Kerr, Philip « La trilogie berlinoise »

Kerr, Philip « La trilogie berlinoise »

La Trilogie Berlinoise:

Tome 1 : « L’été de cristal » (1993)

Résumé : Vétéran du front turc et ancien policier, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Et le travail ne manque pas, à Berlin, durant cet été 1936 où les S.A., à la veille des jeux Olympiques, se chargent de rendre la ville accueillante aux touristes.

C’est cependant une mission un peu particulière que lui propose un puissant industriel,

Hermann Six : ce dernier n’a plus à chercher sa fille, assassinée chez elle en même temps que son mari, mais les bijoux qui ont disparu du coffre-fort.

Bernie se met en chasse. Et cet été là, l’ordre nouveau qui règne sur l’Allemagne va se révéler à lui, faisant voler en éclats le peu d’illusions qui lui restent…

Considéré comme un des espoirs les plus prometteurs du roman policier anglais, Philip Kerr a reçu pour ce premier livre le Prix du roman d’aventures.

Mon avis : Dommage de ne pas lui avoir laissé le titre original « Violettes de mars » avec toute sa signification historique (Les violettes de mars, le surnom que les Nazis attribuaient à leurs compatriotes ayant rejoint le parti sur le tard.) mais sinon c’est un livre que j’ai dévoré. Le personnage Bernie est attachant, atypique, l’écriture fluide et il y a de l’humour, c’est bien documenté sans faire sentir le poids de l’érudition. On plonge dans Berlin, dans les intrigues, on découvre le nazisme, l’histoire, et l’intrigue est de plus intéressante et un bon support pour s’instruire. Je continue avec le tome 2

Extraits :

Je pensais la voir sortir en m’ignorant, mais elle me coula un regard et dit : « Bonne nuit, qui que vous soyez. » Puis la porte de la bibliothèque l’avala avant que j’aie pu le faire moi même.

C’est un sous-marin juif.
— Un quoi ?
— Un Juif qui se cache.
— Qu’a-t-il fait pour devoir se cacher ?
— À part d’être juif, vous voulez dire ?

Il était si furieux que son visage était aussi rouge qu’une tranche de foie

il fut pris d’une quinte d’une telle violence qu’elle n’avait plus rien d’humain. On aurait dit le bruit d’une voiture qu’on essaie de faire démarrer avec une batterie à plat.

L’expérience m’a appris qu’une femme n’a jamais son content de compliments, tout comme un chien ne se lasse jamais de dévorer des biscuits.

Et si elle était prête à offrir son corps, elle pouvait même demander la lune, avec quelques galaxies pour faire le compte

J’adorais cette ville autrefois, avant qu’elle ne tombe amoureuse de son propre reflet et se mette à porter les corsets rigides qui l’étouffaient peu à peu.

Ce sont là des blessures anciennes, et à mon avis, il est malsain de toujours les ressasser.

Comme à son habitude, il jouerait de sa voix en chef d’orchestre accompli, faisant alterner la douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la trompette

L’appartement était de la taille d’un modeste aéroport, et à peine plus luxueux qu’un décor de Cecil B. de Mille,

Une chose est mystérieuse lorsqu’elle se situe au-delà de la compréhension et du savoir humains, ce qui voudrait dire que mon travail est une pure perte de temps. Or cette affaire est une simple énigme, et il se trouve que j’adore les énigmes.

Mes revenus ? Ils sont aussi confortables qu’un fauteuil du Bauhaus.

Leur mariage est devenu une simple feuille de vigne, une couverture respectable

Ça n’a pas débouché sur grand-chose. Le pauvre, il aura passé sa vie à déboucher sur rien…

Quant à son sourire, c’était un mélange de pré-maya et de gothique tardif.

Je veux bien m’arranger, mais uniquement avec les gens qui n’ont rien de plus dangereux dans la main droite qu’un verre de schnaps.

