Seksik, Laurent « Franz Kafka ne veut pas mourir » (RLH2023) 352 pages

Seksik, Laurent « Franz Kafka ne veut pas mourir » (RLH2023) 352 pages

Auteur:
né en 1962 à Nice, est un médecin et écrivain français, romancier, dramaturge, et scénariste de bande dessinée.
Les Mauvaises Pensées, 1999 – La Folle Histoire, 2004 – La Consultation, 2006 – Albert Einstein (biographie), 2008 – Les Derniers Jours de Stefan Zweig, 2010 – La Légende des fils, 2011 – Le Cas Eduard Einstein, 2013- L’Exercice de la médecine, 2015 – Romain Gary s’en va-t-en guerre, 2017 – Un fils obéissant, 2018 – La Folle Épopée de Victor Samson, 2020 – Franz Kafka ne veut pas mourir, 2023
BD:
– Les Derniers Jours de Stefan Zweig (BD, dessins de Guillaume Sorel, Casterman, 2012
– Modigliani : prince de la bohème (BD), scénario Laurent Seksik, dessin Fabrice Le Hénanff, 2014
– Série BD Chaplin, scénario et dialogues de Laurent Seksik ; mise en scène, dessins et couleurs de David François, Rue de Sèvres — prévue en 3 tomes : Chaplin en Amérique, 2019

Gallimard -Collection Blanche – 12.01.2023 – 352 pages

Résumé:
« Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin. » Telles sont les dernières paroles de Franz Kafka qui implore une autre dose de morphine à Robert Klopstock, son ami étudiant en médecine. À son chevet, sa compagne Dora Diamant veille sur lui. Tandis qu’Ottla, la sœur chérie, attend à Prague des nouvelles.
Robert, Dora, Ottla : ce roman raconte l’histoire de ces trois personnages clés de la vie de Kafka et entrecroise leurs destins, marqués au-delà de l’imaginable par sa présence et son œuvre. Robert deviendra, à New York, un éminent chirurgien spécialiste de la tuberculose. Dora survivra à la persécution nazie puis stalinienne, en portant jusqu’à nous la mémoire de Kafka. Ottla, elle, accompagnera dans les chambres à gaz un groupe d’enfants juifs après avoir célébré, au camp de Theresienstadt, le soixantième anniversaire de la naissance de son frère.
À travers ce roman dans le siècle, Laurent Seksik explore de manière inédite l’œuvre et la vie de Franz Kafka. L’auteur des Derniers jours de Stefan Zweig et du Cas Eduard Einstein mêle à nouveau, avec émotion et érudition, la grande histoire et le tragique de vies façonnées par l’empreinte d’un géant.

Mon avis: 

Enorme coup de coeur.
J’avais beaucoup aimé « Le Cas Eduard Einstein » du même auteur et c’est avec interêt que j’ai découvert la vie de l’immense Kafka et des personnes qui l’ont entouré, aimé et encensé. Le livre se situe entre la biographie et le roman et dès les premières pages, j’ai avancé main dans la main avec Klopstock, qui deviendra son ami fidèle. Comme Klopstock, j’ai eu envie de tourner les talons au moment même où j’ai fait la connaissance de la bande de demeurés qui occupait le Sanatorium et je me suis raccrochée à l’idée de voir Kafka pour ne pas tourner les talons! Mais moi, contrairement à Klopstock, j’avais déjà entendu parler et lu Kafka.
La vie de Franz Kafka et la relation entre lui et son père est totalement destructrice. Kafka ne s’en remettra jamais et son père non plus d’ailleurs. Mais comment concilier brute épaisse et sensibilité ? D’un coté la force brute et obtuse, de l’autre la délicatesse et la littérature.
Mais la famille de Franz n’est pas uniquement composée du père; il  a la mère, absente et terrorisée par le père, et trois soeurs. Mais le père est-t-il aussi brut de coffrage qu’il en a l’air? Il faut comprendre qu’il est parti de moins que rien et qu’il est devenu quelque chose et que la trajectoire de son fils ne correspond pas à ses attentes et qu’il n’admet pas que son fils brillant se contente de vivoter dans les assurances et d’écrire? 

