Coetzee, J.M. « L’Abattoir de verre » (2003-2017) Recueil de nouvelles (176 pages)

Coetzee, J.M. « L’Abattoir de verre » (2003-2017) Recueil de nouvelles (176 pages)

Auteur:   J. M. Coetzee, de son nom complet John Maxwell Coetzee, est un romancier et professeur en littérature australien, d’origine sud-africaine, et d’expression anglaise, né le 9 février 1940 au Cap en Afrique du Sud. Il est bi-national australien /Sud-Africain
Il est lauréat de nombreux prix littéraires de premier ordre dont le prix Nobel de littérature en 2003. Marquée par le thème de l’ambiguïté, la violence et la servitude, son œuvre juxtapose réalité politique et allégorie afin d’explorer les phobies et les névroses de l’individu, à la fois victime et complice d’un système corrompu qui anéantit son langage

Romans : Au cœur de ce pays (1977) – En attendant les barbares (1980) – Michael K, sa vie, son temps (1983) – Coe (1986) – L’Age de fer (1990) – Le Maître de Petersbourg  (1994) – Disgrâce (1999) – Elisabeth Costello (2003) – L’Homme ralenti (2005) – Journal d’une année noire (2007)
Trilogies:
– Trilogie autobiographique Une vie de province : Scènes de la vie d’un jeune garçon – Vers l’âge d’homme – L’Été de la vie
Trilogie de Jésus : Une enfance de Jésus – L’Education de Jésus – La Mort de Jésus

Nouvelles :
– Terres de crépuscule (1974) deux nouvelles
– Trois histoires (« Une maison en Espagne », « La Ferme », « Lui et son homme ») (2000- 2003)
L’Abattoir de verre (2003-2017) : huit nouvelles ( »Le Chien », « Histoire », « Vanité », « Une femme en train de vieillir », « La vieille femme et les chats », « Mensonges », « L’abattoir de verre » et « Contes moraux »)

Deux fois lauréat du Booker Prize : en 1983 pour « Michael K, sa vie, son temps » et en 1999 pour « Disgrâce »
Prix Nobel de littérature en 2003

Seuil – Cadre vert – 16.08.2018 – 176 pages / titre orignal « Moral tales » traduit par Georges Lory – réédition Points (2005)

Résumé:

Une femme, écrivain, au soir de sa vie, face aux assauts de la vieillesse. Chaque jour qui passe la rapproche de l’ombre, et elle constate, avec calme et lucidité, la déliquescence de ses facultés mentales. Autour d’elle se pressent ses enfants, qui s’inquiètent pour elle, l’admonestent de quitter l’Australie pour les rejoindre. Elle s’y refuse pourtant, préférant faire face à l’inéluctable dans la liberté et l’indépendance de la solitude, s’interrogeant jusqu’au bout, sans relâche, sur le sens de sa propre existence et sur la nature profonde de notre humanité.
En sept tableaux romanesques, J M Coetzee nous offre un somptueux portrait de femme (une certaine Elizabeth Costello, déjà croisée au fil de son oeuvre) et une leçon de littérature, aussi dense que brève. Dans une langue d’une épure admirable, il touche au coeur de nos interrogations les plus complexes et universelles (que restera-t-il de nous lorsque nous serons partis ? que transmet-on à ceux qui restent ?) et les affronte sans jamais se départir de sa suprême élégance, de sa dignité et de son humilité.

Mon avis et extraits  :

J’avais lu de lui « Disgrâce » (prix Booker en 1999); à l’époque je ne gardais pas de trace écrite de mes lectures mais je me souviens que c’était d’une dureté implacable. 

J’ai beaucoup aimé ces nouvelles qui s’entrelaçent pour former une histoire et c’est toujours un plaisir de savourer l’écriture de Coetzee.
L’Abattoir de verre est constitué de nouvelles ( Le Chien – Histoire – Vanité – Une femme en train de vieillir – La vieille femme et les chats – Mensonges – L’abattoir de verre) qui sont liées l’une à l’autre et retracent la vie d’une femme, Elizabeth Costello. C’est d’ailleurs le titre de l’un de ses romans que je n’ai pas lu, qui parle également de solitude et de mort. Car Coetzee parle de survie, de comportements humains, de violence, de culpabilité et est extrêmement concerné dans sa vie par les animaux (droits et intelligence).
Ce livre parle de vieillesse, de solitude, de haine, de peur, d’incompréhension dans les rapports entre êtres humains et entre humains et animaux.
Cette femme dont il retrace la vie vieillit au fil des nouvelles.. Elle retrace sa vie et ses contacts avec son fils et sa fille mais en montrant toujours qu’elle a une vie et une personnalité propre, qu’elle veut vivre sa vie. Elle se montre dans le rôle de la femme infidèle mais qui considère cet aparté comme « son petit moment à elle », une parenthèse dans le quotidien qui n’affecte pas sa vie.
Quand elle fête ses 65 ans, elle veut se prouver qu’elle peut encore plaire; elle le fait pour elle, pour se prouver qu’un homme peut encore la regarder. Ses enfants tentent de la dissuader de tenter l’expérience, pour la protéger malgré elle, de peur que cette idée ne la démolisse.
Quand elle atteint ses soixante-dix ans, elle va passer quelques jours chez sa fille. Elle confie qu’elle se sent vieille car elle a des réactions qu’elle n’aurait jamais pensé avoir… elle déplore …
Ses deux enfants tentent de lui faire accepter l’idée de quitter l’Australie pour se rapprocher d’eux au cas où il faudrait lui tenir la main…
Plus tard elle se réfugie dans les montagnes espagnoles en compagnie de chats qu’elle nourrit et d’un homme qu’elle aide car il ne va pas trop bien dans sa tête. Elle vit avec des êtres qui sont différents comme si elle se préparait à vivre dans un autre monde. Son fils veut lui parler de la mort, mais elle pense à l’après, communique avec l’âme qui se dissimule derrière les pupilles des chats.
Ses enfants tentent de lui faire admettre l’idée d’une institution…
Et enfin, sentant qu’elle perd la mémoire, la femme – ancienne écrivaine – fait parvenir à son fils son journal et ses notes afin que cela ne disparaisse pas si elle venait à mourir. Elle y parle de la mort des animaux, de l’effacement de la vie, de l’échange des derniers regards entre humain et animal, de la transmission entre eux, de la communication des âmes. Si l’on construisait un abattoir en verre? Histoire de montrer aux hommes la mort des animaux?
A l’appui des réflexions de certains philosophes comme Descartes ou Heidegger..