J’ai fait l’école de détectives Don Quichotte et j’ai eu une mention bien à l’option Noble Sentiment.

Je me réveillai l’esprit plus creux que la coque d’une pirogue taillée dans un tronc d’arbre

le cœur battant comme une fourchette qui monte des blancs d’œufs dans un bol

Quand vous adoptez un chat pour attraper les souris à la cuisine, vous ne pouvez pas l’empêcher d’aller courir après les rats du grenier.

Quand on attend, l’imagination prend peu à peu le pas sur tout le reste, et transforme votre cerveau en enfer

Il existe beaucoup de choses qui peuvent libérer l’homme, mais le travail n’en fait certainement pas partie

Dans cette clinique, la mort est à peu près le seul médicament disponible, vous savez.

Tome 2 : « La pale figure » (1994)

Résumé : Septembre 1938. Cependant que Berlin attend l’issue des pourparlers de Munich, le détective privé Bernhard Gunther est appelé par Frau Lange, une importante éditrice, qui subit un chantage relatif à son fils, homosexuel. Une dénonciation signifierait pour lui le camp de concentration. Au même moment, un ami policier propose à Gunther une autre mission, difficile à refuser : travailler pour les services du tout-puissant responsable nazi Heydrich, qui le lance sur la piste d’un tueur en série.

Au fil d’un thriller qui nous conduit des cliniques psychiatriques aux coulisses du pouvoir hitlérien, l’auteur de L’Eté de cristal — Prix du Roman d’aventures 1993 —ressuscite l’ambiance d’une ville où s’appesantit la folie totalitaire, avec une véracité et une précision saisissantes jusqu’au malaise.

Mon avis : J’aime toujours autant ses descriptions et son humour ! Nous sommes en 1938, le roman se passe deux ans après le tome 1. Il devient de plus en plus difficile de vivre librement dans l’Allemagne nazie. On en apprend beaucoup sur les rapports entre SS, les inimitiés, les trafics d’influence. Ca magouille beaucoup et je me demande ce qui est le plus important dans cette série : les crimes ou la description de la vie en Allemagne nazie ? Pour moi sans conteste la reconstitution de la vie en cette période noire de l’histoire.

Extraits :

Les adeptes de la pipe sont les champions du tripotage et de l’agitation futile, et représentent pour notre monde une calamité aussi grave qu’un missionnaire débarquant à Tahiti avec une valise de soutien-gorge.

Il arborait en effet un appendice nasal protubérant comme une aiguille de cadran solaire, qui déformait sa lèvre supérieure en un éternel sourire moqueur.

Un nazi tendance beefsteak ? Ça alors, ça me la coupe !
— Brun à l’extérieur, c’est vrai, dit-il. Quant à l’intérieur, je ne sais pas de quelle couleur je suis. En tout cas, pas rouge – je ne suis pas bolchevik. Mais pas brun non plus.

Elle devait avoir dans les 55 ans. Peu importe, à vrai dire. Lorsqu’une femme dépasse la cinquantaine, son âge n’a plus d’intérêt pour personne, sauf pour elle. Alors que pour les hommes, c’est exactement le contraire.

Mais il est vrai qu’il n’y a plus beaucoup de touristes ces temps-ci. Le national-socialisme en a fait un spectacle aussi rare que Fred Astaire en godillots.

leur sens de l’humour paraît cruel à qui ne le comprend pas, et encore plus cruel à qui le comprend.

Être cynique c’est, pour un détective, l’équivalent de la main verte pour un jardinier,

Retournez à votre poussière. C’est pas ce qui manque.

— Elle n’est pas en tenue pour recevoir des messieurs.
— Ça n’a aucune importance. Je n’ai apporté ni fleurs ni chocolats.

Les lois ne sont que des arceaux par lesquels nous devons faire passer le peuple, en le forçant plus ou moins. Et aucun mouvement n’est possible sans le maillet. Le croquet est un jeu parfait pour un policier.

