Vivarès, Laurence « La vie a parfois un goût de ristretto » (2018) – 284 pages
Autrice: Laurence Vivarès est publicitaire. Elle nourrit depuis toujours une passion secrète pour l’écriture et signe ici son premier roman en faisant son « coming out » d’auteure.
Eyrolles – 11.10.2018 – 215 pages / Eyrolles poche – 08.04.2021 – 284 pages
Résumé:
Lucie, styliste parisienne, revient seule, sur les lieux où son histoire d’amour s’est échouée pour essayer de comprendre, de se confronter à son chagrin, de recoloriser ses souvenirs, et peut-être de guérir. Ce voyage intérieur et extérieur la conduit à Venise, trouble et mystérieuse en novembre, pendant la période de l’acqua alta. Au rythme d’une douce errance, Lucie vit trois jours intenses, sous le charme nostalgique de la ville.
En compagnie de Vénitiens qui croiseront providentiellement sa route, un architecte et sa soeur, une aveugle, un photographe, elle ouvre une nouvelle page de son histoire.
Mon avis:
Quand Lucie arrive à Venise pour un week-end de trois jours, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est en vrac… Elle a besoin de décompresser, de tirer un trait sur son passé avec un homme qui l’a détruite. Il lui faut se reconstruire, remplacer l’ombre par la lumière, retrouver sa personnalité, se laisser aller, oser vivre…
La rencontre avec un « ange » vénitien (Angelo est un prénom qui ne trompe pas) permettra-t-elle à la lumière d’éclairer à nouveau Lucie (autre prénom prémonitoire qui signifie lumière) , pourra-t-elle retrouver la transparence des relations humaines, échapper à l’ambiance toxique et opaque de sa relation avec Laurent (prénom révélateur aussi si on en croit le profil des Laurent : Un brin manipulateur, il sait flatter et amener les gens là où il le souhaite. Il peut être très légèrement hypocrite, mais rares sont ceux qui détectent ce trait de caractère tant Laurent agit en finesse. Il a beaucoup de charme et ne l’ignore pas.)
Dans ce livre, tout – ou presque – est question de lumière, de couleurs, de clair-obscur, de transparence, d’opacité .. et d’eau – qui plus est en période d’acqua alta – (Il y a d’ailleurs beaucoup de mots qui parlent ombre et lumière dans ce livre .. lueur, projecteurs, étincelle, scintiller…)
Un autre thème majeur est le passage du temps, des saisons, que ce soit dans l’oeil du photographe des pigeons de la Place San Marco ou dans la musique de Vivaldi..
Lucie va se promener dans Venise; le premier jour elle va marcher sur les traces de ses souvenirs avec Laurent, puis elle va s’écarter du gris et partir à la découverte, s’écarter du gris pour aller vers la lumière. Après sa rencontre avec Laurent, elle va découvrir la Venise des vénitiens, ouvrir les yeux et son coeur, s’ouvrir au monde qui l’entoure, aux odeurs de Venise.
Autre thème : la solitude, le poids des relations humaines passées, tant pour Lucie (relations avec son père, son ancien amant) que pour Angelo et d’autres personnages comme Mario – le patron de l’Osteria della grappa – ou Monica .
Ce livre est enfin un livre de rencontres : Angelo, Paul, Monica l’aveugle qui lui conseille d’aller s’imprégner des couleurs du Titien et de l’importance des autres dans la vie..
Il ne faut pas oublier un personnage essentiel : Venise. On va se promener et découvrir la Venise un peu moins touristique…sans oublier certains incontournables : l’Église dei Frari, le Danieli – qui fera revivre George Sand et Alfred de Musset- , Casanova, les peintres italiens de la Renaissance (le Titien), Hemingway…
Ce livre me rappelle à bien des égards le roman «Seule Venise» de Claudie Gallay, que j’ai lu il y a bien longtemps et est toujours présent dans ma mémoire. Et comme ce dernier, c’est un gros coup de coeur.
