Khadra, Yasmina « Coeur-d’amande » (RLE2024) 320 pages

Auteur : Yasmina Khadra (en arabe : ياسمينة خضراء) est le nom de plume de l’écrivain algérien Mohammed Moulessehoul (en arabe : محمّد مولسهول), né le 10 janvier 1955 à Kenadsa, dans l’actuelle wilaya de Bechar dans le Sahara algérien. Ce pseudonyme est composé des deux prénoms de son épouse. Consacré à deux reprises par l’Académie française, salué par des prix Nobel (Gabriel Garcia Marquez, J. M. Coetze, Orhan Pamuk), Yasmina Khadra est traduit dans une cinquantaine de pays et a su toucher des millions de lecteurs. Adaptés au théâtre (en Amérique latine, Europe et Afrique) et en bandes dessinées, certains de ses livres sont aussi portés à l’écran (Morituri ; Ce que le jour doit à la nuit ; L’Attentat). Les Hirondelles de Kaboul est en cours de réalisation en film d’animation par Zabou Breitman. Yasmina Khadra a aussi co-signé les scénarios de La Voie de l’ennemi, avec Forest Whitaker et Harvey Keitel, et de La Route d’Istanbul, tous deux réalisés par Rachid Bouchareb. Ce que le jour doit à la nuit a été adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012. L’Attentat a reçu, entre autres, le prix des Libraires 2006 et a été traduit dans 36 pays. Son adaptation cinématographique par Ziad Doueiri est sortie sur les écrans en 2013. À 63 ans, Yasmina Khadra prône l’éveil à un monde meilleur, malgré le naufrage des consciences et le choc des mentalités.
Ses principaux écrits : Le Dingue au bistouri, 1990 – La Foire des enfoirés, 1993 – Morituri, 1997 – L’Automne des chimères, 1998, – Double blanc, 1998 – À quoi rêvent les loups, 1999 – Les Agneaux du Seigneur, 1998 – L’Écrivain, 2001 – L’Imposture des mots, 2002 – Les Hirondelles de Kaboul, 2002 – Cousine K, 2003 – La Part du mort, 2004 – La Rose de Blida, 2005 – L’Attentat, 2005 – Les Sirènes de Bagdad, 2006 – Ce que le jour doit à la nuit, 2008 – L’Olympe des infortunes, 2010 – L’Équation africaine, 2011 – Les anges meurent de nos blessures 2013 – Qu’attendent les singes 2014 – La Dernière Nuit du Raïs 2015 – Dieu n’habite pas La Havane 2016 – Ce que le mirage doit à l’oasis 2017 – Khalil 2018 – Le Sel de tous les oublis 2020 – Pour l’amour d’Elena 2021 – Les Vertueux 2022 – Coeur d’amande 2024. (en italique ceux que j’ai lus avant la création du blog)
Mialet Barrault – 21.08.2024 – 320 pages
Résumé:
« J’ai souvent touché le fond, sauf qu’à chaque tasse bue, je remonte plus vite qu’une torpille. Renié par ma mère pour anormalité physique, je me réinvente au gré de mes joies. J’aime rire, déconner, me faire mousser et rêver de sacres improbables. J’ai appris une chose dans la vie – pour se dépasser, il faut savoir prendre son pied là où l’on traîne l’autre. Même avec des béquilles ou avec des prothèses, je continuerai de marcher dans les pas du temps en randonneur subjugué.
Je ne lâche rien. » Hymne au courage d’être soi, à l’amour et à la solidarité inoxydable des « gens du quartier », Coeur-d’amande est une formidable bouffée d’air dans un monde en apnée.
Mon avis:
Avec Nestor (Ness) ou Coeur-d’amande, je vous invite à un petit tour à Montmartre, à Barbès, au Parc Monceau, dans le Sud de la France : Coeur-d’amande, comme cette pâtisserie qui fond tout en douceur…
Ness est a la fois une boule de douceur – un concentré d’amour, de tendresse, d’empathie – et une mini force de la nature : petit par sa taille mais grand par sa force de caractère et son envie de croquer la vie à pleines dents, son énergie à aller de l’avant, son refus de se laisser abattre par la vie, par ceux qui l’entourent et par la vie tout simplement. C’est un livre sur la différence et le refus de se laisser complexer, sur la volonté de croire en l’avenir . Il y a tellement de tendresse, de douceur, d’empathie, de tristesse, de détresse fasse à l’impuissance, d’amour et de l’humour, pour ne pas tomber dans la sensiblerie…
Nestor, il avait tout pour baisser les bras et s’apitoyer sur son sort … Lui qui n’est déjà pas gâté par la nature et par la vie – sa mère n’en a pas voulu et son père s’est tiré – se retrouve sans travail, voit sa grand-mère – sa seule famille – avec laquelle il vit, sombrer dans la démence sénile, risque de se retrouver à la rue et sans un sous… et il résiste, se bat et ne baisse pas les bras. Sa relation avec sa mamie est tellement forte et touchante, lui qui ne veut pas la laisser partir vers un monde dont il est effacé par une mémoire qui s’effiloche …
Comme c’est un gentil, il est apprécié par les habitants du quartier qui sont là pour l’aider, le passer en avance, le soutenir, et tout simplement l’aimer d’amitié.
Ce livre est un soleil dans la morosité ambiance, une envie de croire à la petite étoile qui devrait briller sur chacun d’entre-nous, au bon coté des choses et des gens…
Ce livre dit qu’il faut se battre, qu’il faut y croire, suivre ses envies, ses rêves, et que tout peut arriver si on y croit vraiment.
Alors oui, c’est peut-être trop beau pour être vrai, mais c’est tellement réconfortant par les temps qui courent de penser que le bien peut vaincre le mal, que le bon peut terrasser le méchant et que la lumière (ou du moins la lueur) peut-être au bout du chemin !
Il y a les Khadra violents et agressifs, et les Khadra doux et émouvants, poétiques et tendres, mais avec une constance commune : ils sont toujours empreints d’humanité, de compréhension et de chaleur humaine.
Extraits:
Ce fut ce jour-là que j’ai décidé de ne voir que le bon côté des choses et je me suis promis de garder le cap contre vents et marées et le sourire jusque dans l’infortune.
Il n’y a pas de risque non négociable pour celui qui veut vivre pleinement sa vie.
Son étreinte est aussi douloureuse qu’une crampe. Tout son espoir pèse dessus.
Elle ne fait même pas attention à moi. Elle me sourit, mais ne me voit pas ; me parle sans s’adresser à moi, captive de ses vieux souvenirs. Elle se raconte à elle-même, retranchée dans un monde qui n’appartient qu’à elle (…)
J’ai peur… peur des jours qui passent et qui ne se retournent pas… peur de ces épilogues qui nous excluent de notre propre histoire… peur de ce temps vache qui est appelé, un jour, à nous déposséder de ce que nous avons de plus précieux au monde et contre lequel on ne peut rien.
Si les Arabes avaient tenu leur langue, jamais ils n’auraient inventé le téléphone.
Il est des moments où toutes les étoiles se décrochent du ciel et tombent en poussière telles des prières irrecevables ; des moments où les rêves qu’on engrange dans un coin de sa petite tête se défont aussi misérablement qu’un nœud coulant raté. D’un coup, tout ce qui a illuminé nos horizons fiche le camp ; ne reste que l’épreuve de notre impuissance.
Des années durant, les écrivains furent nos proches, nos confidents, les artisans de nos rêveries de reclus. Je suis certain que ce sont désormais eux qui peuplent son silence, qui la retiennent en otage en m’interdisant de l’approcher. « Le meilleur ami de l’Homme, ce n’est pas le cheval ni le fusil ni le chien, qu’elle me rappelait sans cesse. Le meilleur ami de l’Homme est le livre. Il ne demande pas grand-chose, le livre, ni que tu l’emmènes chez le vétérinaire ni que tu lui donnes à manger. Il est là, sur une étagère, à prendre la poussière. Tu l’ouvres, et il déploie le monde devant toi, te transporte, tel un tapis volant, vers des contrées insoupçonnables, te fait aimer des êtres de fiction qui deviennent de vraies personnes pour toi et qui te parlent autant que je te parle.
Il est important de savoir de quoi on est faits dans ce monde merdique. On est qu’une idée, mon gars, une seule et unique misérable saloperie d’idée. L’idée que l’on se fait de soi ou bien l’idée que les autres se font de nous. Avec laquelle tu veux vivre ?
Qalb Llouz, un sobriquet que m’ont donné les Maghrébins de Barbès en référence à une pâtisserie de chez eux très prisée pendant le ramadan.
— Qui signifie… ?
— Cœur-d’amande.
— Pourquoi tu la conjugues au passé ?
— Parce que les souvenirs ne se conjuguent pas au présent.
Il n’y a rien de contre-nature en amour. Lorsque deux adultes sont consentants, ils emmerdent pape et consorts. Si les préjugés ont la peau dure, on n’a qu’à leur pisser dessus pour les ramollir. Ce qui est contre-nature, ce sont les essais nucléaires, la déforestation, la pollution, la famine, les guerres.
Tant de gens se sont cherchés là où ils ne figurent pas et ont fini par se perdre totalement de vue. J’ai toujours gardé un œil sur moi afin de rester à ma place.
Les méchants sont une minorité. À force de ne voir qu’eux, on croit que le monde leur ressemble.
— Pourquoi ils sont méchants ?
— C’est parce qu’ils ne savent pas s’émerveiller…
À force de répéter « ça marche », tu finiras par aller de l’avant.
Chaque jour qui s’en va s’empare de ce qu’il a à sa portée.
La vie n’est qu’une quête de soi et d’un soupçon de bonheur. Celui qui y cherche autre chose ne rattrapera même pas l’ombre de lui-même.