L’information est le sang qui irrigue une enquête criminelle, et si cette information est contaminée, alors c’est toute l’enquête qui est empoisonnée.

On ne peut rien enseigner à celui qui ne veut pas apprendre.

Chacun d’entre nous est capable de cruauté. Chacun d’entre nous est un criminel en puissance. La vie n’est qu’une longue bataille pour conserver une enveloppe civilisée. L’exemple de nombreux tueurs sadiques montre que cette enveloppe ne se déchire que de temps en temps

Je préfère les tomates quand elles sont encore un peu vertes. Elles sont alors douces et fermes, avec une peau lisse et fraîche, parfaites pour la salade. Si on les laisse vieillir, elles se rident, deviennent trop molles pour être manipulées et prennent un goût amer.

C’est la même chose avec les femmes. Sauf que celle-ci était peut-être un peu trop verte pour moi, et sans doute trop fraîche pour son propre intérêt.

Dans l’intérêt de Baudelaire pour la violence, dans sa nostalgie du passé et dans sa révélation du monde de la mort et de la corruption, je percevais l’écho d’une litanie diabolique beaucoup plus contemporaine, j’y distinguais la pâle figure d’un autre genre de criminel, un criminel dont le spleen avait force de loi.

N’y a-t-il pas des tas de façons d’échapper à ce qui nous fait peur, et l’une des plus répandues n’est-elle pas la haine ?

… demandez aussi à un agent de nous préparer du café. Je travaille beaucoup mieux quand je suis réveillé.

Je préfère prendre des notes moi-même plutôt que d’avoir à déchiffrer ensuite les pattes de mouches d’une forme de vie encore primitive.

la matière grise est aussi rare que la fourrure sur un poisson.

Si vous voulez mon avis, dis-je, nous sommes tous dans la poche arrière de Hitler. Et il s’apprête à dévaler une montagne sur le cul.

Au contraire, il m’a paru avoir le sang-froid d’une couleuvre congelée.

Un flic qui n’obéit pas de temps en temps à une intuition ne prend jamais de risques. Et on ne résout jamais d’affaire sans prendre de risques.

La vérité toute nue, c’est qu’un homme qui se réveille le matin seul dans son lit pensera à une femme aussi sûrement qu’un homme marié pensera à son petit-déjeuner.

La pièce avait quelque chose de typiquement allemand, c’est-à-dire qu’elle était à peu près aussi intime et chaleureuse qu’un couteau suisse.

Cet homme avait le sang-froid d’un saumon de la Baltique, et il était tout aussi insaisissable.

Le pâle ciel d’automne était empli de l’exode de millions de feuilles que le vent déportait aux quatre coins de la ville, loin des branches qui leur avaient donné vie.

Tome 3 : « Un requiem allemand » (1995)

Résumé : C’est dans le Berlin de 1947 que nous retrouvons Bernie Gunther, le détective privé familier des lecteurs de L’Été de cristal (Prix du Roman d’aventures 1993). Un Berlin de cauchemar, écrasé sous les bombes, en proie au marché noir, à la prostitution, aux exactions de la soldatesque rouge… C’est dans ce contexte que Gunther est contacté par un colonel du renseignement soviétique, dans le but de sauver de la potence un nommé Becker, accusé du meurtre d’un officier américain. Mais quel rôle jouait au juste ce Becker – que Bernie Gunther a connu quelques années plus tôt ? Trafiquant ? Espion ? Coupable idéal ? A Berlin, puis à Vienne, tandis que la dénazification entraîne la valse des identités et des faux certificats, Bernie va devoir prouver que son passage sur le front de l’Est n’a pas entamé ses capacités. D’autant qu’il s’agit aussi de sauver sa peau…

Mon avis : Superbe trilogie. Quelle bonne nouvelle qu’il ait décidé de continuer les enquêtes de Bernie. J’ai dévoré les trois tomes et tout est bon. Et le personnage de Bernie me plait beaucoup.

Extraits :

Les mains tremblantes de fatigue, le cerveau douloureux comme si on me l’avait passé à l’attendrisseur, je me traînai jusqu’à mon lit avec la vivacité d’un bœuf en train de ruminer.

Les gens là-bas ressemblent à leur ville, dit-il en vérifiant sa tenue dans le reflet de la fenêtre. Tout est dans la façade. Il n’y a que la surface qui paraît intéressante. Dessous ils sont très différents.

Ce qui s’est passé n’est pas bien. Mais nous devons reconstruire, recommencer autre chose. On n’y arrivera jamais si la guerre nous colle à la peau comme une mauvaise odeur.

En ce moment, les seules femmes en qui on peut avoir confiance, ce sont les femmes des autres.

La plus terrible punition qu’inflige la Loi à un homme, c’est ce qu’elle déclenche dans son imagination

Quelqu’un qui savait s’orienter dans ces ruelles en ruine et qui connaissait bien ces traboules pouvait donner plus de fil à retordre à une meute de policiers que Jean Valjean à ses poursuivants.

Tel un homme qui s’est gavé de pruneaux au petit déjeuner, je me dis que quelque chose n’allait pas tarder à se produire

Le langage bureaucratique était la seule langue qu’un Britannique pourrait jamais parler en dehors de la sienne.

Celui qui désire être informé doit d’abord douter de tout. Le doute provoque des questions, et les questions demandent des réponses.

Les Viennois n’aiment rien autant qu’être douillettement installés. Ils recherchent ce confort dans les bars et les restaurants, au son d’un quatuor composé d’une contrebasse, d’un violon, d’un accordéon et d’une cithare, instrument étrange qui ressemble à une grande boîte de chocolats vide munie de trente ou quarante cordes disposées comme celles d’une guitare. Cette invariable combinaison d’instruments représentait à mes yeux tout ce que Vienne avait de faux et de frelaté, au même titre que le sentimentalisme sirupeux et la politesse affectée

Je ne pensais pas tomber amoureuse de lui, vous savez.

— On n’y pense jamais avant, dis-je. (Je remarquai que ma main s’était posée sur la sienne.) Ça vous tombe dessus. Comme un accident de voiture.

C’est une des choses que j’ai apprises dans ce boulot : quand t’as un doute, fais-le macérer dans l’alcool.

Il avait un tel accent bavarois que ses paroles semblaient surmontées d’un faux-col de mousse.

L’Allemagne n’aura peut-être plus jamais la primauté militaire, mais elle parviendra à la première place grâce à l’économie. C’est le mark, pas la svastika, qui soumettra l’Europe. Doutez-vous de mes prévisions ?

Je fouillai dans mon classeur mental. La plupart des fiches étaient éparpillées par terre, mais celles que je ramassai me rappelèrent quelque chose.

Vous autres Boches n’avez jamais entendu parler des capotes anglaises ?

— Les Parisians ? Bien sûr que si. Mais on ne les utilise pas. On les donne aux nazis de la Cinquième colonne qui percent des trous dedans et les refilent aux GI’s pour qu’ils chopent la vérole en baisant nos femmes.

 

 

Kerr, Philip Série Bernhard Gunther (La trilogie berlinoise et la suite)

One Reply to “Kerr, Philip « La trilogie berlinoise »”

  1. J’ai beaucoup aimé cette trilogie où l’histoire est omniprésente sans être une chape sur le déroulement des événements trépidants qui poussent et bousculent parfois l’intrépide Bernie personnage plein d’humour et de ressources .
    C’est un très bon livre qui retrace cette période très sombre et cruelle de l’Allemagne nazie
    Et on apprend beaucoup sur l’après guerre et sur les différents occupants et leur gestion de cet après guerre .
    En même temps que je le terminais est passé à la télévision française un documentaire de l’après ,Hitler qui corroborait ce que j’avais lu et lisais .

Répondre à Pastré Marie-Josèphe Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *