Redondo, Dolores «La face nord du cœur» (2021)

Redondo, Dolores «La face nord du cœur» (2021)

Autrice :  Dolores Redondo Meira, née le 1 fevrier 1969 à Saint-Sébastien, dans la province de Guipuscoa, au Pays basque, est une romancière espagnole, auteur de romans historiques et policiers.

Après un roman historique, Los privilegios del angel (2009), elle signe avec Le Gardien invisible son premier roman policier qui inaugure « la trilogie du Batzan » ( «Le gardien invisible»,  «De chair et d’os» ,  «Une offrande à la tempête» ). Elle reçoit en 2016 le prix Planeta pour son nouveau roman, « Tout cela je te le donnerai » (Todo esto te daré).  «La face nord du cœur»(La cara norte del corazón  – 2019) parait en 2021 et obtient le Grand Prix des lectrices de ELLE policier

Gallimard – 28.01. 2021 – 682 pages (traductrice : Anne Plantagenet) – Grand Prix des lectrices de ELLE policier

Résumé : Amaia Salazar, détachée de la Police forale de Navarre, suit une formation de profiteuse au siège du FBI dans le cadre d’un échange avec Europol. L’intuition singulière et la perspicacité dont elle fait preuve conduisent l’agent Dupree à l’intégrer à son équipe, lancée sur les traces d’un tueur en série recherché pour plusieurs meurtres de familles entières. Alors que l’ouragan Katrina ravage le sud des Etats-Unis, l’étau se resserre autour de celui qu’ils ont surnommé le Compositeur.
La Nouvelle-Orléans, dévastée et engloutie par les eaux, est un cadre idéal pour ce tueur insaisissable qui frappe toujours à la faveur de grandes catastrophes naturelles. L’association du réalisme cru de scènes apocalyptiques en Louisiane, de rituels vaudous des bayous et de souvenirs terrifiants de l’enfance basque d’Amaia constitue un mélange ensorcelant et d’une rare puissance romanesque.

Bien qu’inspiré en partie de faits historiques, ce roman est composé de personnages, de lieux et d’événements fictifs.

Mon avis : Coup de cœur ! Tout comme pour sa trilogie .
Mais comme j’aime ce personnage d’Amaia…
L’ambiance dans laquelle se déroule le roman rajoute une couche anxiogène au déroulement de l’enquête… la lutte contre le temps à la fois pour arrêter le tueur en série et à la fois la peur de l’ouragan Katrina qui fonce sur la ville. En plus de l’enquête qui est menée de main de maître, il y a les rapports humains, les personnages avec leurs secrets et leur part d’ombre, une ambiance en clair-obscur, des non-dits et des rivalités, des intuitions, de l’émotionnel…
Ce roman parle de légendes, de sectes, de crimes rituels, de mythologie basque, de vaudou, de guérisseurs, de sorciers, de sorcières, de magie.
Ce roman touche au passé des personnages, à la transmission, aux origines, aux peurs et aux blessures de l’enfance. En plus d’etre un thriller psycho-psychologique, c’est une investigation poussée, dans des circonstances difficiles et des conditions extrêmes.
Et pour qui a lu la trilogie (ce n’est pas nécessaire) , on retrouve par moments atmosphère si particulière de Batzan. Même s’il est difficile de comparer Louisiane et Pays basque, les croyances se rejoignent, les mythologies aussi.

 

Extraits :

La tornade grondait en avançant dans le pré désert comme une silhouette surgie des ténèbres, enveloppée dans une cape de poussière, de brouillard et de destruction.

Mais attention : le présupposé est le plus grand ennemi de l’enquêteur, et l’évidence montre que tous les tueurs en série ne sont pas compulsifs et désorganisés.

La victimologie, continua Dupree presque à l’unisson, la science basée sur l’étude du profil des victimes, mais aussi des victimes supposées, des personnes disparues, des fugitifs, de tous ceux qui s’évanouissent dans la nature sans laisser de trace. La victimologie dans ce cas devient une science abstraite, et l’intuition de l’enquêteur sera fondamentale pour déterminer s’il s’agit réellement d’une victime.