Extraits:

« Déplorer, dit-elle, un mot qu’on n’entend plus beaucoup de nos jours. Aucune personne raisonnable ne déplore, à moins de vouloir être risible. Un mot prohibé, une activité prohibée. Que faut-il donc faire ? Doit-on les refouler, ces regrets, pour ne les lâcher qu’entre vieux ?

Ce que je déplore n’a pas d’intérêt en soi. Ce qui m’importe, c’est que me voici en train de faire ce que je m’étais juré d’éviter. Pourquoi ai-je succombé ? Je déplore où va le monde. Je déplore le cours de l’Histoire. De tout mon cœur, je le déplore. Cependant, quand je m’écoute, j’entends ma mère déplorant la minijupe, la guitare électrique. Je me souviens de mon exaspération. 

Je me suis enfermée dans un cliché, et je ne crois plus que l’Histoire modifiera ce cliché.
– Quel cliché ?
– Celui du disque rayé. Il a perdu sa signification depuis que les gramophones et leurs aiguilles ont disparu. 

Tout comme le printemps est la saison qui regarde l’avenir, l’automne est la saison qui regarde vers l’arrière. Les désirs conçus par un cerveau automnal sont des désirs d’automne, nostalgiques, entassés dans la mémoire. Ils n’ont plus la chaleur de l’été ; même lorsqu’ils sont intenses, leur intensité est complexe, plurivalente, tournée vers le passé plus que vers l’avenir.

Il regarde le chaton dans les yeux, un instant le chaton lui retourne son regard. Derrière l’œil, derrière la fente noire de la pupille, derrière et au-delà, que voit-il ? Un éclair momentané, une lumière jaillissant de l’âme invisible qui se cache là ? Il n’en est pas sûr. S’il y a eu un éclair, le plus probable est qu’il s’agissait de son propre reflet dans la pupille du chaton.

J’abhorre cet état d’esprit qui voit la vie comme une succession de problèmes soumis à l’intellect en vue de leur solution. Un chat, ce n’est pas un problème. La chatte dans le caniveau a fait appel à moi, j’ai répondu. J’ai répondu sans me poser de questions, sans me référer à une évaluation morale.

À la lisière de l’être – c’est comme ça que je vois les choses –, il y a toutes ces petites âmes, âmes de chats, âmes de souris, âmes d’oiseaux, âmes des enfants qui ne sont pas nés, toutes rassemblées, suppliant qu’on les laisse venir, suppliant d’être incarnées. Je veux les laisser venir, toutes, même si ce n’est que pour un jour ou deux, même si elles ne doivent avoir qu’un aperçu rapide du monde magnifique qui est le nôtre.

Il n’y a rien de mal à faire son devoir. C’est le devoir qui fait marcher le monde, pas l’amour. L’amour c’est agréable, je sais, un joli bonus. Mais pas fiable, malheureusement. Il ne se transmet pas toujours.

« La vérité vraie, c’est que tu es en train de mourir. La vérité vraie, c’est que tu as un pied dans la tombe. La vérité vraie, c’est que tu es déjà sans défense, que demain tu seras encore plus démunie, et ainsi de suite, jusqu’au jour où il n’y aura plus d’aide du tout. La vérité vraie, c’est que tu n’es plus en mesure de négocier. La vérité vraie, c’est que tu ne peux plus dire Non. Tu ne peux pas dire Non au tic-tac de la pendule. Tu ne peux pas dire Non à la mort. Quand la mort dit Viens, il te faut courber la tête et partir. Alors accepte. Apprends à dire Oui.

Que trouvons-nous d’inacceptable dans la mort douloureuse ? Plus précisément, si nous sommes préparés à infliger la mort à autrui, pourquoi souhaitons-nous lui épargner la douleur ? En plus de la mort elle-même, qu’y a-t-il d’inacceptable à nos yeux quand il s’agit d’infliger une mort douloureuse ?

Contrairement aux insectes, nous, les humains, avons une nature binaire. Nous avons des appétits d’animaux, mais nous avons aussi la raison. Nous aimerions vivre une vie selon la raison – Heidegger aurait aimé une vie selon la raison –, mais parfois nous ne le pouvons pas, parce que parfois nous sommes rattrapés par nos appétits. Nous sommes rattrapés, nous cédons, nous capitulons. Une fois nos appétits satisfaits, nous revenons à une vie raisonnable. Que peut-on en dire de plus ?

Descartes, on s’en souvient, dit que les humains ont une âme rationnelle, ce qui n’est pas le cas des animaux. Il en ressort que les animaux, capables de ressentir la douleur, sont incapables de souffrance. Selon Descartes, la douleur est une sensation physique qui déclenche une réponse automatique, un cri, un hurlement ; la souffrance est une affaire différente, à placer sur un plan supérieur, le plan humain.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *