Redondo, Dolores « Le gardien invisible » (2013)

Redondo, Dolores « Le gardien invisible » (2013)

Autrice :  Dolores Redondo Meira, née le 1 fevrier 1969 à Saint-Sébastien, dans la province de Guipuscoa, au Pays basque, est une romancière espagnole, auteur de romans historiques et policiers.
Romans : Après un roman historique, Los privilegios del angel (2009), elle signe avec Le Gardien invisible son premier roman policier qui inaugure « la trilogie du Batzan » ( «Le gardien invisible»,  «De chair et d’os» ,  «Une offrande à la tempête» ). Elle reçoit en 2016 le prix Planeta pour son nouveau roman, « Tout cela je te le donnerai » (Todo esto te daré).  «La face nord du cœur»(La cara norte del corazón  – 2019) parait en 2021 et obtient le Grand Prix des lectrices de ELLE policier

Trilogie du Baztán tome 01 (Première enquête de l’inspectrice Amaia Salazar )

«Le gardien invisible»,  «De chair et d’os» ,  «Une offrande à la tempête»

Résumé : Au Pays basque, sur les berges du Baztán, le corps dénudé et meurtri d’une jeune fille est retrouvé, les poils d’un animal éparpillés sur elle. La légende raconte que dans la forêt vit le basajaun, une étrange créature mi-ours, mi-homme… L’inspectrice Amaia Salazar, rompue aux techniques d’investigation les plus modernes, revient dans cette vallée dont elle est originaire pour mener à bien cette enquête qui mêle superstitions ancestrales, meurtres en série et blessures d’enfance.

«Mythologies basque et familiale se confondent, l’intrigue se nimbe d’une atmosphère quasi surnaturelle. La magie opère. Dolores Redondo serait-elle la cousine espagnole de Fred Vargas?» Madame Figaro

Mon avis : Ah oui ! La revue « LIRE – Spécial polar » recommandait cette romancière dans son article sur les auteurs de polars espagnols. Je suis bien contente d’avoir décidé de partir au pays basque avec Amaia. Un thriller psychologique, une inspectrice attachante, des légendes… J’ai totalement fondu. Au point de me lancer dans le tome deux et d’avoir commandé le tome 3 en espagnol… L’importance du passé, de la tradition et des racines à la sauce basque.

Le retour sur les lieux de son enfance pour mener une enquête sur un tueur en série de jeunes filles n’est pas anodin pour l’inspectrice Salazar. Tout son passé va ressurgir, avec ses fantômes et ses angoisses. Ce qu’elle tentait de cacher remonte à la surface. Le roman est à la fois un thriller qui permettra à la policière de démasquer un tueur en série, un retour psychologique sur sa vie, une présentation de cette belle région pleine de tradition et de mystères, une découverte des traditions ancestrales, un témoignage sur la vie dans cette partie du pays basque… Mêlant les croyances anciennes et les technologies de pointe un livre que je recommande et une romancière à suivre. Le suspense est au rendez-vous, les personnages et l’intrigue sont oppressants.. C’est bien construit..

Extraits :

il lui sembla comme toujours qu’il y avait trop de monde. C’était un sentiment proche de l’absurde peut-être dû à son éducation catholique, mais, devant un cadavre, elle éprouvait un besoin impérieux d’intimité et de recueillement qui l’écrasait dans les cimetières et se trouvait violé par la présence professionnelle, distante et étrangère de ceux qui évoluaient autour du corps, seul témoin de l’œuvre d’un assassin, et cependant muet, réduit au silence, ignoré dans son horreur.

– Je t’aime, murmura-t-elle. Et elle sourit en songeant que c’était vrai, qu’elle l’aimait plus que tout, plus que personne, et que cela la rendait si heureuse de le tenir entre ses jambes, en elle, et de faire l’amour avec lui. Ce sourire persistait ensuite pendant des heures, comme si un instant passé avec lui lui suffisait à exorciser tous les maux du monde.

l’amour ne s’est pas éteint d’un coup, mais je me suis rendu compte un jour qu’il s’était usé après un processus lent mais inexorable de ponçage, tchic, tchac, tchic, tchac, un jour après l’autre. Et ce jour-là, je me suis aussi aperçue qu’il n’en restait plus rien

faire sortir de l’obscurité le profil d’un meurtrier était quasiment devenu une obsession. Il était fasciné par ce jeu d’échecs où il était primordial d’anticiper le coup duquel découleraient les autres jusqu’à la victoire de l’un ou l’autre joueur

– Tu ne m’en avais jamais parlé. – Non, il y a longtemps que je n’y avais pas pensé ; sans compter que c’est une partie de mon passé dont je n’aime pas me souvenir. Mais en revenant ici, toutes ces sensations semblent refaire surface, reprendre forme, comme des fantômes

Oublier est un acte involontaire. Plus on essaie de laisser quelque chose derrière soi, plus cette chose vous poursuit

dégageant cette sensation de triomphe propre à ces personnes âgées qui vivent en tirant parti de chaque jour sans penser à la mort. Ou peut-être en pensant à elle pour lui voler encore un jour, encore une heure.

– Pourquoi ne doit-on pas se tirer les cartes à soi-même ? – Parce qu’on est pas assez objectif quand on est concerné. Les craintes, les désirs, les préjugés peuvent brouiller le jugement. On dit également que cela porte malheur et attire le mal. – Eh bien, c’est aussi un point commun avec l’investigation policière, car un inspecteur ne doit pas enquêter sur une affaire qui le touche personnellement.

Être assis en face de quelqu’un et deviner qu’il souffre, qu’il ment, qu’il cache quelque chose, qu’il se sent coupable, tourmenté, sale ou au-dessus des autres est aussi commun pour moi lors de ma consultation que pour toi dans un interrogatoire, à la différence que les gens viennent me voir volontairement et pas toi

qu’est-ce qui compte vraiment, qu’une chose soit prouvée, ou que tant de personnes la croient ?

le monde n’a pas tellement changé, il reste un lieu parfois obscur, où les esprits malins guettent notre cœur, où la mer continue à avaler des navires entiers sans qu’on puisse en retrouver aucune trace, et il y a toujours des femmes qui prient pour se voir accorder la grâce d’enfanter. Tant qu’il y aura de l’obscurité, il y aura de l’espoir, et ces croyances auront toujours de la valeur et elles feront partie de nos vies

son visage était pâle comme si on avait effacé les traits à force de les laver à l’eau glacée

Depuis la nuit des temps, la croisée des chemins est considérée comme un lieu d’incertitude et de confluence quant à la voie à suivre et aux rencontres que l’on allait y faire.

La croix a une double fonction : elle sanctifie les lieux et indique à celui qui la voit qu’il se trouve en terre incertaine. Elle a également pu être mise là en raison de sa forme. Quatre chemins parfaitement tracés qui se rejoignent au centre du cimetière, mais aussi au-dessous, dans l’inframonde, où pullulent les âmes tourmentées des assassins et de leurs victimes, lui dit-il en lui désignant la disposition des lieux.

Quand on commença à descendre le cercueil dans la fosse et qu’il perdit le contact avec le bois mouillé, il s’écroula tel un arbre qu’on aurait scié à la base, et tomba évanoui dans les flaques

En fin de compte, dans ta tentative de moraliser, de diriger et de mener tout le monde à la baguette, tout ce que tu obtiens, c’est de faire le vide autour de toi. Personne ne t’a demandé d’être une héroïne ou une martyre.

Je crois que tu fais partie de ces femmes dévouées qui se consacrent corps et âme à soutenir une famille, dans le seul but de disposer d’une bonne dose de culpabilité et de reproches dont elles peuvent accabler les autres, jusqu’à ce qu’elles se retrouvent avec leur abnégation et leurs récriminations mais plus personne autour d’elles pour en entendre parler

Les enfants ne sont pas faits de sang, mais d’amour

Elle n’avait pas de souvenirs de ces jours-là, elle supposait qu’elle les avait passés en état de choc, même si elle se rappelait s’être montrée sereine et maîtresse d’elle-même, avec ce contrôle de soi que donne l’incrédulité devant les événements.

Rappelle-toi ce que tu as appris à Quantico : si tu es bloquée, fais reset, réinitialise. Parfois, c’est la seule manière de débloquer un cerveau, peu importe qu’il soit humain ou cybernétique. Fais reset, inspectrice. Éteins et rallume, et recommence par le début

Ses pleurs cessèrent et elle resta ainsi, désolée, son âme lui faisant l’effet d’une maison sur la falaise dont les propriétaires inconséquents auraient laissé portes et fenêtres ouvertes à la tempête

Et maintenant une furie en balayait l’intérieur, renversant tout, faisant disparaître le moindre vestige d’ordre impie. La colère était la seule chose qui existât, elle naissait dans les recoins sombres de son âme, envahissant les espaces que la désolation avait vidés

Elle pouvait presque entendre les conversations qui s’étaient tenues à son sujet et qui étaient restées en suspens tels des nuages d’orage à son arrivée.

Le stress post-traumatique est un assassin endormi. Il reste parfois latent des mois, voire des années après l’événement qui l’a provoqué. Une situation réelle où l’individu a couru un danger réel. Le stress agit comme un système de défense qui identifie des signes de danger donnant l’alerte dans le but de protéger l’individu et d’éviter qu’il ne soit à nouveau confronté au même péril

ses souvenirs étaient flous et craquelés à la façon d’une vieille pellicule noir et blanc brûlée par le nitrate de cellulose.

C’était un de ces jours où l’aube s’est arrêtée aux premières lueurs du jour sans parvenir à se lever entièrement

Ces matins sombres faisaient partie de ses souvenirs d’enfance, et elle se rappelait les nombreux jours passés à rêver de la présence chaude et caressante du soleil.

La vallée vit des temps d’incertitude, et quand les nouvelles formules échouent, on a recours aux anciennes.

Une lumière déchira le ciel, qui s’était assombri jusqu’à prendre un ton de vieil étain. Un coup de tonnerre résonna, tout proche, et il se mit à pleuvoir

D’épais rideaux de pluie balayaient la rue d’un bout à l’autre, on aurait dit que quelqu’un avait agité un énorme arrosoir pour la débarrasser du mal, ou de la mémoire

La pluie, qui avait commencé à tomber depuis peu, continuait à faire un bruit assourdissant à l’extérieur, et rendait la maison d’autant plus accueillante

le rejet ne vient pas de celui qui reçoit, mais de celui qui se sent étranger

la douleur est parfois si profonde et enkystée qu’on souhaite et qu’on croit qu’elle va rester là, cachée et muette

Elle ne comprenait pas encore comment fonctionnait l’instinct, la machinerie compliquée qui se mettait automatiquement en marche chez un enquêteur, mais, de façon très subtile, elle entendait presque les rouages de l’affaire tourner, s’encastrer, entraîner dans leur lent mouvement inexorable des centaines de pièces qui s’imbriquaient à leur tour dans d’autres, faisant apparaître peu à peu un sens

Ce matin-là, il ne pleuvait pas, mais le brouillard couvrait les rues d’une patine de tristesse ancestrale qui forçait les gens à se courber, comme s’ils portaient une lourde charge, et à se réfugier dans les cafés où il faisait chaud

Image: eguzki-lore : mot composé de eguzki (« soleil ») et de lore (« fleur ») –  « fleur du soleil » – la fleur Eguzkilore, la fleur du soleil. En terre basque, elle protège les maisons des mauvais esprits, des génies, de la tempête et de l’adversité (chardon argenté)

 

4 Replies to “Redondo, Dolores « Le gardien invisible » (2013)”

  1. Bon livre distrayant avec de bonnes intrigues ,la découverte d’une région méconnue ,qui depuis a été beaucoup visitée .J’irai volontiers voir son adaptation au cinéma .

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