On trouve facilement des théories et des preuves qui confirment ce que nous croyons, en évitant celles qui le contredisent. C’est pareil avec le consensus et la tendance à penser que la théorie que nous défendons a plus de valeur parce qu’elle est plus répandue, ou plus commune parmi ceux qui nous entourent, sans préciser qui sont exactement « tous ceux qui pensent comme ça ».

Le sourire d’Emerson s’évanouit, remplacé par l’incision au scalpel qu’il affichait quand il était frustré.

Inquisiteur, il fouillait en elle avec la passion d’un égyptologue devant un hiéroglyphe.

— Il y a deux catégories d’êtres qui ne quitteront jamais La Nouvelle-Orléans : les musiciens et les fantômes.

Avec elle, il avait toujours l’impression d’être en présence d’un tigre. Son calme apparent et délicat n’était que le beau pelage d’un prédateur hostile.

La seule façon d’échapper à la mort c’est d’essayer de ne pas mourir aujourd’hui, et on n’y arrive pas toujours.

Il aura vécu un jour de plus. Un jour de plus de possibilités, de rencontres, d’apprentissage, de survie. Quand on survit, on apprend à vivre. On n’a plus le choix quand on est morte.

Je rêve des morts. Ils me poursuivent, cherchant à me dire quelque chose que j’ai beaucoup de mal à comprendre. Les cauchemars s’arrêtent seulement quand je réussis à distinguer leurs paroles.

Le lieu où on naît et passe son enfance nous marque de manière indélébile, laisse en nous une trace composée de tout ce que nous avons vu, appris, observé ou écouté.

Katrina causerait des dégâts dévastateurs sur toute la côte du golfe, et les prévisions pour La Nouvelle-Orléans n’étaient pas très optimistes. La ville était située deux mètres sous le niveau de la mer, avec le lac Pontchartrain au nord et l’abondant Mississippi qui la traversait tel un serpent, et la menace d’un raz-de-marée cyclonique commençait à apparaître soudain comme une réalité inévitable.

On dit que les villes n’ont pas de mémoire et que leurs habitants oublient vite pour vivre vite.

Il existe de nombreux types de sourires, faux pour la plupart : celui qu’on adopte pour une photo ; celui de circonstance, quand quelqu’un fait une blague déplacée ; gêné, face à des commentaires regrettables ; séducteur, qui se dessine sur le visage quand quelqu’un nous attire sexuellement ; sarcastique, caractéristique des politiques qui sourient quand une question ne leur plaît pas du tout. Puis il y a le sourire authentique, le sourire de bonheur.

Il y a cinq types d’experts indispensables pour avoir une parfaite analyse de scène de crime. À savoir : un photographe, un expert planimétrique, un spécialiste des empreintes, un anatomopathologiste et un chimiste

elle savait que lorsqu’on avait approché un tueur en série, plus rien n’était comme avant. La façon dont on voyait les autres, la façon dont on se voyait soi-même, tout changeait. Parce que admettre qu’un autre individu avait été capable de faire ça, c’était assumer la partie la plus sombre de la nature humaine et, par conséquent, de sa propre nature.

Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas tant la logique que la simple satisfaction personnelle qui justifie le passage à l’acte d’un psychopathe.

Elle n’aimait pas l’obscurité. Et encore moins ajoutée au silence, car dans le silence on entend tout.

il a toujours une longueur d’avance, et même un jour d’avance ; c’est sans doute pour cela qu’il a toujours l’air préoccupé, comme Atlas portant le monde sur ses épaules.

La loyauté, ce n’est pas tout se dire, c’est se dire l’essentiel.

Amaia pouvait percevoir le vent, l’extérieur envahissant l’intérieur, la force destructrice de la nature, et la nature humaine plus dévastatrice encore.

