Devi, Ananda « Le sari vert » (2009) 255 pages
Autrice : Ananda Devi, née le 23 mars 1957 à Trois Boutiques dans le district de Grand Port, est une femme de lettres mauricienne. Ethnologue et traductrice, autrice reconnue, couronnée par le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises en 2014, elle a publié des recueils de poèmes, des nouvelles et des romans.
Romans:
Solstices (1977) – Le Poids des êtres (1987) – Rue la Poudrière (1988) – Le Voile de Draupadi, (1993) – La Fin des pierres et des âges (1993) – L’Arbre-fouet (1997- Moi, l’interdite. (2000) – Les Chemins du long désir (2001) – Pagli (2001) – Soupir (2002) – Le Long Désir (2003) – La Vie de Joséphin le Fou ( 2003) – Eve de ses décombres, Gallimard, 2006 (Prix des cinq continents de la francophonie, Prix RFO du livre) – Indian Tango 2007 – Le sari vert 2009 – Les hommes qui me parlent (2011) – Les jours vivants (2013) – L’ambassadeur triste ( 2015) – manger l’autre (2018) – Le Rire des déesses, Grasset, 2021 (Prix Femina des lycéens 2021 – Grand prix du roman métis 2022) -Deux malles et une marmite (2021) – Sylvia P. (2022) Le jour des caméléons (2023)
Et plusieurs recueils de poèmes
Gallimard – La Blanche -03.09. 2009 – 214 pages / Folio – 27.01.2011 – 255 pages
Résumé :
Curepipe – Ile Maurice
« Celui qu’on dit monstre est l’expression la plus achevée de l’espèce. Celui que l’on dit monstre est terrifiant de beauté plutôt que d’être terrifiant tout court parce qu’il décèle avec une finesse inhumaine les failles des autres et les élargit et les aggrave, et il devient ainsi cet idéal de sombre masculinité que les mythologies prêtent aux dieux et aux démons. Quelle merveilleuse sensation que de plier une créature à sa volonté ! » Dans une maison sur l’île Maurice, un vieux médecin à l’agonie est veillé par sa fille et par sa petite-fille. Entre elles et lui se tisse un dialogue d’une violence extrême, où affleurent progressivement des éléments du passé, des souvenirs, des reproches, et surtout la figure mystérieuse de la mère de Kitty, l’épouse du « Dokter-Dieu », qui a disparu dans des circonstances terribles. Elles ne le laisseront pas partir en paix.
Mon avis :
Quand j’ai commencé à lire ce livre, je me suis demandé si j’allais poursuivre… que de haine et de violence… Heureusement que j’ai continué un livre impressionnant, révoltant, psychologique, qui remue, qui pose des questions, axé sur la condition féminine. Quelle superbe écriture et manière de présenter ce vieil homme au seuil de la mort, malade, et seul avec sa fille et sa petite fille, dans une ambiance délétère et malsaine au plus haut point.
Un homme dans le sens de mâle ; ni mari, ni père, ni grand-père… un homme estimé comme Dokter-Dieu par les habitants et ses patients mais détestable dans son cercle familial. Il est tombé amoureux d’une petite princesse de 15 ans, toute jolie, de classe nettement supérieure, belle mais qui a toujours été choyée et qui n’es pas préparée à une vie de femme mariée qui doit assurer le quotidien ( et qui est juste incapable de le faire). Le couple va durer 5 ans, avec deux grossesses avant que la femme ne meure… et que sa fille et sa petite fille.
On va suivre l’affrontement entre des diablesses, des démonnes, des sorcières et un monstre…
Haine et amour, secrets du passé, souffrance, douleur, violence, orgueil, deux conceptions de la vie qui s’affrontent, les mentalités qui changent… la violence du père et des enfants, des brutalités qui s’entrechoquent…
Qui était sa femme? Que lui est-il arrivé?
Et une ambiance tellement oppressante… Le vieux va-t-il mourir seul?
La maltraitance a changé de camps, la violence aussi, mais l’homme ne va pas plier… Le corps a lâché mais l’esprit et les mots sont là…
Le fil rouge de l’histoire est un sari vert… sorte de longue langue d’étoffe verte par moments … Un sari qui lie les générations… des générations liées par la haine…
Troublant, percutant, mais tellement bien rendu ! A lire si vous avez le coeur bien accroché ! Charge contre les femmes, livre très impressionnant et qui reste dans la mémoire…
Extraits:
Elle a finalement bien choisi sa ville : Curepipe sied bien à sa nature de fosse septique.
