Erdrich, Louise «La sentence» (RLH2023) 448 pages

Erdrich, Louise «La sentence» (RLH2023) 448 pages

Autrice : Louise Erdrich, née le 7 juin 1954 à Little Falls dans le Minnesota, est une écrivaine américaine. Elle est une des figures les plus emblématiques de la jeune littérature indienne et appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne. Elle habite à Minneapolis et est propriétaire d’une petite librairie indépendante. Elle est Ojibwa par sa mère et germano/américaine par son père. Elle rencontre Michael Dorris, un autre auteur de la Renaissance amérindienne, au Dartmouth College, où ils enseignent tous les deux, et ils se marient en 1981.

Distinguée par de multiples récompenses littéraires au fil de sa carrière, dont le National Book Award, le Library of Congress Award et le National Book Critics Circle Award, elle s’est vu attribuer le prix Pulitzer de la fiction 2021 pour son nouveau roman, « Celui qui veille »

Louise Erdrich vit désormais dans le Minnesota avec ses filles et est la propriétaire d’une petite librairie indépendante appelée Birchbark Books, « birchbark » signifiant « écorce de bouleau » en anglais.

Romans : Love Medecine (aussi sous le titre L’Amour sorcier en version tronquée) – Le Pique-nique des orphelins aussi sous le titre La Branche cassée en version tronquée –  La Forêt suspendue – La Couronne perdue – Bingo Palace – L’épouse antilope – Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse – La Chorale des maîtres bouchers – Ce qui a dévoré nos cœurs – La Malédiction des colombes – Le Jeu des ombres – Dans le silence du vent – LaRose – L’Enfant de la prochaine aurore (2021) – Celui qui veille (RLH2022 – PRIX PULITZER 2021) – La sentence (RL2023) 

Albin Michel – collection « Terres d’Amérique » – 06.09.2023– 448 pages – (The Night Watchman) Traductrice: Sarah Gurcel Vermande –

Résumé :
« Quand j’étais en prison, j’ai reçu un dictionnaire. Accompagné d’un petit mot : Voici le livre que j’emporterais sur une île déserte. Des livres, mon ancienne professeure m’en ferait parvenir d’autres, mais elle savait que celui-là s’avérerait d’un recours inépuisable. C’est le terme « sentence » que j’y ai cherché en premier. J’avais reçu la mienne, une impossible condamnation à soixante ans d’emprisonnement, de la bouche d’un juge qui croyait en l’au-delà. »
Après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle, Tookie, une quadragénaire d’origine amérindienne, est embauchée par une petite librairie de Minneapolis. Lectrice passionnée, elle s’épanouit dans ce travail. Jusqu’à ce que l’esprit de Flora, une fidèle cliente récemment décédée, ne vienne hanter les rayonnages, mettant Tookie face à ses propres démons, dans une ville bientôt à feu et à sang après la mort de George Floyd, alors qu’une pandémie a mis le monde à l’arrêt…

On retrouve l’immense talent de conteuse d’une des plus grandes romancières américaines, prix Pulitzer 2021, dans ce roman qui se confronte aux fantômes de l’Amérique: le racisme et l’intolérance.

Très bel article dans le magazine LIRE 523 du mois d’Octobre 2023

Mon avis:

Un titre à double sens, qui évoque la couleur : « sentence  » signifie à la fois la condamnation (c’est le cas de Tookie) et phrase (l’essence même des livres)
Alors qu’elle pensait simplement déplacer un corps pour rendre service à son amie
Tookie, une amérindienne, se retrouve inculpée de vol de cadavre, trafic d’organes et, cerise sur le gâteau , de trafic de drogue et en prend pour de longues années (ce sont les indiens qui écopent des peines les plis lourdes). La totale ! En prison, Tookie a été sauvée par la littérature; plus précisément par un dictionnaire. A sa libération, elle a 40 ans et se fait engager dans une librairie , celle de l’autrice ( une librairie avec une spécialisation : La littérature amérindienne .
Une librairie qui ne va pas tarder à devenir hantée par le fantôme d’une ancienne cliente du lieu… Eh oui, il y a un fantôme dans la librairie…Mais les fantômes ne sont-ils pas omniprésents?  Ils hantent le présent,  la société, les lieux et donc ils sont également présents dans  la ville de Minneapolis. Dans cette librairies des auteurs tentent de déposer des écrits pour les partager.
Le roman parle de l’immersion dans les différentes cultures, de l’importance des langues des ancêtres, indifféremment de leurs origines ( que ce soit des langues perdues, indiennes ou gaéliques ), des prénoms et de leur signification, de l’intégration. 