Après le passage de Betsy, ils ont construit les barrages avec des matériaux d’occasion. Des matériaux médiocres pour Américains d’occasion.

On ne subit pas tout ça, on ne survit pas à la tempête pour permettre à un assassin d’en finir avec la vie qu’on a acquise en luttant et en résistant. Ceux qui ont survécu sont les enfants de la tempête. Si elle ne les a pas tués, personne n’a le droit de le faire. On ne peut pas laisser le Compositeur transformer le combat pour la survie de ces familles en son parc d’attractions d’Armageddon.

Quand les consignes n’avaient plus de sens, quand l’épuisement s’emparait des corps et des âmes, quand continuer ou non faisait débat : il n’existait aucune force aussi rédemptrice que le contact humain.

— L’Inquisition, c’était l’équivalent des tribunaux des procès de Salem, qui jugeaient les sorcières, non ?

La lumière projetée sur le sol dessinait sur son visage des ombres sinistres qui, il en eut la certitude, étaient le reflet de l’obscurité qui peuplait ses rêves.

— Amaia veut dire « la fin ». On raconte aussi que ça vient de la première mère. La mère de tout le monde. Le début et la fin.

Depuis longtemps, toute cette région des deux côtés des Pyrénées a été considérée comme magique. Les sorcières de Zugarramurdi, les procès de l’Inquisition…

Tout ce folklore autour du vaudou a une part de vrai, c’est la religion des esprits. C’est précisément ce que signifie le mot « vaudou » : l’esprit qui parle. Et quand on parle aux esprits, on peut choisir de parler aux gentils ou aux méchants.

Combien de fois notre silence nous rend-il complices ? songea-t-elle. Alors que nous voyons tous les signes de l’horreur et ne bougeons pas le petit doigt.

Elle s’assit, en défit les nœuds et sortit les cartes. Un jeu de tarot de Marseille qu’elle contempla avec une certaine appréhension, comme un médicament nécessaire et amer, accablée à l’avance par ce qu’elle allait faire.

Des terroristes détruisent le World Trade Center et le pays bascule dans le malheur, mais quand une ville entière à forte population noire disparaît sous l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ? Aurait-on trouvé normal que quatre jours après la destruction des tours jumelles l’aide ne soit toujours pas arrivée ?

Mourir en hiver était plus romanesque.

Parfois, être gentil ne suffisait pas : il fallait être juste. Et son frère n’avait pas eu le courage de l’être. Il avait laissé sa bonté excessive s’étendre comme une infection, faisant de lui un lâche, en partie hypocrite, qui avait esquivé tout affrontement sous prétexte de préserver une fausse stabilité.

 Mythologie – légendes :
Gaueko : « Elle regarda à nouveau dehors et réalisa qu’elle n’avait pas pensé aux gaueko depuis l’enfance. Les ombres. Qui errent sans foyer, cherchant dans votre âme un coin d’obscurité où vivre. »

« — Gaueko, les esprits de la nuit, dit-elle. Dans la région d’où je viens, il existe de nombreuses légendes sur toutes sortes de créatures magiques, celles de la lumière comme celles de la nuit. On trouve parmi les gaueko tous les êtres de la nuit, ceux qui errent dans les montagnes, ceux qui hantent les villes, ceux qui sont pleins de mort et de solitude et cherchent une part d’ombre où se glisser dans un corps humain. Selon les légendes, ils sont libres d’aller où ils veulent jusqu’à l’aube, mais doivent se cacher dans les grottes et sous les pierres dès qu’arrive le jour. C’est une croyance tellement répandue que beaucoup de maisons arborent sur leur porte une fleur de chardon, la eguzki-lore*, ou fleur du soleil. On raconte que la déesse Mari l’a offerte aux hommes afin de protéger leurs foyers des gaueko car elle ressemble au soleil. »

Basajaun : Seigneur de la forêt. Créature anthropomorphique de la mythologie basco-navarraise, généralement bienveillante, qui protège l’équilibre entre l’homme et la nature. Surnom de l’assassin dans Le Gardien invisible, tome 1 de la trilogie du Baztán.

