McConaghy, Charlotte « Je pleure encore la beauté du monde » (2024) 368 pages
Autrice : Scénariste de formation, Charlotte McConaghy est l’autrice d’un précédent titre, Migrations (Lattès, 2021), traduit dans une vingtaine de langues. Elle vit à Sydney, en Australie. Je pleure encore la beauté du monde a figuré dans les classements des meilleures ventes du New York Times, du Washington Post et du Los Angeles Times.
Romans:
Migrations (2021) – Je pleure encore la beauté du monde » (2024) – Wild Darl Shore (03.2025)
Actes-Sud / Gaïa – 07.02.2024 – 368 pages – (Once there were wolves) traduit par Marie Chabin
Résumé:
Inti Flynn, une jeune biologiste, arrive en Ecosse pour diriger une équipe de scientifiques chargés de réintroduire le loup dans les Highlands. Ses efforts pour réensauvager la nature meurtrie se heurtent rapidement à l’hostilité des locaux, inquiets pour leur sécurité et celle de leur bétail. Quand elle découvre le corps atrocement mutilé d’un éleveur quelques jours après avoir relâché les premiers loups dans la forêt, Inti comprend que les coupables seront vite désignés. Sans réfléchir, elle fait disparaître le cadavre. Mais si les loups n’ont rien à voir avec tout ça, quel monstre rôde donc dans les forêts ?
Mon avis:
Peut-être LE coup de coeur de l’année pour de livre qui traite à la fois d’écologie, de la réintroduction de loups en Ecosse pour réensauvager la nature qui est totalement détruite par les cervidés qui broutent tout et empêchent la foret de pousser, d’amour, de sentiments fusionnels entre les humains, la nature et les animaux, d’amour romantique, de violence, de sonorité, de peur…
Deux soeurs jumelles, Inti et Aggie sont les deux personnages principaux du roman. Inti ressent les vibrations de la nature, des êtres, des animaux; elle est atteinte de synesthésie visuo-tactile, un don ? Pas certain. Ce qu’elle voit, elle le ressent; si quelqu’un se blesse, elle a mal à l’endroit exact de la blessure. Et il en va de même avec toutes les créatures vivantes. Elle se glisse dans la peau des êtres humains, ressent ce qu’ils ressentent, leur peur, leur douleur, leurs faiblesses. Elle est pleine de compassion ce qui ne peut que la fragiliser si elle ne se construit pas une armure. Mais ce don est en même temps une malédiction…
Quant à Aggie, elle a une relation particulière avec le langage; elle n’a pas besoin de parler pour communiquer.
Les deux soeurs sont inséparables; elles vivent entre chez leur père, qui habite dans la nature en Colombie-Britannique et est un ancien bucheron reconverti en défenseur de la nature et leur mère, qui vit en ville et travaille dans la police : deux conceptions diamétralement opposées de la vie. Le père fait corps avec la nature, les animaux, les arbres, les couleurs (la nomenclature des couleurs de Werner) la mère est pragmatique.
Le roman nous conforte dans l’importance des interactions entre les animaux et la nature et parle de l’impact de la chaine animale sur la biodiversité, la renaturation qui est primordiale pour freiner le réchauffement climatique, l’importance de la régularisation des espèces par la prédation naturelle. Le loup mange les cervidés qui arrêtent de brouter toutes les jeunes pousses et permet à la nature de reverdir, aux arbres rue repousser, à l’écosystème de se reconstruire. Les animaux réinvestissent les lieux et l’exploitation démesurée de la nature par les humains recule.
Mais les éleveurs de bétail ne voient pas la réintroduction du loup du même oeil : ils ont peur.
Après avoir passé plusieurs années avec sa soeur , le mari de celle-ci et les biologistes Evan et Niels (qui rejoignent son équipe en Ecosse après avoir fait partie de l’équipe de biologistes qui travaillait avec les loups en Alaska), Inti va partir en Ecosse pour ré-implanter le loup dans le paysage de la chaine de montagne des Cairngorms, dans les Highlands écossais. Comment va se passer cette implantation ? Les loups vont-ils accepter d’être relâchés dans la nature? Les habitants – qui sont pour la plupart hostiles au projet – vont-ils les massacrer pour se protéger?
A cela s’ajoute un meurtre, une disparition, des relations homme/femme parfois toxiques et parfois fusionnelles ; et je m’arrête là pour ne pas divulgâcher et vous donner envie de découvrir cette pépite.
Extraits:
On chasse seulement ce qu’il nous faut et on participe à l’écosystème. Aussi, on cultive ce qu’on mange et on vit autant que possible en autosuffisance.
— Vous êtes avec les loups ? insiste-t-il et je m’arrête net. On nous a prévenus qu’une Australienne allait bientôt débarquer. C’est quoi, le but de la manœuvre ? Vous n’avez pas assez de koalas à cajoler, c’est ça ?
— En quelque sorte, oui. La plupart sont morts dans des feux de brousse.