Le livre est également un livre sur l’amour des livres, le pouvoir des livres et des mots, l’importance du rapport aux livres et aux libraires. Le livre parle de amérindiens, de leurs traditions et des rites, des Ojibwés de Turtle Mountains particulièrement attachés au Nouvel An et à Noël , de la nourriture ( les différentes sortes de riz sauvage), de la superstition liée au rouge et aux esprits, du rougarou (loup-garou)…
Le roman parle des personnes qui ne veulent pas partir après leur mort car elles attendent encore que quelque chose qui les relie à leur vie sur terre et les questions que cela soulève : un fantôme survit-il à l’incinération? Peut-il s’infiltrer dans le corps des vivants? Quel est le pouvoir de la divination?

L’année sera marquée à la fois par le confinement (Covid) et par le meurtre de George Floyd; Minneapolis, une ville de racisme, de discrimination, habitées par les peuples autochtones, ou la question raciale est au centre de la vie (et de la mort) . Avec le Covid, la librairie va commencer par fermer puis rouvrir avec le statut de magasin essentiel et permission de vendre.  Mais cela implique qu’en l’absence de clients, le fantôme peut prendre ses aises.
Avec la mort de George Floyd, on assiste aux manifestations. A ce sujet, il est important de souligner que les meurtres des autochtones par les forces de l’ordre sont plus fréquents que les meurtres des noirs mais qu’on en parle moins car ils sont perpétrés généralement dans des réserves, loin des caméras.

J’ai adoré l’idée de deux piles de livres à lire : la paresseuse et la laborieuse, le surnom donné à Trump « Orangino », et à Tookie « Soupe d’alphabet », le personnage  surnommé « le mécontentement » véritable carnivore de livre. Sans oublier les magnifiques descriptions du peuple et de la terre Dakota (page 70) 

Et pour ce qui est des rapports entre les différents personnages, la difficulté des rapports humains entre Tookie et Hetta (belle-mère-belle-fille), les rapports entre Tookie et son mari (un ancien flic), et les autres intervenants dans le roman, je vous laisse les découvrir…

Une fois encore je suis happée par l’univers de l’autrice, par sa manière de nous conter ses histoires, par les thèmes évoqués, de son humanité.

Oh! il y a 7 pages de titres de livres recommandés par l’autrice à la fin du livre ! 

Un grand merci à Francis Geffard et à la Collection Terres d’Amérique d’Albin Michel pour leur confiance et ce magnifique cadeau.

Extraits:

Les librairies indépendantes ont le charme romantique de ces petits lieux condamnés par un capitalisme débridé.

– Notre amitié ? C’était plutôt une “irritié”.
– C’est déjà une relation.
rap– Fondée sur l’irritation, oui. Mais perturbante.

Le livre avait une volonté propre et me forcerait à l’affronter, tout comme l’histoire.

C’était peut-être un effet de la pandémie : quand les grandes choses nous échappent, on agit sur les petites.

Il y avait deux façons possibles de calmer mes nerfs : rester au lit, ou pas. Mon corps adore l’inertie et ma tête adore l’oubli. Je n’avais donc pas le choix. Certes, une petite voix intérieure protestait qu’ayant passé une partie de ma vie à l’isolement, c’était une très mauvaise idée de me confiner volontairement au milieu d’un tas de draps et d’oreillers. Mais je me sentais en sécurité dans ce nid de câlins enchevêtrés ! Je m’enveloppais, me désenveloppais. Retapais et écrasais les coussins. Puis m’effondrais.

En octobre, le ciel s’efface jusqu’à n’être plus qu’une toile de fond. La terre concentre son éclat. Les arbres s’embrasent. Des couronnes d’or et de carmin. Marcher, c’est comme flotter dans un rêve.

« Une wannabe, a dit Penstemon. Want-to-be. Elle voulait être. Exister dans un corps autochtone. Mais pas n’importe lequel.

Le fait est que la plupart des Indiens doivent effectivement piocher ici et là pour débrouiller leur identité. Nous avons subi des siècles d’effacement. On nous a condamnés à vivre dans une culture de remplacement.

Photo : « Birchbark Books »  – Louise Erdrich est la propriétaire d’une petite librairie indépendante appelée Birchbark Books, « birchbark » signifiant « écorce de bouleau » en anglais.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *