Saint Bris, Paul « L’allègement des vernis » (RLH 2023) 349 pages

Saint Bris, Paul « L’allègement des vernis » (RLH 2023) 349 pages

Auteur: Paul Saint Bris, né à Paris le 04 janvier 1983, vit à Paris. L’allègement des vernis est son premier roman. lI est le fils aîné de François Saint Bris, directeur du Clos Lucé.

Philippe Rey – 12.01. 2013 -349 pages (Prix Orange du livre 2023 )

Résumé

Aurélien est directeur du département des Peintures du Louvre. Cet intellectuel nostalgique voit dans le musée un refuge où se protéger du bruit du monde. Mais la nouvelle présidente, Daphné – une femme énergique d’un pragmatisme désinhibé -, et d’implacables arguments marketing lui imposent une mission aussi périlleuse que redoutée : la restauration de La Joconde. A contrecoeur, Aurélien part à la recherche d’un restaurateur assez audacieux pour supporter la pression et s’attaquer à l’ultime chef-d’oeuvre. 

Sa quête le mène en Toscane, où il trouve Gaetano, personnalité intense et libre. Face à Monna Lisa, l’Italien va confronter son propre génie à celui de Vinci, tandis que l’humanité retient son souffle… Ce roman au style vif porte un regard acéré sur la boulimie visuelle qui caractérise notre époque, sur notre rapport à l’art et notre relation au changement. Paul Saint Bris met en scène une galerie de personnages passionnants en action dans le plus beau musée du monde. 

Jusqu’au dénouement inattendu, il démontre, avec humour et brio, que l’allègement des vernis peut tout autant bénéficier aux oeuvres qu’aux êtres qui leur sont proches. 

Mon avis :

La Joconde ! La Joconde qui devient de plus en plus verdâtre, de plus en plus sombre, cachée derrière des couches de vernis et qui aurait besoin de retrouver des couleurs et de se rafraichir un peu le teint… Mais on sait bien que la chirurgie esthétique peut rater… et il ne faut en aucun cas détruire les modelés, le sfumato, les glacis, les détails si caractéristiques de l’oeuvre de de Vinci.

Une restauration ratée aurait des conséquences dramatiques! Car il ne faut pas se voiler la face ! Monna-Lisa n’est pas n’importe quelle femme et une fois le « ravalement » effectué, il est impossible de faire marche arrière ! Inutile de dire que ce projet est une affaire d’Etat qui va faire réagir les politiques, l’opinion publique, le gouvernement Italien.

Si Aurélien est devenu conservateur au Musée du Louvre, spécialiste de la Renaissance, c’est qu’il se voit comme le gardien de la mémoire, amoureux de la beauté, du passé, et qu’il tente de fuir le monde moderne; ce n’est pas pour subir le dictat du marketing, du nombre de visiteurs, du comment attirer le public alors que la fréquentation des musées baisse. Et pour lui il n’est pas question de toucher à la Joconde! Et pourtant il va devoir se plier à la décision d’un collège d’experts. Suite à la décision de la restaurer, il va falloir monter un dossier, explorer les possibilités offertes par les techniques modernes et trouver LA personne capable de faire ce travail. Ce sera l’occasion pour Aurélien de faire un voyage en Toscane, à Florence, à Grosseto…

Parmi les autres esthètes, il y a Homero, ancien majordome au chômage qui va entrer dans l’équipe de nettoyage du Louvre, devenir conducteur d’une autolaveuse et danser avec les statues, – les Caryatides en particulier – leur redonner vie au son de Vivaldi;  il va ensuite être muté à l’aile des peintures et du nettoyage de la Joconde. Il va fasciner Hélène, une régisseuse du musée et tomber amoureux de la Joconde. 

Et enfin il y a Gaétano, le spécialiste toscan de la restauration des oeuvres de la renaissance. Toscan comme Léonard de Vinci, le père de la Joconde. Lui aussi va être obnubilé par la Joconde.

Grâce à ce livre, on va découvrir non seulement l’histoire de « la Joconde » et la scruter sous toutes les couches de peinture mais aussi l’histoire de la naissance, de l’évolution, des techniques du métier de la restauration, se rafraichir la mémoire sur la période de La Renaissance italienne, le Quattrocento, les artistes comme Giotto, De Vinci, le Caravage, Del Sarto, Fra Angelico, Pontormo, Michel-Ange…

Ce chantier va bouleverser non seulement le monde de l’Art mais la vie de nos amoureux de la Joconde – Aurélien, Homero et Gaétano – mais aussi celle de leur entourage.

Ce roman est également l’occasion d’une réflexion sur ce qui est le plus important : l’esthétique ou l’historique?  

