Vann, David « Un poisson sur la lune » (2019) 314 pages

Vann, David « Un poisson sur la lune » (2019) 314 pages

Auteur : David Vann est né né le 19 octobre 1966 sur l’île Adak, en Alaska, et y a passé une partie de son enfance avant de s’installer en Californie avec sa mère et sa sœur. Il a travaillé à l’écriture d’un premier roman pendant dix ans avant de rédiger en dix-sept jours, lors d’un voyage en mer, le livre qui deviendra Sukkwan Island. Pendant douze ans, il cherche sans succès à se faire publier aux États-Unis : aucun agent n’accepte de soumettre le manuscrit, jugé trop noir, à un éditeur. Ses difficultés à faire publier son livre le conduisent vers la mer : il gagnera sa vie en naviguant pendant plusieurs années dans les Caraïbes et en Méditerranée.

Après avoir traversé les États-Unis en char à voile et parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il échoue lors de sa tentative de tour du monde en solitaire sur un trimaran qu’il a dessiné et construit lui-même. En 2005, il publie A mile down, récit de son propre naufrage dans les Caraïbes lors de son voyage de noces quelques années plus tôt. Ce livre fait partie de la liste des best-sellers du Washington Post et du Los Angeles Times. Ce premier succès lui permet de gagner partiellement sa vie grâce à sa plume et il commence à enseigner. David Vann propose alors Sukkwan Island à un concours de nouvelles qu’il remporte et, en guise de prix, voit son livre publié en 2008 aux Presses de l’Université du Massachusetts. L’ouvrage est tiré à 800 exemplaires puis réimprimé à la suite de la parution d’une excellente critique dans le New York Times. Au total, ce sont pourtant moins de 3 000 exemplaires de cette édition qui seront distribués sur le marché américain.

Publié en France en janvier 2010, Sukkwan Island remporte immédiatement un immense succès. Il remporte le prix Médicis étranger et s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Porté par son succès français, David Vann est aujourd’hui traduit en dix-huit langues dans plus de soixante pays.
David Vann est l’auteur de Sukkwan Island , Désolations, Impurs, Goat Mountain, Dernier jour sur terre,  Aquarium, L’Obscure clarté de l’air (2017), Un poisson sur la lune (2019), Le Bleu au-delà (Nouvelles 2020), Komodo (2021). Il partage aujourd’hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l’Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.

Gallmeister (Americana) – 07.02.2019 – 286 pages / Totem – 04.03.2021 – 314 pages  – Laura Derajinski (Traductrice)

Résumé :
Sur le point de commettre l’irréparable, James Vann quitte l’Alaska et part retrouver sa famille en Californie – ses parents, son frère, son ex-femme et ses enfants. Chacun essaie de le ramener à la raison, révélant ainsi ses propres angoisses et faiblesses. Mais c’est James qui devra seul prendre sa décision, guidé par des émotions terriblement humaines. La plume virtuose de David Vann transforme une expérience familiale douloureuse et fondatrice en une confession spectaculaire sur ce qui nous fait tenir à la vie.

Mon avis: 

David Vann a grandi dans l’Amérique de la culture de la chasse et de la pêche, dans celle – il le dit lui même –  où l’armée apprend aux jeunes à tuer sans états d’âme. Son père s’est suicidé avec un 44 Magnum et il a hérité de sa collection d’armes. Ce livre est le reflet des derniers jours de son père, et une fois encore Vann nous offre une tragédie dans laquelle tout est lié émotionnellement et psychologiquement. Les scènes sont intenses mais la violence est dirigée non contre les autres mais contre lui-même par le protagoniste principal, le père. Le sentiment de culpabilité est très présent, et le leitmotiv constant du père qui n’est pas être à la hauteur, qui a raté et gâché sa vie. Un livre sur la dépression, l’échec, la remise en question de la vie, des choix de vie, le suicide…
Comme dans ses romans précédents, Vann ne fait intervenir que peu de personnages, même si il y en a davantage que dans Impurs ou Goat Mountain.
David Vann avait 13 ans quand son père s’est suicidé. Il avait refusé de quitter sa mère pour aller vivre un an avec son père ; dans son enfance il pêchait ou chassait avec lui plusieurs fois par semaine. Toute cette ambiance est évoquée dans ce roman, avec en prime le thème de la violence, les désordres mentaux, le suicide, l’échec, le sexe, l’auto-apitoiement, le désespoir, le manque de confiance en soi et en les autres, la nostalgie, le regret, la perte de l’envie de vivre, la souffrance

Et il convient de ne surtout pas oublier le rapport à la nature: la mer, les vagues , les arbres, une très grande importance accordée aux descriptions, aux paysages, à la nature.
Comme toujours un excellent Vann à ne pas lire quand on a pas le moral!

Extraits: 

Les turbulences se confondent avec les mouvements de l’avion, semblent naître de l’intérieur, comme si, d’une secousse, l’aile tentait de se débarrasser de quelque chose, mais c’est un infime mouvement dans la plus énorme des rivières, un courant irrésistible. 

La dépression, les creux. C’est un peu comme quand notre bateau était retenu, et à mesure que tout s’élève autour de toi, la pression ne fait qu’augmenter. C’est un peu comme ça. La description n’est pas parfaite, mais c’est quelque chose que tu as déjà connu. Tu t’en souviens ?
— Je m’en souviens. Mais un sentiment à l’intérieur de soi, ce n’est pas comme ça.
— Oh, c’est bien pire. Bien plus fort. Une vague de dix mètres, à côté, ce n’est rien. 

Une des branches généalogiques devait remonter à l’âge de pierre, aux cueilleurs et aux chasseurs, si récents par ici, une bulle d’histoire. Vivant à l’autre bout du pays, sur la côte Est en Virginie, mais une vie similaire, à pêcher et à chasser, à cueillir les plantes endémiques. Pas de psy, pas de voiture ni de routes, un rite de passage à chaque étape de la vie, et toujours un sentiment d’appartenance. Aurait-il été suicidaire à l’époque, ou est-ce seulement ici et maintenant que son équation se résout ainsi ? Peut-on penser au suicide quand on doit se préoccuper chaque jour de trouver à manger ?

S’il croise des gens dans la rue, des gens qu’il n’a jamais rencontrés, peuvent-ils deviner qu’il est plein de poison ? C’est le problème, avec les humains. Il n’y a pas d’indice. Pas d’avertissement. 

Il ne veut pas songer à ce qu’il a fait, à qui il est, à tout ce que cela signifie. Il ne veut plus aucune responsabilité, plus aucune attache, plus aucune conséquence, plus aucune sensation à l’exception des notions élémentaires qu’apportent la vue et l’odorat et l’ouïe dans un espace vierge.

— J’ai déjà l’impression de regarder en arrière. C’est peut-être ça, la vie après la mort, rien qu’une nostalgie pure, ni bien ni mal. Ni paradis ni enfer, rien que les tiraillements de ce qui a été et qui n’est plus.

— Les arbres veulent m’aider, eux aussi. Ils font de leur mieux. Ils ne peuvent pas parler, ils n’ont pas de bras et ne peuvent pas se déplacer parce qu’ils n’ont pas de jambes. Mais ils font ce qu’ils peuvent.

D’abord la nostalgisphère, la plus dense de toutes, où il est étendu en cet instant, une région au poids immense dans laquelle le temps peut ralentir voire même s’immobiliser, où l’écho des sons, les odeurs et les sentiments peuvent se déplacer à l’infini. […] La confusiosphère ou la foutusphère, tout ce qu’on peut savoir à partir de maintenant, avec pour seul antidote, la mort.

Rêvant de s’échapper, sans comprendre encore qu’on ne peut jamais s’échapper tant qu’on respire encore.

Comment survivre assez longtemps pour atteindre ce moment où la vie redevient quelque chose de désirable ?

On doit juste remonter la pente et la colline recule toujours, et on découvre qu’il y a encore d’autres collines derrière.

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