De Vigan, Delphine « Les enfants sont rois » (2021) 368 pages

Autrice : Née le 1er mars 1966 à Boulogne, Delphine de Vigan est une romancière et réalisatrice française. Après avoir accumulé divers petits emplois, elle a atterri sur un poste de cadre dans un institut de sondage à Alfortville. Mère de deux enfants, l’écrivain ne vit que de sa plume depuis 2007.. Delphine de Vigan est notamment l’auteur de No et moi, Rien ne s’oppose à la nuit, D’après une histoire vraie (prix Renaudot et Goncourt des lycéens), Les loyautés et Les gratitudes. Ses romans sont traduits dans le monde entier.
Ses romans : 2001 : Jours sans faim (sous le pseudonyme de Lou Delvig) – 2005 : Les Jolis Garçons, – 2005 : Un soir de décembre – 2007 : No et moi (Prix des libraires 2008 – Prix du Rotary International 2009) – 2008 : Sous le manteau – 2009 : Les Heures souterraines – 2011 : Rien ne s’oppose à la nuit – 2015 : D’après une histoire vraie (prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens) – 2018 : Les Loyautés – 2019 : Les Gratitudes – 2021 : Les enfants sont rois –
Gallimard – 04.03.2021 – 347 pages / Folio – 11.08.2022 – 368 pages
Résumé:
« La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s’étonna de l’autorité qui émanait d’une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l’obscurité. « On dirait une enfant », pensa la première, « elle ressemble à une poupée », songea la seconde. Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire ».
A travers l’histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d’une époque où l’on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s’expose et se vend, jusqu’au bonheur familial.
Mon avis:
Deux femmes , deux personnalités totalement opposées.
Il y a Clara Roussel, employée à la Criminelle et Mélanie Claux, femme au foyer qui utilise de ses enfants pour gagner de l’argent sur des chaines vidéo sur Internet.
Le jour où la petite fille de Mélanie Claux disparaît , Clara Roussel va mener l’enquête et découvrir le monde parallèle qu’est l’univers des réseaux sociaux, de l’exposition volontaires des personnes au regard des autres. Il faut dire que nous avons assisté à la naissance de cette culture avec l’émission « le Loft » sur M6. L’envie de certaines personnes de devenir connues et reconnues via l’exposition de leur vie sur le petit écran, puis sur internet via les réseaux sociaux et les chaines YouTube. Mais cette exposition n’est pas sans risques et c’est ce que Mélanie Claux va découvrir. L’argent qu’elle gagne en exposant ses enfants crée fatalement des ennemis, des jaloux, des personnes horrifiés de voir des parents exposer la vie des enfants et les contraindre (?) à jouer de leur image devant la caméra pour faire la promotion de certaines marques.
On ne compte plus le nombre de ces émissions de télé-réalité … Loft Story, L’île de la tentation, Balchelor, Rendez-vous dans le Noir, Les anges de la télé-réalité, Secret Story, Koh-Lanta
Un monde d’apparence… une image que l’on ne peut pas maitriser, un monde en quelque sorte parallèle, virtuel, fabriqué de toutes pièces… Des dangers et des dérives impossibles à maitriser.. Des chaines d’enfants, l’exploitation commerciale des enfants, les enfants influenceurs, les abus de pouvoir, les enfants manipulés et transformés en petites poupées ou en singes savants, en animaux de cirque; les enfants stars..
Mais il y a l’envers du décor : les dégâts que cela peut produire sur les stars de cette « vitrine », tant sur les personnes qui rêvent de cet amour, qui cherchent par ce moyen à être aimées, que sur les enfants qui sont poussées dans ce monde par des adultes qui pensent bien faire ( et qui pensent aussi à gagner de l’argent et une notoriété). Cet mise en avant peut détruire, attirer la haine, la malveillance, des troubles psychologiques …
J’ai beaucoup aimé le personnage de la procédurière de police, Clara Roussel et l’opposition entre les personnalités des deux femmes, qui toutes deux souffrent de solitude mais l’abordent de manière totalement différente. Un livre interessant que je conseille vivement et ne peut pas laisser indifférent. Delphine de Vigan dépeint une réalité effrayante, qui va bien au-delà des pires aspects de 1984… Un constat édifiant et qu’il faut prendre en compte !
Extraits:
Le Loft : Pendant plusieurs semaines, des sociologues, des anthropologues, des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes, des journalistes, des éditorialistes, des écrivains, des essayistes avaient décortiqué le programme et son succès.
« Il y aura un avant et un après », avait-on lu ici ou là.
L’arrivée de nouveaux supports accélérerait bientôt le phénomène. Dorénavant, chacun existerait grâce à la multiplication exponentielle de ses propres traces, sous forme d’images ou de commentaires, traces dont on ne tarderait pas à découvrir qu’elles ne s’effaceraient pas. Accessibles à tous, Internet et les réseaux sociaux prendraient bientôt le relais de la télévision et décupleraient le champ des possibles. Se montrer dehors, dedans, sous toutes les coutures. Vivre pour être vu, ou vivre par procuration.
Dix années comme un coup de vent ou un coup de matraque, de celles sur lesquelles on se retourne, étourdi, groggy, sans comprendre ce qui s’est passé.
Devenir flic – puis le rester – s’était accompagné d’une modification progressive de sa manière de penser. Le soupçon et la méfiance s’étaient immiscés dans ses rouages mentaux, avaient colonisé ses affects, s’y étaient propagés comme une maladie lente et inéluctable. Douter, remettre en question, sans cesse, c’était son métier. Chercher la faille, l’incohérence, le mensonge. Penser à rebours des évidences, des intuitions, des impressions. Traquer les zones d’ombre et les replis. « Cela altère en profondeur ma façon de voir », avait-elle souvent constaté.
Elle rêvait d’un monde de solidarité et d’échanges. Un monde dont elle serait la reine.
Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait en une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother n’avait pas eu besoin de s’imposer. Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau.
Entouré d’objets connectés, il se vit comme un objet lui-même, commandé à distance par une instance invisible et malfaisante. Le patient peut aller jusqu’à entendre des voix qu’il croit directement produites dans son cerveau par différents systèmes de transmission, tandis que ses souvenirs lui apparaissent comme des images implantées à son insu. Il est alors persuadé qu’aucun organe de son corps ne peut échapper à cette emprise.
Image : Loft Story