Roger, Marie-Sabine « Loin-Confins » (2020) 199 pages

Roger, Marie-Sabine « Loin-Confins » (2020) 199 pages

Autrice: écrivaine française née le 19 septembre 1957 à Bordeaux (France). Elle fait de la littérature pour la Jeunesse et pour les adultes

Romans adultes : 2001 : Le ciel est immense – 2004 : Un simple viol – 2009 : La Tête en friche, – 2010 : Vivement l’avenir- 2012 : Bon Rétablissement – 2014 : Trente-six chandelles – 2016 : Dans les prairies étoilées – 2018 : Les bracassées – 2020 : Loin-Confins  2021 : Dernière visite à ma mère, L’iconoclaste (ISBN 9782378801724)

Editions du Rouergue – 19.08.2020 – 199 pages/ Babel – 17.08.2022 – 208 pages

Résumé:

Il y a longtemps de cela, bien avant d’être la femme libre qu’elle est devenue, Tanah se souvient avoir été l’enfant d’un roi, la fille du souverain déchu et exilé d’un éblouissant archipel, Loin-Confins, dans les immensités bleues de l’océan Frénétique. Et comme tous ceux qui ont une île en eux, elle est capable de refaire le voyage vers l’année de ses neuf ans, lorsque tout bascula, et d’y retrouver son père. 

Il lui a transmis les semences du rêve mais c’est auprès de lui qu’elle a aussi appris la force destructrice des songes. Dans ce beau et grave roman qui joue amoureusement avec les mots et les géographies, Marie-Sabine Roger revient à ce combat perdu qu’on nomme l’enfance et nous raconte l’attachement sans bornes d’une petite fille pour un père qui n’était pas comme les autres.

Mon avis: pastedGraphic.pngpastedGraphic.pngpastedGraphic.pngpastedGraphic.pngpastedGraphic.png

Il y a ici et il y a l’ailleurs; il y a la réalité et il y a l’illusion; il y a le vrai et il y a le rêve. Il y a le monde réel et il y a « Bizarrance » … ll y a Agapito Ier, le Roi des Lointains Confins, souverain en exil  et il y a François Mollet …

Il y a la vie sur l’Archipel, le pays-paradis,  et puis il y a … la vraie vie. Sur l’archipel il y a des noms de lieux qui parlent : Saint-Cramé-les-Flots, La Saint-Tapage-et-Boucan …

J’ai adoré ce roman qui parle d’une fillette, de son père qui est un peu « perché », de sa mère qui a les pieds sur terre… Comme elle le dit, avec son père « elle rit, elle rêve, elle s’émerveille ». Quand certains se réfugient dans la compagnie d’un ami imaginaire, la petite Tanah a la chance de vivre dans le pays de Loin-Confins, que lui conte son père, un endroit tout en couleurs et en senteurs…
Dans la vraie vie on finit en Ehpad, sur l’Archipel on finit dans l’île, sur le Plateau de Passe-au-loin, entouré de ses souvenirs et lors d’une grande fête…. 

Est-ce vraiment un problème que de vivre dans un conte, un rêve, d’illuminer la vie au moyen de l’imagination… Certes quand on bascule du coté de la folie, cela pose des problèmes … mais la folie douce, tant qu’elle n’est pas assortie d’actes de violence n’est pas ce qui va distendre les liens fusionnels entre la fillette et son père. J’ai adoré ce roman qui montre que la différence, la folie, n’est pas forcement destructrice, la complicité entre Tanah et son père jusqu’au moment où c’est elle qui le transporte sur l’Archipel, le fait passer de l’autre coté de la vie, remplace le réel par un monde cocon imaginaire. 

Extraits:

Dans son âme d’enfant, forgée d’un fer encore intact, la petite est convaincue que les méchants sont punis et que toujours, toujours, la vérité éclate.

Tanah peut mesurer l’intensité de la colère maternelle aux sursauts qui secouent le fil du téléphone, sous la porte de la cuisine qu’elle vient de claquer bruyamment. Long serpent fin et noir déroulant ses anneaux, de rage, puis les enroulant de nouveau, pour finir tendu à se rompre, plus écartelé qu’un supplicié entre le support fixé sur le mur du couloir et la salle de conférences où mijote déjà le repas de midi.

« On ne peut tenir le gouvernail sans s’y connaître en étoiles et en voiles, dit son père, sentencieux, avant d’ajouter pour lui-même : Quoi que semblent en penser certains hommes politiques… »

« La petite Mollet », ce n’est guère mieux.

Ce nom est une couverture rêche, qui gratte comme une laine de mauvaise qualité, quand son père aurait pu en choisir un plus noble, plus précieux, qui aurait eu des douceurs de cachemire.

