supporter l’autre.
— Vous soutenez donc que mon ignorance me protège ?

Du reste, la plupart de ces choses ne peuvent se décrire. Du moins pas avec des mots creux, et parfois tous les mots ont l’air creux. La douleur a sa propre langue et tout le monde sait qu’il n’y a qu’une manière de la comprendre. Elle doit parcourir vos veines.

Sans les histoires qui nous suivent tels des chiens noirs de l’Enfer, nous sommes les jouets du vent, des lueurs fortuites dans les ténèbres.

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