Adichie, Chimamanda Ngozi « L’hibiscus pourpre » (2004) – 416 pages

Adichie, Chimamanda Ngozi « L’hibiscus pourpre » (2004) – 416 pages

Autrice: née le 15 septembre 1977, est une écrivaine nigériane originaire d’Abba dans l’État d’Anambra, au sud-est du Nigeria. Elle a reçu plusieurs prix universitaires et littéraires, et est également connue comme militante féministe.
Née dans la ville d’Enugu, elle grandit dans la ville universitaire de Nsukka au sud-est du Nigeria, où est implantée l’université du Nigeria (UNN, University of Nigeria, Nsukka) depuis 1960. Elle est la cinquième d’une famille igbo de six enfants. Durant son enfance, son père enseignait à l’UNN comme professeur de statistiques, et sa mère était la responsable du bureau de la scolarité. Sa famille est originaire du village Abba, dans l’État d’Anambra

Son premier roman, L’hibiscus pourpre, a été sélectionné pour l’Orange Prize et le Booker Prize. L’autre moitié du soleil a reçu l’Orange Prize. Elle est l’auteur du roman très remarqué Americanah ainsi que d’un essai, Nous sommes tous des féministes.

Romans: L’Hibiscus pourpre (2004) – L’autre moitié du soleil ( 2008) – Americanah (2015) 

Editeur Anne Carrière – La Vagabonde 25.08.2004 – 416 pages / Folio – 15.04.2016 – 416 pages  ( traduit par Mona de Pracontal)

Résumé :

« A la maison la débâcle a commencé lorsque Jaja, mon frère, n’est pas allé communier et que Papa a lancé son gros missel en travers de la pièce et cassé les figurines des étagères en verre ». Kambili vit dans une famille nigérienne aisée avec son frère aîné Jaja. Leur père est un catholique fondamentaliste, très respecté par la communauté d’Enugu. Mais lorsqu’un coup d’Etat contraint Kambili et Jaja à trouver refuge chez Tatie Ifeoma, ils découvrent un foyer bruyant et plein de vie et leurs illusions sur l’autorité religieuse et paternelle tombent.
Commence alors un douloureux combat pour s’affranchir du passé.

Mon avis: 

Excellente lecture! Et magnifique premier roman.
Bienvenue au Nigéria, en période tourmentée, dans un pays qui est déstabilisé par un coup d’Etat.
Une famille riche : le père, catholique fondamentaliste qui exclut de sa vie tous ceux qui ne suivent pas les préceptes religieux catholiques, la mère – soumise – et deux enfants, Jaja , le fils et Kambili, la fille, qui vivent sous le joug de la religion, imposé par le père qui régente tout. Un père qui est industriel et généreux envers les pauvres et l’Eglise – considéré comme un bienfaiteur – mais intransigeant et fondamentaliste en privé, au point de refuser de fréquenter son père sous prétexte qu’il est traditionaliste et pas catholique. Tout ce qui n’est pas catholique est banni de sa vie et il est de fait un tyran et un despote.
Lorsque les deux enfants commencent à fréquenter de plus près leurs cousins, la différence entre les deux conceptions de vie explosent. D’un coté richesse et intransigeance, peur de vivre et de désobéir au père; de l’autre peu d’argent mais ouverture d’esprit et joie de vivre. Kambili est tiraillée entre l’amour qu’elle voue à son père en même temps que la peur qu’il lui inspire et la liberté qu’elle découvre. Quand au fils, lui, il s’éloigne de plus et plus de son père.
Se pose la question de Dieu : faut il voir en l’amour de Dieu un asservissement et une voie triste et rigide ou une perspective lumineuse et tournée vers les autres?
Quant aux personnages, mon attachement va à Tatie Ifeoma, au grand-père Papa-Nnukwu, à la jeune Amaka  bien plus qu’à la jeune Kambili qui va au final commencer à s’épanouir et à oser s’ouvrir au autres.
Dans ce livre, la dictature est présente à tous les niveaux : Familiale et Etatique…
Religion, oppression, violences familiales, droits de la femme, relations familiales, mais aussi traditions, amour, et histoire du Nigeria.

Extraits:

Le silence n’était interrompu que par le ronronnement du ventilateur qui fendait l’air immobile.

Nous faisions cela souvent, de nous poser l’un à l’autre des questions dont nous connaissions déjà les réponses. Peut-être était-ce pour éviter de poser les autres questions, celles dont nous ne voulions pas connaître les réponses.

Mais ce dont nous, Nigérians, avions besoin, ce n’était pas des soldats qui nous gouvernent ; ce dont nous avions besoin, c’était d’un renouveau démocratique. Renouveau démocratique.

Le silence planait sur la table comme des nuages d’un noir bleuté au milieu de la saison des pluies.

La première fois que j’avais entendu Tatie Ifeoma appeler Mama « Nwunye m », j’avais été horrifiée qu’une femme appelle une autre femme « mon épouse ». Lorsque je lui avais posé la question, Papa m’avait expliqué que c’étaient des vestiges de traditions impies, l’idée que la famille et non l’homme seul épousait la femme, et plus tard Mama avait murmuré, bien que nous fussions seules dans ma chambre : « Je suis son épouse à elle aussi, parce que je suis l’épouse de ton père. Ça montre qu’elle m’accepte. »

« Nwunye m, quelquefois la vie commence quand le mariage prend fin.
— Toi et tes propos d’universitaire ! C’est ce que tu racontes à tes étudiantes ? » Mama souriait.
« Sérieusement, oui. Mais elles se marient de plus en plus tôt, ces temps-ci. À quoi nous sert un diplôme, me demandent-elles, si nous ne trouvons pas de travail avec ?
— Au moins elles auront quelqu’un qui s’occupera d’elles si elles se marient.