Mais défaire le passé ? Croit-elle que cela soit possible ? Mais ma pauvre fille, le passé est déjà fait, puisqu’il est mort. Il ne peut être défait, puisque les jours sont clos, les souvenirs rigidifiés, la mémoire pétrifiée dans ses formes terrifiantes. Comment peut-on croire que quoi que ce soit puisse être changé ? Ou vouloir y changer quelque chose ?
Je crois qu’elle chante une berceuse, mais je n’en reconnais ni les paroles ni la mélodie. Ça ne ressemble à rien, une voix d’outre-tombe, sauf, peut-être, à des étoiles fracassées.
Je ne pouvais frapper le bébé pour le faire taire, alors je frappais la mère. C’était normal. Il n’y avait pas à en rougir. Ce n’est que plus tard que les hommes sont devenus des mauviettes et que les femmes ont eu des droits.
Aujourd’hui encore, en y pensant, j’éprouve cette intime consolation du geste. Personne n’a su expliquer cela, mais c’est la vérité : la violence est une grâce.
Rues moribondes de Port Louis, crasseuses, lézardées, longées de vies si pitoyables que je me demandais à quoi cela servait de sauver tant de gens inutiles. Et pourtant, j’y allais, parce que c’était mon devoir et ma raison d’être. J’y allais. Je laissais les murs, les trous, les prostituées, je me sentais comme le seul ange parmi ces ombres démoniaques, je volais au-dessus de la ville au secours des autres.
Je n’en sais rien : ces souvenirs sont si lointains qu’ils pourraient appartenir à quelqu’un d’autre.
Avant, je me tassais sous le sentiment de ne pas appartenir. Après, j’ai compris que ce qui comptait pour les autres, c’était la façade. Alors, je l’ai cultivée ; l’apparence des mots, l’apparence du savoir, l’apparence de la confiance, l’apparence des épaules carrées malgré ma petite taille, l’apparence d’une personnalité et d’une aura d’importance. J’aurais aussi bien pu dire « l’illusion ».
Ces deux femmes qui distillent leurs petites misères en me laissant seul et en me faisant bouffer de la nourriture infâme, elles croient qu’on peut retenir l’océan en étendant les bras, alors que je suis un tsunami dans leur vie : elles ne peuvent rien contre ma parole déferlante. Quelques mots et je les anéantis. Ça, c’est un pouvoir.
Mais un jour, après des siècles à jouer les belles au bois dormant, elles se sont réveillées et se sont dit que ce n’était pas normal. Elles ont appris à dire non : sacrée secousse dans le processus d’évolution des femelles !
Plus de sommeil, la nuit. Le jour est rassurant, on n’a pas peur du jour, mais la nuit on reste là à écouter le silence et c’est là que les choses vont mal parce qu’on a mal à soi, comme dit Malika, mal à la nuit, parce qu’on ne choisit pas les souvenirs qui émergent comme des squelettes de leur magma d’oubli, ces cadavres de souvenirs que l’on croyait depuis longtemps enterrés, les voilà qui ressortent et c’est pour cela qu’il vaut mieux brûler les morts : même enterrés, ils ont la fâcheuse habitude de revenir, de fouiller la terre à l’envers comme dans un film d’horreur pour revoir le ciel et on ne perçoit que trop clairement la fureur de leurs orbites vides, de leurs dents jaunies.
Je suis heureux, heureux, de savoir que personne ne dira jamais de moi que j’ai été un homme gentil, car je n’en ai que faire de la gentillesse, je veux avoir été vivant, c’est tout, un homme vivant, pas gentil, tout sauf gentil !
Raison et douleur. Ces deux mots-là s’accordent-ils vraiment ? Sans raison, pas de douleur. Ou bien souffre-t-on davantage de la déraison ?
On ne peut pas ignorer l’invisible et l’inaudible, on ne le voit pas et on ne l’entend pas, c’est tout à fait différent !
Forcément, il devait lire puisqu’il n’avait rien d’autre à faire ! Il était bibliothécaire ! Entouré de rats ! Ses vêtements froissés ressemblant à des journaux archivés !
