Cayre, Hannelore «Richesse oblige» (2020) 224 pages

Cayre, Hannelore «Richesse oblige» (2020) 224 pages

Autrice : Hannelore Cayre est une romancière, scénariste et réalisatrice française, née le 24 février 1963 à Neuilly-sur-Seine1. Elle est également avocate à la cour d’appel de Paris en tant que pénaliste et collabore à la Revue XXI.
Après sa série Christophe Leibowitz, elle publie en 2012 Comme au cinéma – Petite fable judiciaire. En 2017, « La Daronne » obtient le Prix Le Point du polar européen et sera adapté au cinéma. En 2020 elle publie « Richesse oblige » et en 2024 « les Doigts coupés ». 

Editions Métailié noir  – 05.03.2020 – 224 pages / Points Poche – 17.06.2021 – 240 pages
Prix du noir historique 2020 – Les rendez-vous de l’histoire de Blois pour Richesse oblige

Résumé:

Dans les petites communautés, il y en a toujours un par génération qui se fait remarquer par son goût pour le chaos. Pendant des années l’engeance historique de l’île où je suis née, celle que l’on montrait du doigt lorsqu’un truc prenait feu ou disparaissait, ça a été moi, Blanche de Rigny. C’est à mon grand-père que je dois un nom de famille aussi singulier, alors que les gens de chez moi, en allant toujours au plus près pour se marier, s’appellent quasiment tous pareil. Ça aurait dû m’interpeller, mais ça ne l’a pas fait, peut-être parce que notre famille paraissait aussi endémique que notre bruyère ou nos petits moutons noirs… Ça aurait dû pourtant…

Au XIXe siècle, les riches créaient des fortunes et achetaient même des pauvres afin de remplacer leurs fils pour qu’ils ne se fassent pas tuer à la guerre. Aujourd’hui, ils ont des petits-enfants encore plus riches, et, parfois, des descendants inconnus toujours aussi pauvres, mais qui pourraient légitimement hériter ! La famille de Blanche a poussé tel un petit rameau discret au pied d’un arbre généalogique particulièrement laid et invasif qui s’est nourri pendant un siècle et demi de mensonges, d’exploitation et de combines. Qu’arriverait-il si elle en élaguait toutes les branches pourries ?

Mon avis:
Comme les autres romans de cette autrice, jubilatoire ! Délicieusement incorrect et parfaitement actuel politiquement, à un siècle et demi d’écart… l’Histoire a un sacré goût de déjà vu… 
Et l’autrice frappe fort et juste! Toujours avec son style bien à elle, enlevé, mordant, et en abordant avec humour et ironie des thèmes sociaux bien présents dans la société actuelle ( l’argent, la cause animale, le regard sur le handicap, le trafic d’êtres humains, la corruption…)

Coté Histoire : La Commune de Paris, les années 1870, Adolphe Thiers… L’occupation prussienne de Saint-Germain-en Laye… C’est un pan de l’Histoire que je ne retrouve pas souvent dans les romans. Il y a bien sur le livre de Hervé Le Corre «Dans l’ombre du brasier» et la série « Les Enquêtes de Victor Dauterive » de Jean-Christophe Portes mais c’est assez rare me semble-t-il.. 

Coté intrigue : l’histoire de la famille de Rigny et la recherche de Blanche pour reconstituer l’arbre généalogique de la famille de Rigny, quand elle se rend compte qu’il lui manque un petit rameau et que cette branche en moins pourrait bien la rendre très très riche… 

Je ne veux pas vous en dire plus pour ne pas gâcher la découverte… Sachez simplement qu’il fait partie des romans que je n’ai pas lâché. Vivant ! Instructif ! Historique! Tout pour me plaire. 

J’ai également appris ce qu’était le syndrome de Marfan… 

Extraits:

Tant que j’étais en centre de rééducation ou que je rentrais sur l’île, tout allait bien, mais lorsque j’ai dû affronter la vraie vie sur le continent, le bloc de connerie adolescente conjugué à la pensée binaire du lycée, ça a été une autre paire de manches. Avec mes béquilles et mes jambes appareillées, comme je peinais à être un “1”, j’étais un “0”, une carotte biscornue toujours mise de côté parce qu’elle n’entrait pas dans les normes de calibrage. Un légume moche bon pour la poubelle.

