Fleury, Adeline « Le ciel en sa fureur» (RLH2024) 201 pages
Autrice: Longtemps reporter pour les pages Société du Journal du Dimanche, puis cheffe des pages Culture du Parisien Week-end, Adeline Fleury, journaliste, essayiste, éditrice et romancière, a souvent aidé les autres à raconter leur histoire. Parce que désir et littérature sont chez elle intimement liés, elle s’est lancée en écriture avec le Petit éloge de la jouissance féminine (François Bourin, 2015, La Musardine 2018) avant de poursuivre sa réflexion sur le corps féminin avec son essai Femme Absolument (JC Lattès, 2017, Marabout 2018) et Je, tu, elle (paru en 2018 chez François Bourin). Son précédent roman, Ida n’existe pas (François Bourin), est paru en août 2020.. (Source Lisez). En 2022 elle publie le roman « Les frénétiques » chez Julliard et en 2024 « Le ciel en sa fureur » aux Editions de l’Observatoire.
Editions de l’Observatoire – 03.01.2024 – 201 pages
Résumé
C’est une bourgade entre mer et champs, avec son église, ses fermes, ses habitants rugueux et taciturnes. Avec ses cauchemars aussi, car ce qu’on a fait au cheval des jumeaux Bellay, aucun animal n’en serait capable. Julia, vétérinaire, et Stéphane, maréchale-ferrante, ex-citadines fraîchement arrivées dans la région, en sont persuadées : seul un homme a pu commettre pareille atrocité. Au fil des jours, de nouvelles carcasses sont retrouvées, et les villageois entrent en émoi – le Varou, monstre de légende assoiffé de vengeance, est revenu ! Au même moment, d’étranges événements se produisent dans les sous-bois alentours, alors qu’un gosse bizarre, l’enfant-fée comme on l’appelle, rôde autour des dépouilles d’animaux.
A travers l’enquête de deux femmes décidées à se reconstruire, Adeline Fleury nous conte une terre marécageuse balayée par les vents et les légendes ancestrales, et les secrets d’un village français. Un roman envoûtant, noir et vénéneux, où les grenouilles, parfois, tombent du ciel.
Mon avis:
La Normandie, un petit village, un paysage sombre et peu accueillant, un environnement de contes glaçants et de légendes angoissantes… Un lieu hors du temps, et pourtant c’est maintenant, dans le Cotentin… Un endroit reculé qui baigne dans le passé, dans la défiance, dans le surnaturel… Une terre de légendes peuplée de fées – des fées-filles et des fées garçons – de Gobelins, de lutins et où le mal est associé au diable, ici connu comme le « varou » et qui est associé aux géants , au muron (salamandre terrestre) et où tout est affaire de superstitions et de chape de silence, de mystère.
Des personnages hors du monde… comme « La Vieille », une rebouteuse qui vit dans la crasse mais qui fait des miracles et son vieux, « le petit blond » de la ferme aux vaches, qui est toujours présent quand il y a un événement qui sort du commun et bien d’autres…
Une bourgade divisée en trois si l’on se fie au type d’habitants.
– ceux du lotissement, un microcosme fermé…
– les nouveaux arrivants, deux filles qui viennent de la ville, Julia la vétérinaire et Stéphane la maréchale-ferrante
– les villageois, qui vivent écrasés par la chape du passé, et qui se protègent de l’extérieur, qui refusent les étrangers mais ne les chassent pas pour autant.
Et puis il y a les enfants-fées … « La Vieille » avait enfanté d’un enfant-fée, Jojo, mais il a été tué alors qu’il n’avait que dix ans… mais ce n’est pas le seul de la région … il y a le petit blond…
Le malaise vient en apparence des gens qui se mélangent et de ses trois mondes qui se côtoient.. Une petite fille du lotissement – celle du pavillon 13 – qui s’aventure à l’extérieur, le petit blond qui s’approche d’elle, les deux étrangères qui vivent au milieu du village et qu’ils doivent fréquenter car ce sont elles qui soignent leurs bêtes.. et les enfants qui avaient découvert un mystère dans le sous-sol de la maison de l’institutrice et de sa soeur, maintenant habitée par la maréchale-ferrante, cette géante qui aime les filles…
Et enfin, le drame s’abat sur la communauté avec les bêtes (poules – chevaux – vaches – béliers…) que l’on retrouve mutilées dans les fermes … Qui peut bien commettre de pareilles atrocités ?
Et petit petit, le voile va se déchirer et la malédiction du passé va faire surface…
Un livre magnifique qui a pour thèmes la peur de l’inconnu et de la différence, les secrets enfouis, les légendes qui expliquent l’inexplicable, le silence pour se voiler la face et refuser de regarder la vérité en face… mais attention quand ce que l’on croyait bien enfoui refait surface… Le tout dans une ambiance bien oppressante…
Extraits:
La pluie de grenouilles figure en second sur la liste des dix plaies d’Égypte qui, selon l’Exode, ont été infligées par Dieu à l’Égypte pour libérer son peuple prisonnier.
Ceux du lotissement ont un quotidien réglé comme du papier à musique. Ils vivent à la campagne sans en profiter, enfermés dans leur maison témoin, leur voiture témoin et leur sexualité témoin, celle du samedi soir conjugal.
Cette terre normande est parcourue d’ondes étranges, d’énergies contradictoires qui secouent les habitants et fragilisent les nouveaux arrivants.
La menace vient du ciel. Ou bien d’ailleurs.
La Vieille porte le monde dans les yeux, les catastrophes, les grandes découvertes, les guerres, les passions dévorantes. La succession des saisons, les migrations des oiseaux, l’éclosion des fleurs, la crue des rivières, les tempêtes et les grandes marées d’équinoxe. Cette femme-là n’est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie.
Dans le coin, on croit encore aux fées, aux gobelins, ici appelés goubelins, aux lutins malicieux, Julia sait que des légendes se transmettent de génération en génération dans toute la Normandie et dans cette partie du Cotentin en particulier. Ça permet surtout d’enrober de merveilleux les vérités que l’on ne veut pas affronter.
Seulement ici personne n’accepte l’idée du suicide, le suicide est l’arme des faibles, pense-t-on dans les chaumières. On préfère encore croire aux fantômes et aux fées maléfiques pour expliquer certaines morts brutales plutôt qu’au désespoir des vivants. Les histoires de fées, ça permet d’enrober de merveilleux les vérités que l’on ne veut pas affronter.