Khadra, Yasmina «Les vertueux» (RL2022) 544 pages

Khadra, Yasmina «Les vertueux» (RL2022) 544 pages

Auteur : Yasmina Khadra (en arabe : ياسمينة خضراء) est le nom de plume de l’écrivain algérien Mohammed Moulessehoul (en arabe : محمّد مولسهول), né le 10 janvier 1955 à Kenadsa, dans l’actuelle wilaya de Bechar dans le Sahara algérien. Ce pseudonyme est composé des deux prénoms de son épouse. Consacré à deux reprises par l’Académie française, salué par des prix Nobel (Gabriel Garcia Marquez, J. M. Coetze, Orhan Pamuk), Yasmina Khadra est traduit dans une cinquantaine de pays et a su toucher des millions de lecteurs. Adaptés au théâtre (en Amérique latine, Europe et Afrique) et en bandes dessinées, certains de ses livres sont aussi portés à l’écran (Morituri ; Ce que le jour doit à la nuit ; L’Attentat). Les Hirondelles de Kaboul est en cours de réalisation en film d’animation par Zabou Breitman. Yasmina Khadra a aussi co-signé les scenarios de La Voie de l’ennemi, avec Forest Whitaker et Harvey Keitel, et de La Route d’Istanbul, tous deux réalisés par Rachid Bouchareb. Ce que le jour doit à la nuit a été adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012. L’Attentat a reçu, entre autres, le prix des Libraires 2006 et a été traduit dans 36 pays. Son adaptation cinématographique par Ziad Doueiri est sortie sur les écrans en 2013. À 63 ans, Yasmina Khadra prône l’éveil à un monde meilleur, malgré le naufrage des consciences et le choc des mentalités.

Ses principaux écrits : Le Dingue au bistouri, 1990 – La Foire des enfoirés, 1993 – Morituri, 1997 – L’Automne des chimères, 1998, – Double blanc, 1998 – À quoi rêvent les loups, 1999 – Les Agneaux du Seigneur, 1998 – L’Écrivain, 2001 – L’Imposture des mots, 2002 –  Les Hirondelles de Kaboul, 2002 – Cousine K, 2003 – La Part du mort, 2004  – La Rose de Blida, 2005 – L’Attentat, 2005 – Les Sirènes de Bagdad, 2006 – Ce que le jour doit à la nuit, 2008 – L’Olympe des infortunes, 2010 – L’Équation africaine, 2011 –  Les anges meurent de nos blessures 2013 – Qu’attendent les singes 2014 – La Dernière Nuit du Raïs 2015 – Dieu n’habite pas La Havane 2016 – Ce que le mirage doit à l’oasis 2017 – Khalil  2018 – Le Sel de tous les oublis 2020 – Pour l’amour d’Elena 2021 – Les Vertueux 2022
(en italique ceux que j’ai lus avant la création du blog)

Mialet Barrault – 24.08.2022 – 544 pages

Résumé:
Algérie, 1914. Yacine Chéraga n’avait jamais quitté son douar lorsqu’il est envoyé en France se battre contre les « Boches ». De retour au pays après la guerre, d’autres aventures incroyables l’attendent. Traqué, malmené par le sort, il n’aura, pour faire face à l’adversité, que la pureté de son amour et son indéfectible humanité.

Un roman majeur dans l’œuvre de Yasmina Khadra et une plongée surprenante dans l’Algérie de l’entre-deux-guerres.

Mon avis:
Ah quel pur bonheur de retrouver le Khadra conteur, poétique. (Je recopie ce que j’avais écrit comme note de lecture de « Ce que le jour doit la nuit » : La langue est ciselée, il est touchant, il a des talents de conteur… Je savoure chaque paragraphe. )
Yacine est un jeune fermier qui travaille dur pour aider sa famille à vivre. Il a une grande famille, son père est manchot et chose rare, il sait lire et écrire. Il est jeune, très attaché à sa famille, il croit en l’honnêteté. Yacine croit en l’homme et pourtant, il va d’épreuve en épreuve, il va se faire utiliser, il est droit, il est honnête, il est beau de l’intérieur, il est simple mais pas simpliste. Et il se fait manipuler. Mais malgré tout, il veut rester fidèle à ses principes, à ses valeurs, rester lui-même. Amour et haine se côtoient, et c’est aussi le roman de l’amitié. C’est aussi un roman sur la beauté, sur la fragilité de la confiance.
Il y a la vie avant la guerre, la vie pendant les 4 ans de guerre, et la vie après la guerre. Une guerre qui transforme les êtres, qui les blesse à vie, qui laisse des traces indélébiles.
Pendant cette guerre Yacine va rencontrer des gens; il va vivre avec des hommes qui seront ses amis, ses ennemis, ces chefs… Certains vont tomber sous les balles, d’autres vont devenir fous, d’autres vont s’en sortir, meurtris mais debout. Mais de toutes manières des liens se créent. Il fait partie de ceux qu’on nomme « les Turcos », les tirailleurs algériens des unités d’infanterie de l’armée de terre française, appartenant à l’Armée d’Afrique.
Yacine Chéraga – qui va traverser la guerre sous le nom de Boussaïd Hamza – est un être qui se relève toujours, certes amoché, mais qui va toujours de l’avant, porté par la foi et sa destinée. Il a été élevé avec des principes, il croit en son Dieu, en la rectitude, il a des valeurs et s’y cramponne. Il va être entrainé dans un monde de violence – la guerre d’abord – puis d’autres périodes. Le fil rouge de son existence du moment où il repose le pied sur le sol algérien est l’amour : retrouver sa famille ( son père, sa mère, ses frères et soeurs) puis retrouver celle qu’il va aimer, Mariem.
C’est un roman sur la tolérance, sur l’importance de croire en soi, de profiter un moment présent et de croire en l’avenir. Ce livre est une leçon de vie, un message d’espoir, un guide de reconstruction, un roman sur l’humain, les sentiments, la sagesse aussi. Certes on y parle de guerre et de violence, mais beaucoup de phrases m’ont fait rire. Et Yacine va d’aventure en aventure, on ne s’ennuie pas un seul instant! De plus, ce livre est vivant, les personnages bien campés, réalistes : il y a les gentils, les ordures, les fracassés…la vie quoi.

Et du pont de vue contexte historique c’ est à la fois un roman sur la Guerre de 14-18 et un témoignage sur une époque difficile de l’Histoire de l’Algérie.

Si vous avez aimé « Ce que le jour doit la nuit », lisez ce livre . Il est encore plus émouvant et toujours aussi bien écrit. 

Extraits:

Certains appellent ces choses mektoub.

D’autres, moins déraisonnables, disent que c’est la vie.

C’est lui qui m’avait certifié que la manne céleste est une comète qu’on peut regarder s’éloigner, mais qu’on n’a aucune chance de rattraper.

« Les hommes vrais ont la larme facile parce qu’ils ont l’âme près du cœur. Quant à ceux qui serrent les dents pour refouler leurs sanglots, ceux-là ne font que mordre ce qu’ils devraient embrasser. »

— C’est là tout ton problème, l’assimilé. Quand on a le cul entre deux chaises, on risque la fissure anale. Que tu viennes de la ville ou de la lune, t’es rien d’autre qu’un indigène, comme ils disent, un indigène apprivoisé, et t’es pas plus futé qu’une oie.

J’étais un parfait étranger à moi-même, un gamin halluciné qui courait à perdre haleine le long des boyaux d’une terre profanée. Il courait, courait comme s’il cherchait à échapper à son propre corps.

Un poète de chez nous disait que la loyauté est le plus handicapant des sacrifices. Elle exige, parfois, des concessions contraires à notre conscience. La preuve : on se bat pour qui ? Pour des mécréants. Contre qui ? Contre d’autres mécréants. 

On est des soldats, et un soldat, ça porte un casque pour ne pas réfléchir.

Depuis que j’ai atterri ici, je suis sur un nuage et je suce les étoiles comme des sucreries.

Quelques mois plus tard, nous remballâmes nos paquetages, nos traumatismes et nos fantômes et nous nous remîmes sur les routes.

Pour celui qui a traversé la vallée des ténèbres, l’étincelle est feu d’artifices, le gazouillis est symphonie, le nuage tapis volant et chaque nouveau jour un miracle.

— Personne ne coupe court avec le passé. Quand on n’a pas où aller, on dépoussière les ponts et on revient parmi les siens.

— Je t’observe depuis hier. Tu es tout effrayé. Tu reviens de la guerre, que je sache. Dois-je comprendre que la misère est plus terrifiante que les champs de bataille ?
— Ce n’est pas la même horreur, mais c’est la même tragédie.

l’existence est une belle vacherie. Chacun y a droit à son lot de soucis. Le pauvre parce qu’il manque de tout, le riche parce que aucune fortune ne lui suffit.

Tu n’as de compte à rendre à personne et tu n’as pas, non plus, à rougir de ta chance, même si elle néglige tes vieux amis. Tu as eu ton quota d’épreuves, et tu as perdu au change tant de fois. Les joies ne sont pas des péchés, la réussite n’est pas une hérésie. S’il t’est possible de décrocher la lune, décroche-la, et tant pis si la nuit n’en sera que plus noire.

« L’argent fait croire aux riches qu’ils sont heureux. Ce n’est pas vrai. Les riches peuvent acheter ce qu’ils veulent, sauf la paix intérieure, et il n’existe pas de bonheur pour celui qui n’est pas en harmonie avec lui-même. Quand un être cher te manque, aucune fortune ne peut combler le vide qui t’isole dans ton incomplétude. »

Il n’était plus qu’un amas de nerfs dénudés comme des fils électriques.

Tu as tenté ta chance ailleurs. Si tu l’as pas attrapée au vol, c’est que ta chance est ici, parmi les tiens.
— Dans ce cas, pourquoi j’suis parti, si ma chance est ici ?
— C’est pour t’en rendre compte.

— On a toujours le choix… Quels que soient ses aléas et ses peines, le choix que l’on assume est moins accablant que la reddition. Vois-tu ? On s’attarde souvent sur ce qui nous abîme au lieu de se concentrer sur ce qui nous aide à nous reconstruire.
— J’aimerais me reconstruire, mais je n’ai pas les données.
— Il n’en existe qu’une seule, jeune homme : celle qui consiste à prendre les choses comme elles viennent et à en faire des leçons de vie. Il y a une sécurité derrière ce que l’on tait et une autre derrière ce qui nous échappe.
— Quelle est donc cette sécurité ?
— Le discernement.

L’échelle de la Sagesse comporte sept paliers qu’il faut impérativement franchir si l’on veut accéder à soi, rien qu’à soi, et à personne d’autre.
— Sept paliers ?
— Dans Le Manuscrit des Anciens, on les appelle « Les sept marches de l’arc-en-ciel » (il compta sur ses doigts) : l’amour ; la compassion ; le partage ; la gratitude ; la patience et le courage d’être soi en toutes circonstances. Si tu arrives à en faire montre, tu atteindras le sommet-roi, celui qui te met hors de portée du doute et tout près de ton âme.— Tu n’en as cité que six.
Il sourit, de ce sourire qui en dit long sur les chemins de croix qu’il avait dû négocier pour accéder à son âme.
— Va, mon garçon. La septième est au bout de ton destin.

Le sang est la seule et unique lessive en mesure de laver l’affront.

Si tu as compris que ce ne sont pas les chaînes qui t’empêchent d’être libre, mais ta peur ; si tu as compris que ton seul bourreau, ton seul geôlier, c’est toi, et que c’est à toi que revient le choix d’être ce que tu veux, aucun érudit ne t’arriverait à la cheville.

J’ai ma propre guerre et je la mène contre le désert. Je plante, sème, greffe, laboure. C’est une guerre qui fait vivre, une guerre qui ne s’abreuve pas dans le sang, mais dans l’eau, si rare par ici, et dans la sueur.

Mais il est des peurs qui ne s’apprivoisent pas. Ces peurs-là sont tangibles, matérielles ; leurs griffes déchirent les viscères, s’ancrent dans les gènes et grandissent avec soi jusqu’à devenir organiques. On croit les perdre de vue de temps en temps, mais c’est mal les connaître. Enfouies au plus profond de l’être, elles attendent leur heure – ni les catastrophes ni les miracles ne sauraient les distraire.

Sur ce territoire craquelé, sévèrement tailladé par la fournaise estivale et le gel de l’hiver, les inextricables ramifications des rivières mortes se voulaient calligraphies.

Écouter le silence, c’est écouter sa déprime.

« La vie est une traversée et tu es un simple pèlerin. Le passé est ton bagage. Le futur, ta destination. Le présent, c’est toi. Si ton bagage t’encombre, dépose-le à la consigne. Si ta destination est hasardeuse, sache qu’elle l’est pour tout le monde. Vis à fond l’instant présent, car rien n’est aussi concrètement acquis que cette réalité manifeste que tu portes en toi. » 

Comment remplacer les absents sans les trahir et sans renier la personne qu’on a été ? Comment les oublier lorsque le cœur ne bat que grâce à leurs souvenirs ? Arrête d’y penser, me disait‑on, on ne retient pas le vent par la queue. Ce qui est fait est fait. Ça ne sert à rien de se torturer. J’ai essayé de regarder devant moi et je n’ai vu que du vide. On peut faire le deuil de ses morts, mais pas celui des absents. De tous les mortels, ce sont les disparus qui vivent le plus longtemps. 

Elle n’a pas d’états d’âme, la vie ; elle n’est coupable de rien. Elle coule dans le lit du temps sans s’attarder sur le gâchis qu’elle engendre ni sur les belles plaines qu’elle irrigue. C’est à chacun de s’accommoder de ce qu’elle lui concède.

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