Didierlaurent, Jean-Paul « Malamute » (2021) 352 pages

Didierlaurent, Jean-Paul « Malamute » (2021) 352 pages

Auteur : né le 2 mars 1962 à Cornimont (Vosges) et mort le 5 décembre 2021 à Strasbourg (Bas-Rhin) .
Nouvelliste exceptionnel lauréat de nombreux concours, trois fois finaliste et deux fois lauréat du Prix Hemingway, Son premier roman « Le Liseur du 6h27 » m’avait beaucoup plu. Il publie ensuite « Le Reste de leur vie » (2016), puis « La Fissure »  (2018) et enfin son dernier roman « Malamute»  en 2021.

Au diable Vauvert – 11.03.2021 – 368 pages /  Folio 06.10.2022 – 352 pages

Résumé :

Le vieux Germain vit seul dans une ferme au coeur des Vosges. Sa fille lui impose de passer l’hiver avec Basile, lointain neveu qui vient faire sa saison de conducteur d’engin de damage dans la station voisine. Une jeune femme froide et distante qui conduit les engins des neiges mieux que tous ses collègues masculins, habite la ferme voisine, où ses parents élevaient une meute de chiens de traîneaux quarante ans auparavant. 

Mais bientôt, le village est isolé par une terrible tempête de neige qui, de jours en semaines puis en mois, semble ne pas vouloir s’achever. Alors l’ombre des Malamutes ressurgit dans la petite communauté coupée du monde… 

Jean-Paul Didierlaurent vient avec un grand roman situé dans un village de montagne au coeur d’une forêt omniprésente qui réunit tous les éléments du succès du Liseur du 6h27 : tendresse et humour, réalisme magique et incroyable inventivité, personnages hauts en couleur et machines broyeuses, jeunesse et relations intergénérationnelles, noirceur et rédemption…

Mon avis:

Encore une fois ( et malheureusement la dernière puisque cet auteur nous a quitté) j’ai été emportée par l’écriture et le roman de cet auteur. Un roman très dépaysant avec des personnages principaux qui ont tous des blessures et des secrets qu’ils dissimulent sous leur carapace, des personnalités attachantes, des passions originales, le tout dans un environnement lui aussi à double tranchant.

Le vieux Germain est une sorte d’ermite de 84 ans qui vit seul dans son vieux chalet isolé, tout en haut du village. Dans les alentours il n’y a qu’une vielle ferme abandonnée depuis des décennies. Lorsque sa fille – qui vit à Paris – lui donne le choix entre héberger un petit neveu pour la saison d’hiver ou aller en EPAD, il choisit le moindre mal : le jeune homme, Basile, conducteur d’engins de chantier l’été et de dameuse l’hiver, amoureux des engins et ayant entièrement restauré un combi Volkswagen T2 modèle 1979 dans lequel il va débarquer.  Finie la tranquillité du vieux. D’autant plus qu’au même moment, les volets de la vieille ferme isolée s’ouvrent… 

Le vieil homme n’aura qu’une seule exigence : la cave est son domaine réservé et personne n’y a accès. Bien évidemment on se demande pourquoi…

Il y a aussi une révolution cette année dans le petit monde des conducteurs de dameuses. Un nouveau engin flambant neuf, un monstre… Et une question ? Qui va avoir le privilège de le manœuvrer… Un mystère vite éclairci et qui va en troubler plus d’un… 

Ce roman est un hommage magnifique à la nature dont les trois principaux personnages sont amoureux : le vieil homme des arbres et de la forêt et le petit-neveu Basile et la jeune  Emmanuelle de la montagne et de la neige…

Alors bienvenue dans cette petite station de montagne peu connue… Sachez juste que les éléments vont se déchainer et que le climat est important en montagne lors de la saison de ski … Pas assez de neige et c’est le drame. Trop de neige, ce n’est pas bon non plus… La supplique du Père Francis « Que la neige soit avec nous, que son règne vienne ! » va provoquer bien des bouleversements… 

Gros coup de coeur. 

 

Extraits:

En adressant la parole à la présence vaporeuse qui flottait dans la chambre, il courait le risque de lui apporter de la consistance, de l’engraisser jusqu’à l’ancrer définitivement dans le monde réel. Ne pas lui donner plus d’importance qu’un rideau de tulle se balançant dans le vent restait la meilleure des solutions. Au sortir de la douche, le spectre de la fillette avait disparu.

Elle était arrivée pendant la nuit, précédée la veille au soir par cette odeur propre à elle seule, indéfinissable, qui laissait ce drôle de goût de métal sur le palais. La neige. Près de vingt centimètres d’une neige lourde que venaient caresser les dernières écharpes de brume abandonnées par la nuit. 

Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées, même si côté bêtes à cornes de nos jours on doit compter sur le massif plus de cocus que de prim’holstein.

Les sillons profonds qui barraient le front du vieux dessinaient une portée de musique sur la peau patinée par des années de vie au grand air.

Louka, Amarok, Chinook et Kodiak concrétisent à eux quatre le rêve de gamin de Dragan, un rêve né de ce jour où, du fond de son lit, il a parcouru les terres glacées du Grand Nord canadien et les forêts du Yukon en dévorant les pages de L’Appel de la forêt de Jack London.

Une collection d’essences diverses, hêtre, sapin, épicéa, frêne, érable, chêne, que le vieil homme avait glanées durant toutes ses années de bûcheronnage au fil des abattages. Depuis qu’il n’avait plus la force d’aller en forêt, c’est la forêt qui venait à lui.

Loupe en main, il entreprit de dénombrer les anneaux de croissance qui racontaient la vie du feuillu. Remonter le temps, cercle après cercle, de la naissance du hêtre au jour de sa coupe, de l’écorce externe à la moelle au centre en passant par le liber, le cambium puis l’aubier, la partie vivante et le duramen, son cœur mort. Le vieillard ignorait que cette science si particulière qu’il pratiquait portait le nom barbare de dendrochronologie. Une information dont il n’aurait eu que faire. Germain lisait les arbres de la même manière que d’autres lisent les livres, passant d’un cerne à un autre comme on tourne des pages, sans autre prétention que celle d’interroger les géants sur la marche du temps, à la recherche d’une certaine logique dans ces successions concentriques.

Depuis toujours, la jeune femme trouvait l’exercice de la parole difficile, non qu’elle manque de vocabulaire, mais elle faisait preuve de défiance vis-à-vis des mots, ces petites choses qui parfois vous échappent sans qu’il soit possible de les ramener dans le fond de votre gorge une fois libérées, comme ces invectives crachées la veille au soir à la face du vieux voisin tandis qu’elle s’emportait. Prendre le temps de trier les mots, choisir les meilleurs et les garder en bouche le temps de la réflexion avant d’en délivrer le juste compte. 

Le russkoff, comme on dit le bougnoule, le youpin, le négro, le boche, le rital, le rosbif, le manouche, le basané, le pédé, autant de noms pour désigner tous ces autres qui font peur avec leurs différences.

Il y avait belle lurette que le vieil homme ne regardait plus la télé. À quoi bon supporter ce déballage permanent de drames et de misère, de guerres, de catastrophes, ce voyeurisme imposé qui n’apportait rien de bon ? Allumer la télé, c’était laisser entrer le malheur dans la maison. « Ce que l’on ne sait pas ne nuit pas »

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