Dans la première partie du livre on suit le développement de la maladie et les derniers jours de Kafka. On découvre aussi que les sommités médicales de l’époque n’ont aucune empathie et vont le maltraiter plutôt que de l’aider. Heureusement que les amis de Kafka sont là pour le transporter à Kierling pour qu’il puisse mourir dans un endroit agréable et non abandonné dans un mouroir. La force de l’amitié et celle de l’amour. On y découvre aussi à quel point sa soeur et son amour sont et resteront toujours marquées par sa présence/son absence dans leur vie et ce qu’elles feront pour sauver ses écrits de la destruction et de la disparition. La première chose fut de ne pas suivre les souhaits de Kafka… puis de les soustraire à l’autodafé nazi.

La deuxième partie du livre se déroule  10 ans plus tard et relatent les événements qui impactent la vie des trois personnages importants pour l’auteur: Robert Klopstock, Dora son dernier amour et Ottla sa soeur. Que sont devenus les proches de Kafka? Car ces trois personnages ne sont pas que des « accompagnateurs » du Maitre! Ils ont une vie bien à eux! Et une vie de roman et d’aventure!
Il convient de préciser que ce roman se fonde sur des faits avérés et parle de personnages qui ont réellement existé. Comme son livre sur Einstein (et celui sur Stefan Zweig que je n’ai pas encore lu) il nous plonge dans la période du nazisme et la destruction des juifs et de la culture juive. Enfin dans le cas de Kafka il était déjà mort mais il a fallu sauver son oeuvre et la pauvre Dora, sa dernière compagne sera poursuivie tout au long de sa vie par sa relation avec Kafka, qui n’a pourtant duré qu’une année. Le destin de Robert Klopstock sera nettement plus souriant : il deviendra un chirurgien éminemment reconnu mais ils ont le malheur d’être juifs et/ou de détenir des écrits de Kafka. Et c’est pas bon en 1933 … Quand à sa soeur, elle sera déportée et trouvera la mort dans les camps…
Ce qui est aussi très intéressant est l’analyse de l’oeuvre de Kafka et son rapport à l’inachevé. Et bien entendu le récit de l’invasion de l’Europe par les troupes d’Hitler…
Et aussi, il y a un autre personnage : Prague.
Mais je n’ai qu’un conseil à vous donner : lisez ce livre magnifique. Et ensuite, je pense que, comme moi, vous aurez envie de vous replonger dans les écrits de Kafka…

Extraits: (Difficile de choisir !!!)

Peut-être cet homme serait-il sa planche de salut ici ? Sinon, il partirait et regagnerait Budapest. Plutôt mourir du bacille que de crever d’ennui !

— Vous n’avez pas besoin de grand-chose parce que la littérature vous donne une raison de vivre…
— La littérature me fait vivre, c’est exact. Mais il serait plus juste de dire qu’elle me fait vivre une vie obscure au-dessus du néant. Trop occupé à écrire, il me semble ne pas encore avoir vécu. C’est comme si toute ma vie, j’avais fait le mort en écrivant. Et maintenant je vais peut-être vraiment mourir… Écrire est ma seule possibilité d’existence. J’ai besoin pour cela d’isolement, non pas comme un ermite mais comme un mort. Écrire en ce sens est une mort, et de même qu’on ne tirera pas un mort de sa tombe, on ne pourrait la nuit me retirer de ma table de travail…

Ou bien, il n’y a nulle âme qui tienne, rien avant, rien après, la vie est une gare immense et désolée où se croisent des hommes mus par des espoirs insensés, qui ne font qu’attendre des trains qui ne viendront jamais. Rien n’accompagne, rien ne précède, rien ne suit le murmure de nos âmes tourmentées, nos amours et nos peines, nul n’éclairera jamais les mystères de nos vies, notre insolent désir et nos mémoires hantées, nul n’exauce jamais nos prières, nul ne peut racheter nos fautes. Tu es poussière, tu retourneras à la poussière.

L’encre qui a servi à écrire ces mots a baigné dans l’âme de son frère et infusé dans sa souffrance et trempé dans sa peine. Aucune douleur au monde ne la bouleverse plus que cette douleur-là, rien ne la rapproche plus de son frère que ce monceau de feuilles.

Elle se demande si les innombrables lettres de son frère comptaient un autre destinataire que lui-même. N’étaient-elles pas de simples monologues qu’il aurait pu tout aussi bien ne jamais envoyer ? Elle aimait les lettres qu’il lui adressait autant que les histoires qu’il écrivait et dont il lui faisait souvent la lecture. Les récits inventaient des personnages imaginaires, les lettres inventaient des personnages réels.

Dans les lettres, la femme devenait un être de papier. C’était l’inverse du processus romanesque – quand un être imaginaire prend vie sous la plume et la fiction des airs de réalité. Franz y transformait le réel en fiction.

Mais on ne remonte pas le temps. On ne rattrape pas les erreurs du passé. C’est le vide autour d’elle dans le silence du jour. 

D’aucuns souffrent d’une hypertrophie de la glande thyroïdienne, d’autres d’une hypertrophie du moi, nous, Franz et lui, c’était l’imaginaire, un imaginaire trop développé avait envahi une partie de leur lobe, le lobe temporal, celui des émotions, c’est cela, une vraie tumeur de l’imaginaire, cette saloperie d’imaginaire qui nous porte au désespoir via l’infini. Il fallait combattre cette hypertrophie, en appeler aux frontières intérieures, mettre son cerveau au repos, se soumettre à la nécessité du réel, cesser tout bonnement d’imaginer, cela ne devait pas être si compliqué, le jeu en valait la chandelle, mettre un frein à son désespoir, ne plus plonger dans les abîmes, devenir un homme libre, contraindre son imaginaire pour restreindre le domaine des possibles, clamer : À Dieu seul tout est possible !

Peut-être d’ailleurs pourrait-on dire qu’aucun texte n’est jamais achevé, que l’achèvement d’un roman n’a aucun sens. Un roman possède une infinité de fins possibles, pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Toute fin est imparfaite, et toute fin est illusoire. Achever un roman c’est en finir avec l’espoir vital du roman abouti et parfait qui vous a fait l’entreprendre. En finir avec l’espoir d’une vie parfaite. Alors peut-être que si, pour chaque écrivain, la fin d’un roman sonne simplement la fin des illusions, la fin du rêve du roman parfait, peut-être que pour Kafka, l’écrivain absolu, achever un roman c’était en finir avec soi-même. Finir un roman, c’était peut-être se donner la mort.

Kafka: Franz Kafka est un écrivain austro-hongrois de langue allemande et de religion juive, né le 3 juillet 1883 à Prague et mort le 3 juin 1924 à Kierling. Il est considéré comme l’un des écrivains majeurs du XXème  siècle.
Franz Kafka a deux frères, Georg et Heinrich, morts en bas âge, en 1885 et 1887, et trois sœurs plus jeunes, Gabriele (Elli) (de) (1889-1942), Valerie (Valli) (de) (1890-1942) et Ottilie (Ottla) (1892-1943), qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, sont déportées au ghetto de Łódź.

 

One Reply to “Seksik, Laurent « Franz Kafka ne veut pas mourir » (RLH2023) 352 pages”

  1. J’avais vu un doc qui racontait comment Kafka avait confié ses écrits à un ami en lui demandant de les détruire. Chose qu’il n’avait pas pu faire.
    Ma jeunesse aurait changé, car les romans de Kafka, (en particulier Le Procès et La Métamorphose), ont marqué les esprits des jeunes de ma génération.
    Mais une question se pose : s’il avait tellement tenu à les détruire, pourquoi confier ce soin à un autre ? J’y vois une façon de déléguer ce soin à un autre avec l’espoir inavoué qu’il ne le fera pas.

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