Païen ou traditionaliste, quelle importance ? Il n’était pas catholique, voilà tout ; il n’avait pas la foi. Il faisait partie des gens dont nous appelions la conversion par nos prières pour qu’ils ne finissent pas dans les tourments éternels de l’enfer.

« Ça peut être une bonne chose, parfois, d’être rebelle, dit-elle. L’esprit de rébellion est comme la marijuana : ce n’est pas mauvais quand on l’utilise comme il faut. »

Papa-Nnukwu n’était pas païen mais traditionaliste, que parfois ce qui était différent était tout aussi bien que ce qui était familier, que lorsque Papa-Nnukwu faisait son itu-nzu, sa déclaration d’innocence, le matin, c’était pareil que quand nous disions le chapelet. 

J’avais souri, couru, ri. J’avais la poitrine pleine de quelque chose qui ressemblait à du bain moussant. Léger. La légèreté était si douce que j’en sentais le goût sur ma langue, une douceur de pomme cajou trop mûre, jaune vif.

[…] leur placer la barre de plus en plus haut dans sa façon de leur parler, dans ce qu’elle attendait d’eux. Elle le faisait tout le temps, confiante qu’ils pouvaient franchir la barre. Et ils la franchissaient. C’était différent pour Jaja et pour moi. Nous ne franchissions pas la barre parce que nous nous en croyions capables, nous la franchissions parce que nous étions terrifiés à la pensée de ne pas y arriver.

Les rues que nous longions ressemblaient à des tunnels assombris par les haies qui les bordaient de part et d’autre. Les lumières jaune doré des lampes à pétrole vacillaient derrière les fenêtres et sur les vérandas des maisons, comme les yeux de centaines de chats sauvages.

Même le silence qui s’abattit sur la maison était soudain, comme si l’ancien silence s’était brisé et nous avait laissé ses débris coupants.

Mais surtout, elle parle des choses qui lui manquent et de celles dont elle a terriblement envie, comme si elle ignorait le présent pour s’attacher au passé et à l’avenir.

[…] certaines choses se produisent pour lesquelles nous ne pouvons pas formuler de pourquoi, pour lesquelles les pourquoi n’existent tout simplement pas et, peut-être, ne sont pas nécessaires.

2 Replies to “Adichie, Chimamanda Ngozi « L’hibiscus pourpre » (2004) – 416 pages”

  1. Après avoir lu Americanah que j’avais adoré, j’ai souhaité connaître davantage cette auteure nigériane. Alors pourquoi ne pas commencer par son premier roman, L’Hibiscus pourpre ?

    Kambili a 15 ans. Elle vit avec sa mère et son frère Jaja au sein d’une famille aisée et respectée mais dirigée d’une main de fer par le père, Papa Eugène, fervent catholique qui n’a pas hésité à renier son propre père qu’il considère comme un païen. Eugène impose à son épouse et ses enfants un strict emploi du temps dans lequel alternent travail, études et prières.

    Introvertie, incapable de s’exprimer correctement, la jeune fille voue à son père un amour inconditionnel et les efforts qu’elle fait pour être à la hauteur des espérances paternelles sont davantage guidés par l’envie d’obtenir son approbation que par la crainte d’une punition pourtant très violente.

    Poussée à passer quelques jours chez sa tante, elle découvre le monde sous des perspectives bien différentes. Ici, l’argent manque, les coupures d’eau et les pannes d’électricités sont fréquentes mais on y discute sans crainte, on regarde la télévision, on écoute de la musique, on chante et on rit, beaucoup.

    Une fois éloignée de son père, Kambili va faire de nouvelles expériences et devenir de plus en plus forte. En recherche d’identité, elle va pouvoir se construire. Et les personnages qu’elle rencontre vont l’aider à devenir plus critique, à remettre en question son éducation catholique et se forger sa propre opinion sur la religion.

    Ainsi, Eugène représente toutes les dérives d’un christianisme poussé à l’extrême. Il va à la messe, aide les missions et fait de généreuses donations. Dans la communauté catholique, c’est un bienfaiteur et un personnage important. Par contre, diabolisant la culture africaine, il refuse de parler igbo et privilégie l’anglais. Il se montre violent envers ceux qu’il considère comme des païens, y compris son propre père. Et au sein de son ménage, toute entorse à la règle est sévèrement punie par des violences physiques et psychologiques. En fait, il tient exactement le même discours que les colonisateurs dont il reprend tous les abus.

    Converti mais très différent d’Eugène, Frère Amadi, un ami de la tante de Kambili, jouera un rôle important dans le développement de la jeune fille. Chez lui, pas d’oppression, son rôle essentiel étant de se tenir au service de la communauté. Ironie de la situation, ce prêtre africain va devoir se rendre en Allemagne où les prêtres manquent cruellement.

    Enfin avec Papa Nnukw, le grand-père, Kambili découvre la mythologie igbo, le culte des morts, les contes et les pratiques culturelles traditionnelles. Il représente la culture africaine tant diabolisée par Eugène.
    C’est en l’écoutant invoquer un de ses dieux que Kambili comprend que sa prière n’est pas tellement différente de celle des chrétiens et qu’être traditionaliste ne signifie pas nécessairement être païen.

    Dans L’Hibiscus pourpre, Adichie traite déjà de sujets qui lui sont chers et qui reviendront dans ses autres romans : l’identité du peuple nigérian, le christianisme importé par les colonisateurs et confronté à la religion animiste locale, la société igbo qui se heurte aux valeurs occidentales, le nationalisme, l’indépendance, la corruption et le sentiment d’insécurité ambiant.

    Un premier très beau roman initiatique qui aborde avec art des thèmes difficiles à travers les yeux d’une adolescente.

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