Extraits:
Oui, elle l’avait retrouvée, cette grimace positive qu’on appelle sourire…
Vous savez, ce n’est pas un hasard si le café est bon ici. C’est à Venise qu’il a été bu pour la première fois en Europe. On retrouve des écrits sur le sujet qui datent de la fin du XVIe siècle. D’un certain Morosini. (…) Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la caféine du stretto est moins nocive que dans les cafés allongés. Le pire, ce sont ces gros cafés américains de chez Starbucks. Un poison.
La lumière n’est pas forcément quelque chose que l’on voit, même si elle nous fait tout voir. D’ailleurs, j’ai toujours trouvé étonnant que le cinéma ait été inventé par les frères Lumière. Drôle de coïncidence, vous ne trouvez pas ?
Venir pendant l’acqua alta, c’est particulier ; une façon authentique de découvrir la ville et son histoire d’amour avec l’eau. Venise, c’est l’eau, et pourtant c’est ce qui la tue à petit feu.
« Quand c’est fini, ce qui te pourrit la tête ce sont les clichés chabadabada des moments heureux. C’est ça qui tue. Il faut s’en débarrasser. Retourner sur les lieux. Recoloriser le souvenir pour passer à autre chose. » Il aimait cette idée de remettre en couleurs les souvenirs, comme ces vieux films en noir et blanc qui retrouvaient une deuxième jeunesse.
Il dit que nos histoires tissent nos vies, mais que nous pouvons tisser nos histoires.
l’histoire d’amour destructrice entre Venise et l’eau. Osmose fatale. Venise pourrissait lentement et sa longue agonie dégageait une odeur de vase. Ça, on ne le voyait pas sur les cartes postales.
On est niais quand on est amoureux. Ou nié – on en arrive à ne plus être soi-même –,
— Venise se visite aussi avec le nez, dit Angelo.
La dernière note tomba, telle une goutte, suivie du silence précieux. Oui, l’eau et la musique, c’était la même chose, la même énergie. Fluide et organique comme la vie, le sang qui passe dans les veines. Elle en eut les larmes aux yeux, qu’elle retint discrètement.
— Vous voyez, vous êtes comme moi, vous aimez les saisons ! L’important c’est de se laisser porter, avec ou sans bottes… et de savoir passer à la saison d’après.
Il faisait très humide, un froid transperçant les os. Avait-elle laissé l’hiver s’installer un peu trop profondément en elle ? Soudain, elle ressentit l’austérité de ces derniers mois, cette absence d’amour qui la frigorifiait.
Toute réalité, même la plus terrible, est préférable à l’illusion car on peut en faire quelque chose.
Dans la lumière voilée, toutes les couleurs de cette journée de novembre à Venise se déployaient, flatteuses et reposantes.
Le contraire du noir ce n’était pas le blanc, mais bien la couleur. C’était simple, mais elle ne le découvrait que maintenant.
Les mots avaient enjambé les silences, et ils avaient réussi à se parler de tout et de rien.
Le vrai drame d’Hemingway, pour lui et son entourage, c’est qu’il était bipolaire : il oscillait entre le bonheur le plus extrême et des souffrances abyssales…
Son sentiment de solitude s’était transformé en pulsion de liberté.
Ces peintres vénitiens de la Renaissance… Cela m’a toujours bluffé. Quand je vois le matériel et la mise en scène qu’il faut aujourd’hui pour fabriquer une belle lumière en photographie, alors qu’eux géraient juste avec leurs pigments et leurs astuces. C’étaient des poètes de la lumière.
Il n’était pas moins seul, mais un peu moins solitaire. Cela faisait du bien.
J’aime à penser que nos manques aussi nous modèlent.
Monica lui avait appris qu’on ne voit pas que par les yeux, mais aussi par le nez, les papilles, la peau…
One Reply to “Vivarès, Laurence « La vie a parfois un goût de ristretto » (2018) – 284 pages”
Merci Cathy
Je le note