Il faut dire qu’hors saison, il règne sur l’île une atmosphère si lugubre qu’il faut vraiment une bonne raison pour ne pas fuir sur le continent. On pourrait croire qu’une ambiance pareille décourage les touristes ; au contraire, ça les attire. C’est même la période préférée des paumés dépressifs en quête d’authenticité qui viennent se ressourcer au contact des rochers, de la mer déchaînée et des paquets de flotte.

Aux censeurs de droite qui m’accuseraient de fausser le jeu économique ou voudraient m’interdire de vivre comme je vis, aux gentilles personnes de gauche qui pour mon bien seraient tentées de me faire la morale ou de m’asséner des messages de prévention débiles, je répondrais que, lorsqu’il n’y a pas de victime à une infraction, si ce n’est ni le corps d’autrui, ni ses biens, ni ses droits qui sont en danger, alors c’est l’Ordre que l’on cherche à protéger, et l’Ordre, ça fait très longtemps que je l’emmerde… Et à ce que je sache, ce n’est pas moi qui ai créé ce statut merdique d’autoentrepreneurs… Et qu’on ne vienne surtout pas me parler à propos des stups, de santé publique, vu ce qu’on mange et ce qu’on respire tous les jours.

La taille réglementaire des recrues s’était abaissée de 14 centimètres depuis Louis XIV en raison des nombreux conflits avec l’Angleterre et l’Autriche et surtout des campagnes napoléoniennes grandes consommatrices de jeunes mâles en bonne santé. Compte tenu de la pénurie de beaux gaillards, on était donc devenu beaucoup moins exigeant : un jeune devait à présent mesurer 5 pieds 1 pouce, soit 1 mètre 55 au minimum pour être enrôlé.

Elle m’a aidée à apprivoiser mon nouveau corps. Plus exactement, elle m’a appris à choyer cette vieille guimbarde pourrie qui me servirait dorénavant à continuer ma route. Pas une autre. Jamais une autre.

Il est à noter, et je l’ai appris en me documentant sur la question, qu’il s’agissait là, à la veille de la guerre de 1870, du seul moment de l’histoire où le cours du pauvre est parvenu à un tel niveau. C’est également au XIXe siècle, avec l’apparition du capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, que des philosophes, notamment Engel et Marx, ont commencé à réfléchir à la notion de réification de l’être humain. Outre les esclaves de l’Antiquité et du Nouveau Monde, qui n’étaient pas considérés par le droit comme des personnes, mais comme des biens meubles, la possibilité de fixer un prix pour un homme a été officialisée lorsque la loi Gouvion-Saint-Cyr est venue encadrer en 1818 la pratique du remplacement militaire qui se faisait déjà depuis l’an VI, mais qui avait donné lieu à moult procès et scandales.

Des gens avec des corps moches, abîmés par le travail et la mauvaise nourriture, offusquant les beaux endroits par leur seule déambulation. Des gilets jaunes du XIXe siècle.

Il suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans sa chair que ce début de XXIe siècle prenait des airs de XIXe. Il y avait bien sûr la disparition progressive des services publics, mais pas seulement. 

La lecture du Père Goriot avec ses impayables conseils de Vautrin à Rastignac pour gravir l’échelle sociale devenait ultra branchée et la vision méritocratique du monde, complètement ringarde.

les êtres humains, peu importait leur rang, coopéraient depuis 3 millions d’années lorsqu’ils étaient en période de stress et qu’au contraire ça se passerait très bien. Il suffisait d’observer leur comportement pendant les grandes catastrophes : il en sortait toujours de l’auto-organisation, du calme, de l’entraide et de l’altruisme, peu importait le milieu social dont ils étaient issus. Ouais, bon, c’est vrai, mais pour arriver à ça, il fallait que ça aille vraiment très très mal.

One Reply to “Cayre, Hannelore «Richesse oblige» (2020) 224 pages”

  1. Ces deux histoires que 150 ans séparent m’ont captivée jusqu’au dénouement. L’auteure reste déjantée, talentueuse et drôle. J’adore cette romancière !

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