Et ses mots sont bien plus que des mots, ils recréent les senteurs, chantent les clapotis, et exaltent la brise.

Parfois on perd ce à quoi on tenait. On nous le vole, ou on l’abîme. Mais personne ne peut en voler, ni en abîmer le souvenir.

C’est la seule chose qui compte. La seule chose à retenir.

Et puis les noms parlent d’eux-mêmes, portent en eux cette mort dont ils se sont chargés. Le ph de typhoïde feule comme un panthigre, c’est un nom à patte levée, prête à s’abattre sur sa proie. Le s de dysenterie sinue comme un serpent, c’est un nom venimeux, perfide. 

Les dernières lueurs sont toujours les plus belles, elles ont le goût des regrets, des jours trop tôt passés, en allés, disparus.

Peu importe que son regard ait changé par la suite, la faute à la vraie vie, cette réalité qui encrasse nos rêves, les transforme en vieil imagier aux pages déchirées, aux coins souillés de traces, piquetés de moisi.

Quelles que soient les trahisons, les déceptions, elle fera tout pour garder en elle, vivace, la saveur des enchantements.

Les discussions que l’on vole au passage pèsent de ce poids lourd et précieux du larcin. Elles nous marquent. On s’en souvient.

Non, il est en « maison de repos ». Tanah se raccroche à ces mots familiers, apaisants. Une maison, cela n’a rien d’inquiétant. Tout le monde a une maison, ou un appartement. Et le repos éclaire la folie de son père d’un jour nouveau, plus rassurant. S’il a besoin de repos, c’est qu’il est fatigué. La fatigue, ce n’est pas grave.

Ils ne sont pas si nombreux, dans une vie, ceux qui saupoudrent de paillettes le lavis gris du quotidien.

Son père lui a appris le rêve comme d’autres lui auraient enseigné la cuisine, la mécanique, la religion, une langue étrangère. Avec patience, et conviction.

Sans doute aura-t-elle cru aux histoires de son père parce qu’elle avait besoin d’y croire. Une grande faim insatiable de rêve, de cet ailleurs étrange et fabuleux.

Les enfants sont terribles, entre eux, ceux qui croient le contraire ont perdu la mémoire. Cette petite société de l’école primaire se comporte comme une horde, tout entière occupée aux luttes de pouvoir, aux moyens politiques d’asseoir une domination, par la force, la ruse, la séduction.

C’est tout ce dont elle a besoin : quelqu’un qui ne sait rien d’elle et dont elle ne sait rien non plus. Le terreau de l’amour, c’est souvent le mystère.

Les parents vieillissent, gagnent en expérience ou s’enferrent dans leurs travers. Leurs conditions de vie évoluent ou régressent. Leur couple tient le cap, ou s’égare, se perd. Les familles se recomposent, se décomposent, dans des mouvements infimes de plaques tectoniques, ou des effondrements soudains de failles.

elle a grandi près d’un père tranquille, poète de balcon, conteur de grands chemins.

Ce qu’il raconte n’est pas forcément vrai, et alors ? Elle ne voit pas où est le problème. Les contes pour enfants ou les romances que lit sa mère ne parlent pas non plus de la réalité. 

Il faut bien que Loin-Confins existe puisque toute son enfance, ou presque, s’y trouve rattachée. Sa plus jolie part, en tout cas. Pourquoi la renier, quand la vérité vraie est aussi décevante ?
Le rêve serait-il un gibier que l’on chasse ?

Et puis, un jour, elle trouvera (pourquoi ne l’avait-elle pas cherché plus tôt ?) l’étymologie du mot folie, du latin folium, qui veut dire feuille.

Cette enfance particulière, faite de poésie et de banalité, quand la magie se mêlait à l’effroi, les sortilèges aux maléfices.

Elle a le sentiment de vivre un souvenir inversé. Vu de l’autre côté du miroir. Car aujourd’hui c’est elle qui raconte, comme le faisait son père quand elle était petite, dans cette intimité de leurs soirs de balcon.

Et le vieux roi fragile boit ses paroles avec avidité sans jamais la quitter du regard, avec ces mêmes yeux émerveillés que devait avoir Tanah, lorsqu’ils se partageaient comme une orange mûre l’Archipel et ses aventures.

Pour eux les morts vivent encore, les vivants deviennent étrangers.

3 Replies to “Roger, Marie-Sabine « Loin-Confins » (2020) 199 pages”

    1. oh ! merci beaucoup d’avoir pris la peine de mettre un petit mot sur mon blog.
      J’ai été très touchée par votre roman et je vais en lire d’autres .

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