Bazagrá, ou Bazagreá : Nom d’un démon du vaudou, dérivé de Baal et de Belzébuth. Il apparaît déjà en Mésopotamie et, comme Baal, dans l’Ancien Testament. Mot utilisé pour lancer une malédiction.

La déesse Mari (Basque) : Mari, Anbotoko Mari, Anbotoko Dama (la dame d’Anboto) ou Murumendiko Dama (dame de Murumendi) est une Déesse mère dans la mythologie des Basques, une divinité féminine, qui représente la « nature ». Parmi les primitives Déesse-mères européennes, Mari est la seule qui soit arrivée jusqu’à nous. Elle a été mariée au dieu Sugaar (également connu sous le nom de Sugoi ou Majue). Elle est connue sous plusieurs appellations comme Maya, Lezekoandrea et Loana-gorri.
Mari vit sous terre, normalement dans une caverne en haute montagne, où elle et son époux Sugaar se rencontrent chaque vendredi (la nuit de l’Akelarre ou le rendez-vous des sorcières) pour concevoir des orages qui apporteront la fertilité (et parfois le déshonneur) à la terre et au peuple. On dit que Mari est servie par une cour de sorginak (sorcières), et elle s’alimente de la négation et de l’affirmation (c’est-à-dire de la fausseté).

« Le Baron Samedi, un des Lwas du vaudou. Le Lwa de la mort. Un esprit maléfique, à qui on attribue les pires méfaits, et que vous avez dû voir représenté un million de fois pendant le carnaval ou Halloween. Un squelette avec les orbites enfoncées, un haut-de-forme et un cigare à la bouche. Parfois on le représente vêtu d’un smoking ou d’un frac… Je suis sûr que tous les enfants sont capables de le reconnaître. C’est une figure de notre folklore, au même titre que les lutins verts en Irlande. »

Le rougarou, ou loup-garou, est un monstre des bayous, l’équivalent de l’homme-loup. Les lutins sont encore plus difficiles à expliquer : ce sont des esprits espiègles, suppose-t-on, comme des farfadets, et il y a aussi les fifolets, les lumières du bayou, des feux follets probablement mais, selon la culture cajun, des esprits malins, fantômes des morts entraînés par le courant vers les bayous.

Le vaudou est la religion majoritaire dans certains pays, le Togo ou le Bénin par exemple, et la religion officielle en Haïti dans sa version caribéenne. Ici, il s’est développé à partir des croyances des esclaves venus d’Afrique et de la fusion avec le christianisme et ses dérivés, santería, candomblé, umbanda.

Dans le culte vaudou, il existe un démon appelé Kalfou, qui monte sur la poitrine de sa victime quand elle dort et la paralyse, la rendant consciente de son cauchemar, mais incapable de s’en libérer.

Vocabulaire :
Praxinoscope de Reynaud : Le praxinoscope fut inventé au Puy-en-Velay par Émile Reynaud en 1876. Breveté en 1877, il s’agissait d’un jouet optique donnant l’illusion du mouvement et fonctionnant sur le principe de la compensation optique.
Takotsubo : Également appelé cardiomyopathie liée au stress, syndrome du ballonnement apical ou syndrome du cœur brisé, le syndrome de Takotsubo est une cardiomyopathie transitoire qui a d’abord été décrite au Japon : elle dure en général deux semaines, en l’absence de mortalité ou gravité à la phase aiguë.
Ce terme japonais désigne un vase de pêche traditionnelle servant à piéger les poulpes.
le syndrome de Cotard : Décrit en 1880 par le neurologue français Jules Cotard, le syndrome de Cotard est une maladie psychiatrique rare se présentant sous la forme d’un syndrome délirant consistant à nier sa propre existence. Il est observé au cours de syndromes mélancoliques, qui sont eux-mêmes classés parmi les symptômes dépressifs graves.

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