La restauration sera-t-elle une réussite ? La restauration se passera-t-elle sereinement?  L’âme de la Joconde continuera-t-elle à envoûter les visiteurs du musée ? Quel sera l’impact de cette aventure sur ses amoureux? A vous de le découvrir. 

Extraits:

Il songea que les chefs-d’œuvre n’avaient pas été conçus pour être observés dans les conditions du monde actuel : quelque part, il devait admettre que le concept même de musée, en les offrant à la vue de tous, avait dénaturé la relation aux œuvres. À la Renaissance, les toiles ou panneaux peints dans l’intimité des ateliers étaient destinés à des endroits tout aussi confidentiels, pour la plupart réservés à de rares privilégiés : l’appartement d’un prince ou le réfectoire d’un couvent interdit aux laïcs. Et quand ils étaient disposés dans des lieux accessibles au commun des mortels, les fresques et les retables se donnaient dans le secret des flammes vacillantes des cierges, à la lueur faiblarde des vitraux, dans la ferveur et le mystère. Certainement, il y avait une incongruité à ce qu’aujourd’hui les œuvres se retrouvent scrutées sous toutes les coutures, détachées de tout contexte, diffusées à si grande échelle, dépliant leur vérité crue sous des flots de lumens ou sur des millions de pixels rétroéclairés.

Homéro s’était souvent demandé à quel point sa vie aurait été différente s’il avait été prénommé Romain ou Mohammed. Quand bien même il aurait préféré qu’il soit le fruit d’un consensus parental, il aimait son prénom qui racontait l’aventure et l’ailleurs, et qui, pour la plupart des gens, était un territoire vierge, ouvert à tout imaginaire et dénué de préjugés. Il en tirait une certaine liberté. Et puis c’était son unique héritage paternel.

Lisa était une Madame Tout-le-Monde, une bourgeoise lambda de la classe moyenne, mère de famille et femme de commerçant, à la joliesse mesurée, raisonnable. Son visage un peu large, attendri d’une mollesse pouponne, ses yeux foncés, qu’on disait noisette pour ne pas dire marron, la mettaient à portée de tous. Elle exprimait une simplicité heureuse et rassurante. Et c’est peut-être ce qui fascinait les gens, qu’une inconnue comme elle ait traversé les temps, damant le pion aux reines et aux vamps.

Arrive ce moment où vous vous rendez compte que vous vous êtes lentement extrait du bruit du monde. Que vous vivez dans le confort d’une réalité parallèle, votre propre réalité, figée, façonnée selon vos goûts et vos envies, mais hermétique aux pulsions de la société. C’est en général à partir de ce moment-là que vous commencez à parler d’avant. Vous développez une empathie inédite pour des choses que vous n’aviez jusque-là pas remarquées. Vous portez sur votre entourage un regard empreint de nostalgie, comme si celui-ci était menacé d’une destruction prochaine. Avant pourtant reste votre présent, mais vous pressentez qu’il appartient déjà au passé, car vous-même avez subtilement glissé. Et si vous parlez d’avant, vous parlez aussi de maintenant comme si ce n’était pas de votre temps qu’il s’agissait, comme si maintenant était étranger, allogène, comme si maintenant n’était pas un bien commun à tous les vivants mais un privilège réservé à d’autres que vous ne comprenez plus.

Il existe des prisons mentales, et rares sont les humains capables d’absorber tous les changements que leur impose la durée de leur existence

8 Replies to “Saint Bris, Paul « L’allègement des vernis » (RLH 2023) 349 pages”

  1. Je suppose que le prix qui lui a été attribué n l’a pas été sans raisons, même s’il m’est arrivé dans le passé de douter. Le plus souvent, c’était pour des raisons du genre « Ce livre méritait-il plus le prix que celui-ci, qui ne l’a pas eu et qui se trouvait en balance ? »

  2. Mais la Joconde est un sujet qui m’intéresse, non pas parce que je trouverais que c’est le plus beau tableau du monde, chose que je ne crois pas, mais plus pour la technique des très fines couches de peinture qui lui donnait un charme certain à la Renaissance.
    Hormis la technique, ce n’est qu’un portrait de bourgeoise. Pour cette époque, je lui préfère les portraits que Botticelli a fait de Simonetta Vespucci (dont un de mémoire, après la mort de La Sans Pareille) qui montrent pour le moins une admiration, si ce n’est de l’amour, pour celle qui servit de modèle.
    Par contre, on demeure écroulé de rire quand on voit des films où le tableau est roulé et caché par un voleur, ce qui relève de l’exploit, étant donné qu’il s’agit d’une peinture sur bois.

  3. lis-le ! je suis certaine que tu ne seras pas déçu ! et en prime c’est bien écrit ! et ensuite viens me faire ton commentaire.

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