“La forêt a un cœur battant que nous ne voyons pas”, nous avait dit papa un jour. Il était allongé par terre à plat ventre et nous l’avions imité, les mains posées sur le sol tiède et les oreilles plaquées sur le tapis végétal des sous-bois, aux aguets. “Il est là, juste en dessous. C’est comme ça que les arbres bavardent entre eux et qu’ils prennent soin les uns des autres. Leurs racines s’entremêlent, des dizaines d’arbres avec d’autres dizaines qui tissent une toile et qui se touchent encore et encore, et qui se parlent à voix basse grâce à leurs racines. Ils se préviennent en cas de danger et se partagent la nourriture. Ils sont comme nous. Une famille. Plus forts ensemble. Personne ne peut supporter cette vie seul.
— Ce qui est dangereux, dis-je, c’est la propagation injustifiée de la peur.
Il existe des langues dépourvues de mots et la violence en est une.
Notre monde n’est pas doux avec les loups : quand ils ne meurent pas de faim ou de maladie, qu’ils ne périssent pas dans des affrontements avec d’autres meutes ou des accidents tragiques, ils sont abattus par les humains.
Les monstres n’ont sûrement plus de secrets pour vous, l’amie des loups.
— Je n’en ai jamais croisé en pleine nature. Parce qu’il n’y en a pas.
Le vent chuchota entre les branches nues et sur mes paupières, mes lèvres. Un baiser. Je l’entendais presque respirer, sentais presque les battements de son cœur en dessous, autour et au-dessus de moi, le langage le plus ancien de tous.
La peur génère le danger, qu’il ait été déjà là ou pas.
J’ai les loups. Je suis là pour travailler.
— Ils sont plus dangereux que nous.
— Tu crois ? Ils sont plus sauvages, ça c’est sûr.
— Ce n’est pas la même chose ?
— Je ne crois pas. Je crois que c’est la civilisation qui nous rend violents. On se contamine mutuellement.
— Je trouve ça intéressant de savoir que certaines espèces du monde animal se transmettent des souvenirs et qu’une partie de ces souvenirs est enfouie si profondément qu’ils ne sont pas seulement gravés dans l’esprit mais dans le corps de l’individu.
Les traumatismes engendrent de nouveaux modèles comportementaux.
— Je ne savais pas… que ça pouvait arriver à quelqu’un. De s’éteindre comme une bougie qu’on souffle. Je ne savais pas qu’on avait le pouvoir de se démolir les uns les autres.
Ces arbres sont les descendants directs de l’ère glaciaire. Les premiers conifères d’Écosse sont arrivés autour de l’an 7000 avant J.-C., et voici ce qu’il en reste, une chaîne d’évolution ininterrompue.
À partir du moment où vous décidez avec votre cœur de régénérer un coin de nature, eh bien c’est votre être tout entier que vous allez régénérer.
Telles sont les anciennes croyances de Samhain, la fête gaélique de la fin des récoltes marquant le début de la moitié sombre de l’année, l’arrivée du froid. Au crépuscule, un énorme feu de joie est allumé dans un champ à la lisière de la ville. Des gens arborant des déguisements effrayants débarquent des quatre coins des Cairngorms.
Mais si on veut recevoir de la confiance, il faut d’abord en offrir.
Dans les remerciements:
Bien que l’Écosse n’ait pas encore pris d’initiative en faveur de la réintroduction des loups, j’espère de tout cœur que les habitants de ce pays – ainsi que tout le reste du monde et plus particulièrement l’Australie, ma terre natale – conduiront bientôt des actions de régénération et peut-être commencerons-nous alors, au travers de tels programmes, à nous régénérer nous-mêmes.
Information :
2021 : La Scottish Rewilding Alliance (SWA), qui regroupe plus de 20 organisations de protection de la nature, a demandé au gouvernement écossais de soutenir un projet visant à réserver un tiers des terres publiques à la nature.
L’Ecosse va réintroduire les loups ! « Aujourd’hui, il ne reste plus que 1% des pinèdes indigènes des Highlands, et de nombreuses espèces endémiques de la région ont disparu depuis longtemps. Les ours ont disparu il y a plus de mille ans. Les registres officiels indiquent que le dernier loup écossais a été tué en 1680 à Killiecrankie, un village de Perth et Kinross situé sur la rivière Garry, mais certains rapports indiquent que des loups ont survécu en Écosse jusqu’au 18e siècle et qu’ils ont peut-être même été vus jusqu’en 1888. La réintroduction de loups dans les Highlands écossais a été proposée pour la première fois à la fin des années 1960, mais l’idée n’a commencé à bénéficier d’une plus grande publicité et d’un plus grand soutien qu’après la réintroduction de loups rouges dans le sud-est des États-Unis en 1987 et de loups gris dans le parc national de Yellowstone en 1995», – rapporte Natural Habitat Adventures
Source et Photo : site Web wolfproject fr