Aujourd’hui que tout est fait, que tout est construit, que tout est mis en œuvre pour leur confort, elles viennent s’installer en parasites dans nos rôles. Elles tentent toujours de prouver qu’elles peuvent faire aussi bien que les hommes. Mais ne devraient-elles pas plutôt prouver qu’elles peuvent faire les choses différemment et mieux ?
Ce n’est pas la mort qui l’a annihilée. C’est vous tous, qui n’avez perpétué aucun souvenir d’elle, qui ne l’avez pas recréée pour Kitty, qui n’avez pas assez aimé Kitty pour comprendre qu’elle avait besoin d’images, de rêves reconstruits, d’instants revécus, de couleurs, de parfums, pas juste quelques mots, à peine une dizaine, qui ne signifiaient rien. Elle l’a cherchée dans sa mémoire et n’a rien trouvé. Elle l’a cherchée dans vos mémoires et n’a rien trouvé. Pourquoi ? Qu’y avait-il à cacher ?
Nous cherchons tous à savoir, à percer les secrets, à décoder le passé, à mettre à plat tous ces plis qui nous cachent le visage de ce que nous sommes. Adultes, nous pensons que tout est contenu dans le poing fermé du passé et qu’il suffit d’ouvrir ce poing pour nous résoudre, et que cette résolution nous offrira enfin la possibilité du bonheur.
Celui que l’on dit monstre est terrifiant de beauté plutôt que d’être terrifiant tout court parce qu’il décèle avec une finesse inhumaine les failles des autres et les élargit et les aggrave, et il devient ainsi cet idéal de sombre masculinité que toutes les mythologies prêtent également aux dieux et aux démons. Les mythologies n’ont pas de moralité, elles célèbrent l’absolue hégémonie de la force, la divine attribution d’une nature ciselée avec une précision d’orfèvre pour mieux survivre, pour mieux régner, pour mieux asservir et assujettir, et celui que l’on dit monstre s’élance et plane au-dessus du monde, admiré et haï, jalousé et adoré, et c’est dans cette solitude altière qu’il parvient à trouver d’autres élans et d’autres pouvoirs et à se rendre invulnérable à tous, y compris à ceux qu’il aime.
Mais vous, les femmes, vous vous obstinez à jouer le beau rôle alors que vous êtes les ravageuses. Les glaneuses de souvenirs périmés. Votre envie de fouiller l’envers des choses vous perdra toujours, et toujours, vous recommencerez.
Redevenue belle malgré la vieillesse parce que rhabillée par les souvenirs, par cette mémoire traître et triste qui nous rend chaque instant si douloureux ; la plus grande cruauté de notre état d’humain.
La peur est débilitante au point où rien d’autre ne compte, ni envies, ni espoirs, ni possibilité de rébellion. La peur est l’esclavage ultime, d’où on ne sort que par la mort.
le chant de la mortalité c’est ce qui fait de nous des hommes et non le chant de la vie, le chant de la mortalité exige de nous une si forte compréhension de notre état, de notre sens, de notre finalité que rien d’autre ne peut plus nous nuire
Information:
Le Kali Yuga ou kaliyuga (en écriture devanāgarī :, « âge de Kali » ou « âge de fer »1), est le quatrième et actuel âge de la cosmogonie hindoue, les trois autres étant le Krita Yuga, le Trétâ Yuga (en) et le Dvâpara Yuga. Ces quatre âges correspondent à un Mahayuga.
Les hindous croient que la civilisation humaine dégénère spirituellement au cours du Kali Yuga, qui est dénommé « l’âge noir », car durant cette période les gens sont aussi éloignés que possible des Dieux. L’hindouisme souvent représente symboliquement la morale (dharma) comme un taureau. En Satya Yuga (Kriti yuga), la première étape du développement, le taureau a quatre pattes, mais la morale dans chaque âge est réduite d’un quart. À l’âge de Kali, la morale est réduite à seulement un quart de celle de l’âge d’or, de sorte que le buffle du Dharma n’a qu’une patte.
Le Kali Yuga tire son nom du démon Kali, qui ne doit pas être confondu avec la déesse Kâlî. En effet, alors que le Krita Yuga est censé être l’âge d’or, le Kali Yuga est celui où les êtres souffrent le plus, et où ils sont les plus nombreux à souffrir, et ce faisant, où il est plus facile d’atteindre la Délivrance (Moksha) des réincarnations.