Pavičić, Jurica « L’eau rouge » (2021) 407 pages

Pavičić, Jurica « L’eau rouge » (2021) 407 pages

Auteur : Jurica Pavičić (est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split  le 2 novembre1965. Il collabore depuis 1989 en tant que critique de cinéma à différents journaux. Il est l’auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles, d’essais sur le cinéma, sur la Dalmatie et le monde méditerranéen, de recueils de chroniques de presse… Ses nouvelles et ses essais ont été traduits en anglais, en allemand, en russe, en italien et en bulgare. Son roman Les moutons de gypse a été adapté au cinéma par Vinko Brešan, sous le titre Witnesses (Svjedoci), film qui a remporté le prix œcuménique du jury du Festival de Berlin en 2003. Le prix du meilleur scénario a été décerné à Jurica Pavičić pour ce même film au Festival de Pula la même année. (Infos site Argullo)

Romans parus en Français : L’eau rouge (Crvena voda 2017) (11.03.2021) 384 pages – La femme du deuxième étage  (Žena s drugog kata 2015)(15.09. 2022) 239 pages

Agullo – 11.03.2021 – 384 pages / Points policier – 09.09.2022 – 407 pages Olivier Lannuzel (Traducteur) – Prix Le Point du polar européen 2021 à Quai du Polar – Grand Prix de Littérature policière 2021 – Prix Transfuge 2021 – Prix Mystère de la critique 2022 – Prix Libr’à nous catégorie Polar 2022 – le prix Ksaver Šandor Gjalski 2918 du meilleur roman croate –

Résumé :
Dans un bourg de la côte dalmate, en Croatie, Silva, 17 ans, disparaît lors de la fête des pêcheurs. C’est un samedi de septembre 1989, dans la Yougoslavie agonisante. L’enquête menée par l’inspecteur Gorki Šain fait émerger un portrait de Silva plus complexe que ne le croyait sa famille : la lycéenne scolarisée à Split menait-elle une double vie ? Mais l’Histoire est en marche, le régime de Tito s’effondre, et au milieu du chaos, l’affaire est classée. Seule la famille de Silva poursuit obstinément les recherches…
À travers ce drame intime, L’Eau rouge déploie dans une grande fresque les bouleversements de la société croate, de la chute du communisme à l’explosion du tourisme, en passant par la guerre civile… Ou comment les traumatismes de l’Histoire forgent les destins individuels.

Mon avis :
Croatie , fin 1989. Au moment où commence le roman, l’ambiance est plutôt électrique dans un pays divisé entre les anciens partisans de Tito et la marche en avant qui entrainera l’indépendance de la Croatie (et de la Slovénie) en 1991.
Quand Silva disparait, à 17 ans, la police ne croit pas à un accident ou à un meurtre. Elle part du principe que la jeune fille a quitté son village et sa famille de son plein gré. Elle enquête mollement, et, confortée par quelques vagues témoignages et indices, elle profite du moment où la jeune fille atteint ses 18 ans pour laisser trainer. De plus, avec le changement politique, le policier aux commandes est débarqué et remplacé par un jeune loup qui classe purement et simplement l’affaire.

Au début, je ne ne comprenais pas pourquoi ce roman était tellement encensé mais au final j’ai beaucoup aimé. Par contre je n’ai pas été emballée par l’écriture (ou la traduction?)

Plusieurs personnages importants : Silva, la jeune fille qui disparait, sa mère Vesna, son père Jakov, son frère Mate. Son petit ami, Brane, le dernier garçon à l’avoir vue vivante, Adrijan et enfin le policier Gorki, et une jeune femme Elda qui l’a croisée à l’époque de sa disparition.
Curieusement, ce sont des personnages masculins qui m’ont ému  : le frère jumeau de la disparue, Mate, Gorki Sain dont la vie se retrouve chamboulée parce que son grand-père était un partisan de Tito et que cela passe sacrément mal dans les circonstances actuelles et le jeune Adrijan qui finit par partir à la guerre pour fuir le village.
Pour les autres, je dois dire que je n’ai pas ressenti grand chose. Qui était Silva? Une jeune fille à priori peu sympathique.

Seul Mate prendra à coeur de continuer à chercher sa jumelle, en voyageant partout en Europe, en suivant chaque piste, en vérifiant chaque indice, pendant des dizaines d’années. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, cette quête le mènera à rencontrer l’amour.
Pendant 30 années, nous allons traverser l’histoire de la Croatie à la poursuite de la disparue. Nous suivrons aussi l’histoire du policier en charge de l’enquête au départ et qui se sera reconverti dans l’immobilier.
Plusieurs questions émergent : connait-on vraiment les gens avec qui l’on vit? Qui était Silva? Connait-on ses voisins? Quel est le rôle de ce que l’on appelle le destin dans le monde dans lequel on évolue? Le progrès et l’immobilier ne détruisent-ils pas le tissu social qui unit les habitants d’une ville?
Pendant tout le roman, l’ambiance est à la défiance, au soupçon. Tout le monde est sur la défensive, déstabilisé,  comme le contexte politique et social du pays qui est en pleine période de transition.

Extraits:

Tous deux vivent avec la ferme conviction que, s’ils se tiennent à distance des problèmes, les problèmes garderont leurs distances vis-à-vis d’eux.

La maison est endormie, immobile. Comme si rien n’avait bougé depuis ce dimanche de septembre.  Tout est figé, dans l’expectative : le lit tiré de Silva, la télévision éteinte, le calendrier que personne n’effeuille. Dans l’atelier, la station radioamateur de Jakov, ses pièces électroniques, sont démontées, oubliées. Tout est en phase d’hibernation, en sommeil, dans l’attente qu’un baiser magique advienne et rende souffle et vie à la maison.

Il n’avait pas été mis dehors car il était protégé par un gilet pare-balles de compassion.

Leur statut était « suspendu ». Cela faisait un moment que sa vie était suspendue. Voilà qu’aujourd’hui c’était au tour de son travail.

Pour un enfant vivant, un anniversaire, ça s’organise. Les parents préparent un gâteau, montent une petite fête avec des bougies et une tombola. Pour l’anniversaire d’un enfant mort, les parents vont au cimetière. Ils achètent des chrysanthèmes qu’ils déposent sur sa tombe.

Silva, elle, n’est ni morte ni vivante. Silva a disparu. Et pour une personne disparue, vous n’allez pas au cimetière, vous ne préparez pas de gâteau. Vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous ne pouvez pas la pleurer, vous ne pouvez pas échanger avec elle ou échafauder des projets.

Ils oublieront pourquoi cela a commencé, ce qui ne veut pas dire que la haine en sera amoindrie. Simplement celle-ci, vidée de son sens, constituera un état permanent, un peu comme la coqueluche ou les rhumatismes. Elle restera tapie, elle vivotera en silence, comme une infection en terres marécageuses, une malédiction sourde et sèche retentissant dans une pièce vide.

Entre la vérité et la légende, tout le monde préfère imprimer la légende.

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